La fonction rénale sur des reins chroniquement malades peut être aggravée par un grand nombre de facteurs potentiellement réversibles.
Le plus fréquent de ces facteurs réversibles pouvant causer une détérioration rapide de la fonction rénale est la déplétion du volume extra-cellulaire. Lorsqu'une déplétion volémique se développe chez un patient avec une insuffisance rénale chronique, un cercle vicieux peut survenir. En effet, la diminution de la fonction rénale accompagnant la déplétion volémique aggrave l'état urémique. Ceci peut entraîner nausées et vomissements ce qui aggrave la déplétion volémique et donc la filtration glomérulaire et le syndrome urémique etc.
Le diagnostic de déplétion volémique est relativement facile car les patients sont tachycardes avec une hypotension orthostatique, une langue sèche, une perte de l'élasticité cutanée. A un stade plus précoce de la déplétion volémique, les signes cliniques sont cependant beaucoup plus discrets. La seule notion de traitement trop intense par les diurétiques ou une restriction sodée excessive doit faire suggérer l'existence d'une déplétion volémique modérée chez des patients insuffisants rénaux chroniques qui ont une détérioration récente de la fonction rénale. Biologiquement lélévation du rapport urée/créatinine plasmatique > 100 est très suggestive dhypoperfusion tissulaire et dinsuffisance rénale fonctionnelle. Il peut alors être nécessaire de diminuer ou darrêter le traitement diurétique voire de traiter les patients avec une supplémentation en sels pour déterminer si la fonction rénale s'améliore. Une prise de poids de 1 à 3 kg constitue généralement une indication raisonnable d'expansion volémique et extra-cellulaire.
Dans la mesure où la plupart des infections de l'appareil urinaire sont asymptomatiques, une culture urinaire doit être obtenue lors de l'évaluation initiale d'un patient avec une insuffisance rénale chronique. Pour prévenir l'infection urinaire, l'instrumentation et la cathétérisation des voies urinaires doivent être évitées dans la mesure du possible chez ces patients.
Une autre cause potentiellement réversible d'insuffisance rénale est l'obstruction des voies urinaires. L'obstruction peut être exclue avec une spécificité de 95 % par les examens échographiques. Le recours à des pyélographies rétrogrades est rarement nécessaire même chez les patients ayant une fonction rénale sévèrement compromise. L'examen échographique rénal apporte des informations importantes sur la présence des deux reins ainsi que la taille de ceux-ci. Labsence de résidu post-mictionnel après cathétérisme rapide permet d'exclure une obstruction du col vésical (résidu non significatif en-dessous de 50 ml).
Une autre cause potentiellement réversible d'insuffisance rénale est liée à l'administration intempestive d'agents néphrotoxiques. Les plus fréquemment en cause sont les agents antimicrobiens et anti-tumoraux, notamment les aminoglycosides, la colistine, l'amphotéricine B, certains antiviraux, le galium et le cisplatine. D'autres agents à visée diagnostique peuvent aggraver la fonction rénale chez des patients avec insuffisance rénale chronique, en particulier les produits de contraste iodés. Les facteurs prédisposants à l'insuffisance rénale aiguë induite par les produits de contraste iodés sont : le diabète, l'âge avancé, la déplétion volémique, la co-prescription d'autres agents néphrotoxiques comme les aminoglycosides et une insuffisance rénale pré-existante.
Bien que les produits de contraste iodés ne soient pas formellement contre-indiqués chez l'insuffisant rénal chronique, ces produits doivent être utilisés à bon escient en sachant qu'ils peuvent induire une aggravation soit réversible, soit permanente de la fonction rénale (en particulier chez le diabétique). Dans la mesure où la toxicité est dose-dépendante, la plus petite dose possible doit être utilisée. Le maintien ou la restauration de leuvolémie préalablement à l'examen reste essentiel : en arrêtant un traitement diurétique préalable, et en assurant une expansion volémique modérée par du soluté salé semi-isotonique (4,5 g/l).
Deux classes de médicaments, les inhibiteurs de l'enzyme de conversion et les inhibiteurs de la cyclo-oxygénase (= anti-inflammatoires non stéroïdiens) induisent une diminution de la fonction rénale de façon aiguë et réversible chez des patients avec une insuffisance rénale sous-jacente.
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens causent cet effet en inhibant la synthèse des prostaglandines rénales et leurs effets vasodilatateurs, ce qui entraîne une diminution du débit sanguin rénal et de la filtration glomérulaire. Les nouveaux inhibiteurs spécifiques de la COX2 qui ont une meilleure tolérance digestive ne semblent pas modifier fondamentalement l'effet fonctionnel rénal.
Les inhibiteurs de l'enzyme de conversion agissent en inhibant la vasoconstriction de l'artériole efférente induite par l'angiotensine II. La réduction de la pression de filtration entraîne une chute de la filtration glomérulaire. Les effets de ces agents sur la filtration glomérulaire sont plus souvent observés lorsque le débit sanguin et artériel est réduit en raison d'une déplétion volémique, d'une insuffisance cardiaque ou d'une sténose bilatérale des artères rénales, situations au cours desquelles la pression de filtration est largement maintenue grâce à la vasoconstriction artériolaire efférente induite par l'angiotensine II. Les effets des inhibiteurs de la cyclo-oxygénase et des inhibiteurs de l'enzyme de conversion sur la réduction de filtration glomérulaire sont rapidement réversibles à l'arrêt de leur administration. Les inhibiteurs de l'enzyme de conversion sont actuellement largement indiqués dans un grand nombre de maladies rénales pour ralentir la progression de certaines formes de néphropathie. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens ne sont pas formellement contre-indiqués chez les patients avec une insuffisance rénale, mais en cas d'insuffisance rénale avancée, leur usage et l'aggravation fonctionnelle aiguë peuvent compromettre de façon définitive la fonction rénale résiduelle.
Rappelons enfin que l'association d'anti-inflammatoire non stéroïdien et d'inhibiteur de l'enzyme de conversion constitue actuellement la première cause d'insuffisance rénale aiguë acquise en dehors de l'hôpital. Cette association est également responsable de redoutables acidoses métaboliques hyperkaliémiques.
L'insuffisance cardiaque congestive chez le patient urémique peut provenir d'un grand nombre de causes telle que l'ischémie myocardique, l'hypertension, la surcharge hydrosodée.
Chez les patients ayant à la fois une insuffisance cardiaque et une insuffisance rénale, le bas-débit cardiaque et/ou lhypotension peuvent aggraver la perfusion rénale et être responsables d'une aggravation fonctionnelle parfois sévère de la fonction rénale. Dans certains cas, la soustraction hydrosodée peut améliorer le débit cardiaque et donc indirectement, la perfusion rénale. Cependant, une soustraction trop importante peut entraîner une hypovolémie efficace et aggraver la perfusion rénale. La diurèse peut généralement être obtenue avec de larges doses de diurétiques de lanse. Cependant, lorsque l'insuffisance rénale est avancée, la dialyse peut être nécessaire pour obtenir une soustraction hydrique significative. Dans la mesure où la digoxine est largement excrétée par les reins, la posologie doit être adaptée chez les patients avec insuffisance rénale.
2. Facteurs de progression des néphropathies
Il est maintenant bien établi que linsuffisance rénale chronique est une maladie progressive évoluant pour son propre compte même lorsque le processus initial a disparu. Ceci indique que des mécanismes communs de progression sont mis en jeu par la réduction du nombre de néphrons fonctionnels et qui vont aboutir secondairement à la destruction des structures rénales restantes.
La vitesse de progression est cependant très variable dun indvidu à lautre. Cliniquement, les facteurs de progression de linsuffisance rénale chronique vers la mort rénale ont été évalués dans plusieurs grandes études prospectives. Dans létude MDRD (Modification of the Diet in Renal Diseases) 840 patients ont été étudiés pendant une période de 3 ans minimum. Le caractère progressif et la vitesse de progression (variation de la filtration glomérulaire en fonction du temps) sont prédits par 6 des 41 facteurs considérés, à savoir la protéinurie initiale, la transferrinémie, la pression artérielle moyenne, le HDL cholestérol, la race noire et le diagnostic de polykystose rénale. Ensemble, ces 6 facteurs rendent compte de 34 % de la variance des pentes de décroissance de la filtration glomérulaire.
Le type de la néphropathie est déterminant dans la vitesse de progression celle-ci étant plus rapide au cours des néphropathies glomérulaires et de la polykystose rénale quau cours des néphropathies interstitielles chroniques. Les facteurs raciaux sont plus difficiles à analyser et associent probablement une authentique prédisposition génétique et des facteurs environementaux socio-économiques (accès aux soins, nutrition et petit poids à la naissance, etc.).
A coté de ces facteurs non modifiables, la protéinurie et le niveau de pression artérielle sont accessibles à différentes thérapeutiques plus ou moins spécifiques, si bien que leur rôle dans la progression est potentiellement réversible. Les relations entre la pression artérielle et la progression ont été mises en évidence depuis de nombreuses années au cours de toutes les études épidémiologiques. Ces études souvent rétrospectives navaient cependant pas permi détablir définitivement si lélévation tensionnelle constitue en soi un facteur de progression ou si elle ne témoigne pas seulement dune maladie sous-jacente plus sévère. Plusieurs études prospectives ont par la suite montré que cest bien le niveau tensionnel obtenu sous traitement qui est le principal déterminant de la progression et non pas des valeurs tensionnelles initiales avant linstitution dun traitement anti-hypertenseur.
Le second facteur essentiel dans la progression est le degré de protéinurie. Dans 3 études prospectives MDRD et AIPRI (Angiotensin converting enzyme Inhibition in Progressive Renal Insufficiency) et REIN (Ramipril Efficacy in Néphropathies), la protéinurie constitue le principal facteur déterminant la progression avec une relation linéaire entre la vitesse de décroissance de la filtration glomérulaire et le degré de protéinurie. Plus que le niveau initial de protéinurie, cest la protéinurie résiduelle sous traitement qui constitue le facteur déterminant de la progression. La protéinurie constitue donc à la fois un symptôme dalerte de maladie rénale, le principal marqueur de progression mais également un déterminant causal de la progression. Il en résulte que le traitement anti-protéinurique représente un objectif thérapeutique en soi et que la réduction sous traitement de la protéinurie est associée à un meilleur pronostic rénal à terme.
Dans létude MDRD, un autre élément intéressant a été mis en évidence : il existe une interaction entre le degré de protéinurie et le niveau tensionnel. Dans cette étude, une protéinurie abondante est corrélé à une progression plus rapide, mais la réduction tensionnelle intensive ralentit la progression chez les malades ayant une protéinurie supérieure à 1 g/24 heures et plus encore chez ceux ayant une protéinurie supérieure à 3 g/24 heures.
Dans des dernières années, la plupart des mécanismes reliant la pression artérielle, la protéinurie et la progression des maladies rénales ont été élucidés. Les deux points important qui ont été établis sont :
- linsuffisance rénale progresse inexorablement quelque soit la nature de lagression rénale initiale et même lorsque celle-ci est interrompue et
- cette progression est dépendante de mécanismes communs non spécifiques, responsables in fine de lésions glomérulaires dites de glomérulosclérose (initialement focale et segmentaires puis globale et diffuse) et surtout de lésions de fibrose interstitielle rénale. Il faut souligner que dune façon générale, même au cours des néphropathies glomérulaires ou vasculaires, lintensité de la fibrose interstitielle est mieux corrélée avec la filtration glomérulaire et le mauvais pronostic rénal.
Les conséquences fonctionnelles et morphologiques de la progression des maladies rénales ont été particulièrement bien analysées. Le capillaire glomérulaire fonctionne normalement avec un régime de pression en moyenne 5 fois supérieur à celui de toute autre capillaire de lorganisme et il est le siège dune pression pulsée denviron 20 mmHg pour une pression moyenne de lordre de 50 mmHg. Au plan morphologique, la réduction du nombre de néphrons fonctionnels induit une adaptation structurale avec une hypertrophie compensatrice des néphrons résiduels. Au plan fonctionnel, la réduction du nombre de néphrons fonctionnels modifie les conditions circulatoires du glomérule en diminuant la résistance artériolaire afférente (résistance pré-glomérulaire). Cette vasodilatation glomérulaire, en élevant le débit perfusant le capillaire glomérulaire, augmente la pression dultrafiltration et donc la filtration glomérulaire dans ce glomérule. Ce phénomène dadaptation fonctionnelle est cependant délétère à long terme dans la mesure où la vasodilatation pré-glomérulaire favorise la transmission des pressions artérielles aortiques dans une structure capillaire. Lassociation dune augmentation de la pression capillaire glomérulaire pulsée et dune hypertrophie capillaire glomérulaire (loi de Laplace, tension pariétale = produit du rayon par la pression) est responsable dun stretch pariétal pulsé qui joue un rôle déterminant dans lapparition des lésions de glomérulosclérose et dinduction de la fibrogenèse.
Lhypertrophie capillaire glomérulaire est également responsable dune diminution de la densité des podocytes. Les podocytes sont des cellules indivisibles situées sur le versant externe de la membrane basale glomérulaire, qui émettent des pédicelles, digitations entrecroisées recouvrant complètement le flocullus glomérulaire. Les podocytes jouent un rôle essentiel dans le maintien de larchitecture tri-dimensionnelle du glomérule. Les pédicèles entrecroisés et le diaphragme de fente qui recouvrent la fente de filtration entre deux pédicelles adjacents représentent la principale barrière de filtration des macromolécules. La diminution de la densité des podocytes est responsable dun étirement des pédicelles et de la fusion de certains pédicèles responsables de la diminution du coefficient dultrafiltration et donc de la filtration glomérulaire. De plus, létirement pulsatile des fentes de filtration lors de chaque systole, est responsable dune augmentation de la perméabilité convective aux macromolécules et en particulier aux protéines.
Le rôle de ce stretch pulsatile dans la génèse de la protéinurie et de la fibrose a bien été mis en évidence par des études expérimentales au cours desquelles la réduction du stretch pulsatile par un inhibiteur de lenzyme de conversion réduit lexpression des gènes codant pour les molécules pro-fibrosante.
Les mécanismes reliant la protéinurie et la survenue dune fibrose interstitielle ont été relativement bien établis au cours des dernières années dans différents modèles expérimentaux. Lensemble de ces études peut être résumé de la façon suivante :
- Laugmentation de la perméabilité glomérulaire aux macromolécules permet le passage convectif dans la chambre glomérulaire de protéines, qui arrivent en quantité importante au niveau du tube proximal où elles sont normalement réabsorbées et dégradées : albumine, immunoglobulines G, complexe fer-transferrine, fractions actives du complément notamment C5b-9, facteurs de croissance divers dont lIGF-1, diverses cytokines et des LDL oxydé.
- Ces protéines sont réabsorbées par différents processus non régulés dendocytose et saccumulent au niveau des lysosomes qui vont finalement se rompre.
- Ceci entraîne linduction de gènes de linflammation et la sécrétion polarisée des médiateurs de linflammation dans linterstitium rénal : RANTES (Regulated upon Activation Normal T cell Expressed and Secreted), MCP1, qui sont des facteurs chimio-atractifs médiés par NFKB, des cytokines, lostéopontine, lendothéline 1 et des fractions activées du complément comme le C5b-9.
- Ces médiateurs inflammatoires recrutent et activent des monocytes et des lymphocytes.
- La libération de cytokines fibrogéniques notamment le TGFß, linterleukine 4 et le TNF-alpha, puis la prolifération des fibroblastes et la synthèse et le dépôt de matrice extra-cellulaire. Lensemble de ces processus aboutit à la formation dune fibrose interstitielle dont lintensité est directement dépendante des anomalies de perméabilité glomérulaire.
Ces mécanismes fibrogéniques sont communs à différents modèles expérimentaux de réduction néphronique comme par exemple la réduction de masse rénale des 5/6 ou la néphrite de Heymann, équivalent expérimental dune glomérulonéphrite extra-membraneuse.
De façon intéressante, les inhibiteurs de lenzyme de conversion ou les bloqueurs AT1 sont susceptibles de ralentir et surtout de prévenir et lexpression des médiateurs de linflammation dans linterstitium rénal et la formation de cette fibrose interstitielle. Le mécanisme protecteur de ces bloqueurs du système rénine-angiotensine est probablement multifactoriel. Ces médicaments exercent des effets favorables sur le stretch pulsatile et la pression capillaire pulsée. Indépendamment de ses effets hémodynamiques, langiotensine II est aussi capable daugmenter la production du TGFß, dactiver celui-ci et enfin de stimuler lexpression de linhibiteur de lactivateur du plasminogène de type 1 (PAI1). Lactivation du TGFB augmente la synthèse de matrice extra-cellulaire alors que la stimulation du PAI-1 diminue la dégradation de cette matrice. Lensemble de ces éléments concourre à la fibrogenèse, mécanisme indirectement médié ou favorisé par des taux élevés locaux dangiotensine II. Inversement, le blocage du système rénine-angiotensine permet de faire régresser ou de prévenir ces processus fibrogéniques. Ces effets bénéfiques peuvent être également démontrés dans des modèles à pression artérielle normale au cours desquels lhypertension intra-glomérulaire joue probablement un rôle moins important.
3. Interventions pour ralentir la progression des néphropathies
3.1. Traitements nutritionnels
3.1.1. Bases expérimentales
Dans différents modèles expérimentaux (néphrectomie subtotale et néphropathie diabétique), la diminution de lapport protidique protège vis-à-vis du développement de lésions glomérulaires, appelées glomérulosclérose. Cet effet est médié en partie par des modifications de la résistance artériolaire glomérulaire entraînant une réduction de la pression intraglomérulaire et une diminution de lhypertrophie glomérulaire.
La restriction protidique alimentaire pourrait également être bénéfique par dautres effets non-hémodynamiques. Dans la glomérulosclérose focale expérimentale par exemple, une restriction protidique alimentaire très sévère réduit fortement les lésions glomérulaires et diminue lexpression des cytokines Transforming Growth Factor ß1 (TGFß) et Platelet Derived Growth Factor (PDGF) et des gènes régulant la synthèse de la matrice extracellulaire glomérulaire dont lexcès contribue aux lésions sclérotiques. Le mécanisme par lequel lapport protidique régule la libération des cytokines nest pas connu mais leffet final pourrait être une préservation de la filtration glomérulaire en raison de la diminution de laccumulation de la matrice extracellulaire. Lapplication de ces observations à lhomme nest jusquà présent pas démontrée.
Les études nutritionnelles chez des patients ayant une insuffisance rénale chronique suggèrent que lapport protidique peut être diminué sans inconvénient jusquà un minimum de 0,8 g/kg par jour. Ces régimes réduisent également lapport alimentaire en phosphore, autre facteur qui peut contribuer à leffet bénéfique sur la progression de linsuffisance rénale chronique. Pour prévenir la perte nette en azote, un apport calorique adéquat doit être maintenu et au moins 60 % des protéines ingérées doivent être de haute valeur biologique. La correction de lacidose métabolique lorsquelle est présente, est indispensable pour atténuer la protéolyse musculaire squelettique. Les patients ayant une néphropathie diabétique ont un risque supplémentaire de dénutrition protéique en raison de la majoration de la protéolyse induite par la carence en insuline.
Lorsque tous ces éléments sont pris en compte, une restriction protéique modérée semble généralement bien tolérée et ne pas aboutir à la dénutrition. Il y a cependant deux exceptions possibles :
- le syndrome néphrotique au cours duquel la sécurité dune restriction protidique nest pas établie.
- linsuffisance rénale chronique avancée. En dehors de toute intervention diététique, une corrélation directe existe entre lapport protidique alimentaire et la clairance de la créatinine : 1,1 g/kg et par jour pour une Ccr au-dessus de 50 ml/min. ; 0,85 g/kg par jour entre 25 et 50 ml/min. ; 0,70 g/kg par jour entre 10 et 25 ml/min ; 0,54 g/kg par jour en-dessous de 10 ml/min. Ces modifications qui réflètent lanorexie induite par linsuffisance rénale, indiquent que la restriction protidique nest pas sûre chez des patients dont la clairance de la créatinine est en-dessous de 25 ml/min.
Plusieurs études ont évalué leffet de la restriction protidique alimentaire sur la progression de linsuffisance rénale chronique. Les résultats des 4 grands essais prospectifs randomisés sont négatifs. Une méta-analyse de lensemble des essais retrouve un effet bénéfique marginal mais faiblement significatif : le gain en terme de ralentissement de la progression est de 0.5 ml/min/an ou encore 10 % de la vitesse de progression, (cest-à-dire 1 an gagné sans dialyse pour 10 ans de régime draconien !).
Ces résultats modestes doivent être mis en balance avec des inconvénients importants :
- le maintien dun régime restreint en protéine est difficile sur le long terme ; la compliance est globalement médiocre
- ces régimes exposent au risque de dénutrition et doivent être proscrits chez les malades néphrotiques, diabétiques insulinotraités et lorsque la fonction rénale résiduelle est < 25-30 ml/min. Le risque de dénutrition a de telles implications pronostiques (augmentation de la mortalité lors de la mise en dialyse) quune surveillance minutieuse des paramètres nutritionnels doit être réalisée régulièrement. Ceci impose de ne recourir à ces régimes quen milieu néphrologique spécialisé avec la collaboration de diététicien(ne)s entraîné(e)s et en prenant soin de corriger tous les déficits ou déséquilibres nutritionnels (apport calorique suffisant 35 Kcal/kg/j).
Par contre en labsence détudes spécifiques, les données actuelles suggèrent quun apport protidique excessif (>1,2 1,4 g/kg/j) doit être évité dautant que celui-ci aggrave le syndrome urémique (acidose, hyperphosphatémie, hyperparathyroïdie, hyperhomocystéinémie).
3.2. Traitement de lhypertension artérielle et/ou de la protéinurie : Résultats des essais cliniques
Chez lhomme, lensemble des études observationnelles indiquent que la vitesse de déclin de la filtration glomérulaire est corrélée au niveau tensionnel moyen et surtout au degré de la protéinurie.
Plusieurs études ont démontré que le traitement antihypertenseur intensif en particulier par un IEC est capable de ralentir la vitesse de progression de la néphropathie diabétique du diabète de type 1. Lutilisation dautres agents antihypertenseurs (ß-bloqueurs ß1-sélectifs, vérapamil) pourrait aussi savérer bénéfique mais ceci nest pas démontré. Les diurétiques sont presque toujours nécessaires chez les patients avec une hypertension résistante et/ou une insuffisance rénale et/ou un syndrome néphrotique.
Peu dinformations sont disponibles sur les effets du traitement antihypertenseur chez les diabétiques de type 2 qui représentent pourtant 90 % des diabétiques. Chez ces patients, le risque dévoluer vers la néphropathie diabétique et linsuffisance rénale terminale est de 30 %, cest-à-dire comparable à celui des diabétiques de type 1. Lorsque la protéinurie survient, la vitesse de perte de la filtration glomérulaire (1 ml/min. /mois) et l'effet délétère de l'hypertension sont similaires à ceux observés dans le diabète de type 1. En l'absence d'un traitement agressif, le délai de progression de la protéinurie à l'insuffisance rénale terminale est en moyenne de 6 à 7 ans dans les deux formes de diabète.
En labsence dessais randomisés contrôlés dans cette population, les données defficacité reposent essentiellement sur quelques études de petits groupes de malades et des critères intermédiaires (pression artérielle, protéinurie, variations de la filtration glomérulaire). Lensemble de ces études suggère un bénéfice des IEC, au moins en ce qui concerne la diminution de la protéinurie par rapport aux béta-bloquants et aux inhibiteurs calciques.
En labsence de résultats plus précis, les recommandations peuvent être raisonnablement extrapolées à partir de létude MDRD (Modification of the Diet in Renal Diseases) pour le niveau tensionnel (pression artérielle cible < 135/85 mmHg et même < 125/75 mmHg en cas de protéinurie > 1g/j), ainsi que des études dans les néphropathies non diabétiques et ABCD (Appropriate Blood pressure Control in Diabetes) chez le diabétique pour le choix préférentiel dun IEC.
Plusieurs études ont analysé lefficacité des traitements antihypertenseurs à ralentir la progression des néphropathies non-diabétiques.
Les résultats de létude MDRD montrent que la vitesse de progression et lefficacité du traitement antihypertenseur sont liées au débit initial de protéinurie , lui-même reflet de la sévérité des lésions glomérulaires. Les patients ayant une protéinurie de 3 g/j ou plus, ont la progression la plus rapide. Une réduction substantielle et significative de la vitesse de progression est obtenue par un contrôle tensionnel agressif (de 10,3 à 6,7 ml/min. par an pour une réduction de la pression artérielle moyenne de 96 à 91 mmHg équivalent respectivement à 130/80 et 125/75 mmHg).
Le niveau optimal de pression artérielle chez les sujets hypertendus et insuffisants rénaux est suggéré par les résultats de létude MDRD. La vitesse de décroissance de la FG est plus rapide lorsque la pression artérielle moyenne reste supérieure ou égale à 100 mmHg (ce qui représente une pression diastolique de 80 à 85 mmHg en labsence dhypertension systolique). Ainsi, une pression artérielle diastolique cible de 80 mmHg (pression artérielle moyenne à 98 mmHg en labsence dhypertension systolique) est un objectif raisonnable chez des patients hypertendus ayant une protéinurie < 3 g/j. Une pression plus basse, soit une pression diastolique minimale de 75 mmHg (pression artérielle moyenne 92 mmHg) est appropriée chez les sujets normotendus et chez ceux ayant une protéinurie de plus de 3 grammes par jour.
Leffet bénéfique spécifique des IEC a été démontré dans plusieurs essais contrôlés contre un placebo ou contre un bétabloqueur. Ces études, ainsi que leur méta-analyse, démontrent que les IEC sont systématiquement plus efficaces que les autres classes dantihypertenseurs pour ralentir la vitesse de progression notamment dans les maladies chroniques glomérulaires et chez les patients ayant une protéinurie supérieure à 1 g/j. Le traitement par IEC permet de ralentir la vitesse de progression de linsuffisance rénale de 50 % en moyenne (40 à 100 % selon le degré de protéinurie initiale). Les patients avec une protéinurie > 3 g/j bénéficient le plus de ces traitements puisque le traitement IEC permet en moyenne de doubler lespérance de survie rénale sans dialyse (bénéfice de 100 % si la protéinurie initiale est > 3 g/j).
Il est important de noter que le bénéfice des IEC est dépendant de lobtention dun contrôle tensionnel strict (< 135/85 mmHg et probablement même < 125/75 mmHg chez les sujets avec une protéinurie > 1 g/j ) et dun effet antiprotéinurique. Ceci peut nécessiter le recours à des doses élevées dIEC, très souvent une association avec des diurétiques de lanse et parfois avec dautres antihypertenseurs. Le bénéfice est étendu aux patients normotendus mais protéinuriques qui doivent donc être traités.
En labsence de données objectives concernant leurs effets potentiels sur la progression de linsuffisance rénale, les antagonistes des récepteurs AT1 de langiotensine II ne doivent pas être considérés comme équivalents aux IEC, jusquà ce quil y ait une preuve définitive de leur bénéfice au cours des maladies rénales.
En conclusion, le traitement de lhypertension est indiqué à tous les stades des maladies rénales. Il est préférable de recourir demblée à un IEC bien quil ne soit pas définitivement établi si leffet bénéfique observé est lié à un meilleur contrôle tensionnel ou à un effet spécifique notamment sur la protéinurie. Globalement le traitement antihypertenseur par IEC est beaucoup plus efficace et moins contraignant que le régime restreint en protide. Il sy associe de plus un bénéfice démontré sur la prévention cardiovasculaire et labsence de risque de dénutrition.