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OBJECTIFS
  • Apprécier l'extrème fréquence de la cardiopathie urémique (à tous les stades de l'urémie) et sa valeur pronostique péjorative
  • Savoir différentier la dysfonction systolique et la dysfonction diastolique (malgré une présentation clinique identique)
  • Reconnaître et traiter les facteurs favorisants la cardiopathie urémique.

 
NephroHUS Online PLAN DU CHAPITRE
 

Epidémiologie

Les maladies cardiovasculaires représentent la principale cause de mortalité chez les sujets urémiques traités par dialyse (environ 50%) et l'incidence de la mortalité cardiaque est environ 5 à 10 fois plus élevée que celle de la population générale de référence (d'âge comparable) [1]. Cette mortalité cardiovasculaire est liée non seulement à l'ischémie myocardique (30 - 50% des décès cardiaques par nécrose myocardique) mais aussi et surtout à l'insuffisance cardiaque et à la mort subite.

Les maladies cardiovasculaires sont également responsables d'une importante morbidité chez le dialysé. Dans l'étude canadienne, la probabilité annuelle d'hospitalisation pour un épisode d'insuffisance cardiaque congestive nécessitant une ultrafiltration supplémentaire est de 10% [2]. La probabilité annuelle d'hospitalisation pour ischémie coronaire symptomatique (angor ou nécrose myocardique ) est également d'environ 10% [3].

La prévalence des anomalies cardiaques est élevée chez les sujets urémiques y compris pendant la phase précédant la mise en dialyse. Fliser et al [4] observent ainsi que parmi 81 sujets insuffisants rénaux hypertendus (créatinine plasmatique médiane 200 µmol/l), 17 arrivent en insuffisance rénale terminale en 36 mois de suivi alors que 12 décèdent dont 10 de cause cardiaque. Chez ces patients, le risque de décéder de cause cardiaque est donc pratiquement aussi important que celui d'aboutir à l'insuffisance rénale terminale et la dialyse !

La prévalence des anomalies cardiaques est élevée chez les patients urémiques au moment de la mise en dialyse. Ce fait est bien établi lorsque les patients sont systématiquement évalués par échocardiographie, un examen non invasif indispensable pour caractériser les anomalies cardiaques et leur traitement. Dans l'étude multicentrique canadienne qui a étudié 433 patients mis en dialyse et suivis prospectivement pendant 41 mois en moyenne [5], les manifestations cardiaques cliniques sont fréquentes : insuffisance coronaire 15 %, angor 19 %, insuffisance cardiaque 31 %, troubles du rythme 7 %, artériopathie périphérique 8 %. L'étude échocardiographique retrouve une prévalence encore plus marquée des anomalies cardiaques : dysfonction systolique 15 %, dilatation ventriculaire gauche 32 %, hypertrophie ventriculaire gauche 74 %, seulement 15 % des patients sont exempts de toute anomalie échocardiographique !

Lors de la mise en dialyse, la présence d'une insuffisance cardiaque congestive est liée pour moitié à une dysfonction systolique celle-ci étant le plus souvent associée à une dilatation du ventricule gauche, et, pour moitié à une dysfonction diastolique. L'insuffisance coronaire (angor ou nécrose myocardique) est un facteur de risque additionnel et indépendant de l'insuffisance cardiaque congestive [2].

La présence d'une insuffisance cardiaque congestive au moment de la mise en dialyse (31% des patients survivant aux 6 premiers mois en dialyse) est un prédicteur important de la mortalité cardiovasculaire et globale en dialyse (médiane de survie 32 mois, vs 62 mois, p<0.0001) [2]. Les facteurs de risque d'une insuffisance cardiaque congestive lors de la mise en dialyse sont : une dysfonction ventriculaire gauche systolique, l'âge, la présence d'un diabète ou d'une insuffisance coronaire. De plus, 7% des patients dialysés développent chaque année une insuffisance cardiaque congestive dont la survenue de novo est favorisée par l'âge, l'anémie, l'hypoalbuminémie et l'hypertension pendant le traitement dialytique et la dysfonction systolique [2].

La dysfonction systolique définie par une fraction de raccourcissement < 25 % à l'échocardiogaphie ou une fraction d'éjection < 40 %, concerne 15 % des patients lors de la mise en dialyse. La dysfonction systolique a un pronostic défavorable avec une médiane de survie de 43 mois contre 54 mois chez les patients sans cette anomalie [5]. La dysfonction systolique est fortement associée à l'insuffisance coronaire (odd ratio 3.13) et fortement correlée à la présence des 2 autres anomalies échocardiographiques, la dilatation ventriculaire gauche et l'hypertrophie ventriculaire gauche (HVG).

L'hypertrophie ventriculaire gauche est particulièrement fréquente chez les sujets urémiques : environ 75% des patients lors de la mise en route du traitement dialytique. L'HVG est généralement mise en évidence par échocardiographie, la définition étant un indice de masse ventriculaire gauche calculé ?134 et ?110 g/m2 de surface corporelle chez l'homme et chez la femme respectivement. L'échocardiographie est une technique assez fiable et reproductible de mesure de la masse ventriculaire [6]. Chez le dialysé, certaines limitations du calcul de l'indice de masse ventriculaire gauche doivent être reconnues notamment l'influence de l'état d'hydratation [6] (Voir "Considérations méthodologiques").

voir la figure "Hypertrophie ventriculaire gauche chez un patient insuffisant rénal. Il s'agit en fait d'une augmentation de la masse ventriculaire gauche liée à une augmentation considérable du tissu interstitiel par une fibrose intercardiomyocytaire.

L'HVG est un prédicteur indépendant de la mortalité cardiaque chez le dialysé comme chez le sujet hypertendu "essentiel". Parmi les patients dialysés qui présentent une HVG, les deux-tiers décèdent d'insuffisance cardiaque ou de mort subite. La mortalité à 5 ans augmente de 23 % à 52 % selon que l'indice de masse ventriculaire gauche est inférieur ou supérieur à 125g/m2 [7].

Ces observations peuvent encore être affinées par l'étude de la géométrie ventriculaire gauche. Globalement 3 situations peuvent se présenter en-dehors de la normale : hypertrophie concentrique (masse élevée, rapport masse/volume élevé) surtout secondaire à une surcharge de pression (HTA, rétrécissement aortique) ; hypertrophie excentrique (masse élevée avec rapport masse/volume normal) qui survient essentiellement comme une réponse physiologique appropriée à une surcharge de volume ; remodelage (dilatation ventriculaire gauche sans hypertrophie, rapport masse/volume bas). Dans cette situation l'incapacité à augmenter l'épaisseur pariétale ventriculaire gauche peut être délétère car la tension pariétale augmente, ce qui accroit les besoins en O2.

Dans l'étude prospective canadienne évaluant l'influence de la géométrie du ventricule gauche et de la fonction systolique sur la mortalité, une HVG et une dilatation ventriculaire gauche sont présentes lors de la mise en dialyse chez 74 et 36% des patients respectivement [8] . Ces éléments échocardiographiques basés sur la mesure de la masse ventriculaire gauche et du volume de la cavité ventriculaire gauche sont les meilleurs prédicteurs de la mortalité tardive (après 2 ans en dialyse) après ajustement pour différents facteurs de risque tels que l'âge, le sexe, le diabète, l'insuffisance coronaire, l'hypertension artérielle, l'hémoglobinémie et l'albuminémie [8].

Chez les patients avec un volume ventriculaire gauche normal (< 90 ml/m2) et une fonction systolique normale, un indice de masse ventriculaire gauche élevé (> 120 g/m2) et un rapport masse/volume élevé (> 2.2 g/ml) sont indépendamment prédicteurs de mortalité tardive avec un risque relatif de 3.3 et 2.3 respectivement. Chez les patients à dilatation ventriculaire gauche et fonction systolique normale initialement, un volume ventriculaire gauche élevé (> 120 ml/m2) et un rapport masse/volume abaissé (< 1.8 g/ml) sont des prédicteurs indépendants de la mortalité tardive avec un risque relatif de 17.1 et 4.3 respectivement [8]. Cette étude illustre donc l'importance et la valeur prédictive de la géométrie ventriculaire gauche sur la mortalité chez les patients dialysés.

Les patients dialysés avec une HVG sans dilatation ventriculaire gauche tendent à être plus âgés et avoir plus souvent une histoire de diabète, d'hypertension et d'anémie à la première dialyse et une insuffisance coronaire. Les patients avec dilatation ventriculaire gauche sans hypertrophie sont plus souvent des hommes âgés, anémiques initialement et ayant une phosphatémie plus élevée et une albuminémie plus basse.

Il faut également souligner qu'en raison de la prévalence importante de ces anomalies (HVG et dilatation ventriculaire gauche) lors de la mise en dialyse, les principaux facteurs de risque de mortalité cardiovasculaire en dialyse sont déterminés pendant la phase prédialytique ; il est vraisemblable que la dilatation ventriculaire gauche représente un marqueur de surcharge volémique et/ou de dénutrition liées à une période d'urémie prédialytique sévère et prolongée (mise en dialyse tardive, absence de suivi néphrologique).

Considérations méthodologiques concernant le calcul de la masse ventriculaire et l'évaluation de la fonction diastolique chez l'urémique :

Chez le dialysé, certaines limitations concernant le calcul de l'index de masse ventriculaire gauche doivent être reconnues. La formule cubique qui donne la masse ventriculaire gauche (fonction de l'épaisseur pariétale du septum et de la paroi postérieure et de la dimension interne du ventricule gauche) est très sensible aux variations du diamètre diastolique interne des cavités, celui-ci étant considérablement modifié par les variations volémiques induites par la séance d'hémodialyse. On peut ainsi établir qu'une diminution de 5 mm du diamètre diastolique interne sans modification de l'épaisseur pariétale simule une variation de masse ventriculaire gauche de 17-18 % [33]. Pour cette raison, il est souhaitable que l'étude échocardiographique soit standardisée en terme de délai par rapport à la séance d'hémodialyse. Un choix raisonnable semble être 15-20 h après la séance, une période à léquelle la volémie semble comparable à celle des sujets témoins [34].

L'étude non invasive de la fonction diastolique du ventricule gauche est classiquement établie par l'analyse échodoppler du flux transmitral. Le flux enregistré est biphasique, composé d'une onde E protodiastolique (remplissage précoce) et d'une onde A télédiastolique sous la dépendance de la contraction auriculaire. Un flux inversé (aspect eA) traduit un trouble de la relaxation du ventricule gauche chez le sujet à volémie normale et constante. Cependant le rapport E/A dépend de nombreuses variables telles que l'âge, la fréquence cardiaque et les conditions de précharge du ventricule gauche.

Lorsque la précharge ventriculaire gauche diminue, à l'occasion d'une hypovolémie par exemple, le gradient de pression transmitral diminue (baisse de vélocité de E, aspect eA). Cet aspect, facilement obtenu chez le dialysé par une ultrafiltration "aggressive", simule donc de façon erronée des anomalies de remplissage diastolique [29, 30, 35].

Facteurs déterminant l'atteinte cardiaque

Anémie

L'influence de l'anémie sur la géométrie du ventricule gauche est mise en évidence dans plusieurs travaux. London et al. [9] retrouvent ainsi une relation inverse entre la concentration d'hémoglobine d'une part, la dilatation (volume télédiastolique) et la masse ventriculaire gauche d'autre part.

La correction (partielle) de l'anémie par érythropoiétine (EPO) normalise le débit cardiaque et tend à corriger la dilatation et la masse ventriculaire gauche. Sur les 15 études publiées, la masse ventriculaire gauche régresse en moyenne de 18 % (extrêmes 4-34 %) sans jamais se normaliser totalement. Ce succès partiel peut être lié soit au caractère multifactoriel de l'HVG (persistance de la fistule artério-veineuse, de l'hyperhydratation), à une correction insuffisante de l'anémie (taux optimal ?) ou à des mécanismes "compensateurs" notamment l'aggravation de l'HTA comme le suggère l'augmentation paradoxale de l'épaisseur de la paroi postérieure sous EPO [10]. Ces observations illustrent la nécessité d'un contrôle tensionnel rigoureux lors de la correction de l'anémie par EPO, sous peine de perdre certains des bénéfices attendus sur la géométrie du ventricule gauche.

Dans l'étude prospective canadienne [11] le degré d'anémie est significativement et indépendamment associé à la morbidité cardio-vasculaire. L'anémie est un prédicteur de l'insuffisance cardiaque congestive lors de la mise en dialyse (risque relatif 1.49 par baisse de 1 g/dl d'Hb) et de récidive d'insuffisance cardiaque congestive lors du suivi (risque relatif 1.25 par baisse de 1 g/dl d'Hb). L'anémie est également un prédicteur de l'apparition d'une insuffisance cardiaque congestive de novo au cours du traitement par dialyse (risque relatif 1.49 par baisse de 1 g/dl d'Hb) et ceci indépendamment de l'âge, de l'hypoalbuminémie ou de l'HTA. L'anémie est enfin un facteur de risque de mortalité, augmentant ce risque de 18 % par palier de 1 g d'Hb en moins.

Il est vraisemblable (mais non prouvé à ce jour !) que la correction de l'anémie par EPO apporte des bénéfices en terme de morbidité et de mortalité cardio-vasculaire en partie par l'amélioration de la géométrie ventriculaire gauche mais aussi en partie en améliorant la tolérance ischémique du myocarde.

Pression artérielle

L'HTA, notamment l'HTA systolique est particulièrement fréquente chez les sujets traités par hémodialyse [12, 13]. L'hypertension systolique, est un facteur indépendant de survenue d'HVG avec cependant une relation assez faible (r2 = 10 à 15 %). Par contre, la masse ventriculaire gauche est mieux corrélée (inversement) avec le pourcentage de réduction tensionnelle nocturne [14]. L'absence de baisse tensionnelle nocturne ("non dipper") est fréquente chez l'urémique [12, 13].

L'absence de correlation forte entre HVG et pression artérielle, telle que mesurée, n'est pas très surprenante. Dans la plupart des études, la pression artérielle est mesurée ponctuellement juste avant le branchement (situation de stress, etc...) et celle-ci n'est pas bien correlée à la pression artérielle ambulatoire (MAPA) [12]. Par ailleurs, le développement de l'HVG nécessite plusieurs mois et probablement plusieurs années. C'est encore souligner que les facteurs de risque de mortalité cardio-vasculaire en dialyse se constituent au cours de la phase d'urémie prédialytique [15].

Dans certains cas, l'HVG est dissociée de la pression artérielle. Dans l'étude de Hüting et al. l'épaisseur pariétale ventriculaire gauche augmente progressivement avec le temps chez des patients diaysés strictement normotendus [16, 17].

Il est vraisemblable que l'HVG n'est pas directement conséquence de la pression artérielle mais que ces deux facteurs sont fortement correlées à l'impédance aortique. Plusieurs déterminants de l'impédance aortique sont altérés chez les patients dialysés. Notamment la distensibilité aortique et des gros troncs artériels est diminuée et la synchronisation des ondes de réflection artérielle est altérée par la rigidité artérielle, ces deux facteurs sont associés à la survenue d'une HVG indépendamment des valeurs de pression artérielle moyenne (voir le chapitre de G. London). Il résulte de ces anomalies une augmentation de l'amplitude de la pression artérielle (augmentation de la pression systolique et de la pression pulsée). L'importance de ce facteur est illustrée par une étude expérimentale chez le chien dans laquelle le remplacement de l'aorte par un tube non-élastique interposé entre le coeur et les artères périphériques induit une HVG alors que la pression artérielle moyenne (PAM) est inchangée [18].

Peu d'études ont évalué la régression de l'HVG du dialysé par des traitements antihypertenseurs. Cannella et al. [19] observent dans une très petite série (8 patients!) de sujets hémodialysés qu'une triple thérapie associant ß-bloqueur, antagoniste calcique et IEC permet une réduction significative de la masse ventriculaire gauche associée à une baisse franche de la pression artérielle. Dans une autre étude avec des IEC administrés sans chercher à diminuer les chiffres tensionnels antérieurs [20], il n'est pas retrouvé de régression de la masse ventriculaire gauche (10 patients, 6 mois). Si elles sont confirmées, ces études suggèrent que la régression de la masse ventriculaire gauche est possible chez les sujets dialysés à la condition d'un abaissement net des valeurs tensionnelles.

Il faut cependant souligner que les relations entre pression artérielle et mortalité cardio-vasculaire sont loin d'être univoques chez les patients dialysés. Chez des patients dialysés depuis plus de 10 ans, Neff et al. (Neff AJM 83) notent que les survivants ont une pression artérielle diastolique plus élevée lors de la mise en dialyse. Inversement Charra et al. [17] montrent que la mortalité totale et cardio-vasculaire est nettement plus basse chez les patients dont la PAM est < 99 mmHg : 84 % de survie à 10 ans contre 62 % pour les patients dont la PAM est > 99 mmHg. Remarquons cependant que le maintien d'une pression artérielle strictement normale par des séances d'hémodialyse longues et en l'absence de traitement antihypertenseur, n'empêche pas la survenue d'une HVG [17].

Fistule artério-veineuse (FAV)

La FAV est une néo-circulation caractérisée par une résistance vasculaire basse et un retour veineux augmenté. Il en résulte une augmentation du débit cardiaque proportionnelle au débit de la FAV. Classiquement les FAV à haut débit favorisent l'insuffisance cardiaque et la dilatation ventriculaire gauche [9], ces anomalies étant réversibles après correction chirurgicale de la FAV.

Rétention hydrosodée

Plusieurs études ont établi le rôle de la surcharge volémique dans la dilatation ventriculaire gauche. Inversement l'ultrafiltration perdialytique réduit le volume ventriculaire gauche, probablement au prix d'une hypovolémie transitoire [9]. Il existe une corrélation entre la prise de poids interdialytique d'une part et le volume et la masse ventriculaires gauches d'autre part (hypertrophie eccentrique). Curieusement, dans l'étude canadienne [2], la survenue d'une insuffisance cardiaque congestive de novo n'est pas directement associée à la prise de poids interdialytique (mais celle-ci est exprimée en kg et non pas en % du poids du corps comme cela est nécessaire).

Il est par contre possible de limiter la dilatation ventriculaire gauche en maintenant au long cours les patients au plus près de leur poids sec [16]; cette approche nécessite probablement le recours à la mesure du diamètre de la veine cave inférieure plutôt qu'aux signes cliniques trops tardifs [21] .

Autres facteurs

La mesure de la masse ventriculaire gauche ne différencie pas la part liée à l'hypertrophie cellulaire et celle de la fibrose interstitielle intercardiomyocytaire. Plusieurs études anatomiques chez l'animal et chez l'homme urémiques montrent que l'augmentation de la masse ventriculaire gauche s'accompagne d'une augmentation significative de la fibrose interstitielle cardiaque. La parathormone semble, dans ce contexte urémique, jouer un rôle permissif pour l'expression de cette fibrose intercardiomyocytaire [22].

Des anomalies de la microvascularisation intramyocardique ont également été notées chez l'animal urémique [23] . Ces anomalies comprennent une diminution de la densité capillaire ainsi qu'un épaississement pariétal des artérioles intramyocardiques (lié à une hyperplasie des cellules musculaires lisses vasculaires).

La diminution de la densité capillaire augmente la distance de diffusion de l'O2 et donc le risque d'ischémie cellulaire [24] . Cette observation doit être rapprochée de la fréquence chez les patients urémiques d'ischémies coronaires symptomatiques sans anomalies coronaires angiographiques. Notons aussi que ces anomalies de l'angiogénèse lors du développement de l'HVG chez l'animal urémique semblent prévenues par un traitement IEC ou sympatholytique [25].

Conséquences fonctionnelles

Sur le plan clinique, il n'est pas possible de différencier la dysfonction systolique de la dysfonction diastolique du ventricule gauche qui se manifestent dans les deux cas par insuffisance cardiaque congestive, oedème pulmonaire et hypotension perdialytique [5]. Cependant les mécanismes physiopathologiques, les conséquences fonctionnelles et les possibilités thérapeutiques sont bien différentes. C'est souligner encore le caractère indispensable du diagnostic échocardiographique. En général la dysfonction systolique est associée à une cardiopathie dilatée (fraction d'éjection basse avec diamètre diastolique du ventricule gauche augmenté) alors que la dysfonction diastolique est plutôt associée à une HVG concentrique [5].

La dysfonction diastolique du ventricule gauche est l'anomalie fonctionnelle la plus prévalente chez le sujet urémique : 50 à 60 % des patients, retrouvée aussi bien chez les sujets traités par hémodialyse, dialyse péritonéale ou transplantation rénale [26]. La dysfontion diastolique est habituellement associée à une HVG mais les deux phénomènes peuvent être dissociés : en DPCA, la dysfonction diastolique s'observe aussi bien chez les patients avec ou sans HVG. Chez les transplantés rénaux (1.5 année postgreffe), la dysfonction ventriculaire gauche ne s'améliore pas malgré une réduction significative de la masse ventriculaire gauche [26]. Cette dissociation fonction diastolique-masse ventriculaire gauche peut être liée à d'autres facteurs en particulier la fibrose intercardiomyocytaire (altération de la relation contrainte-étirement) ou l'ischémie myocardique (hétérogénéité et prolongation de la relaxation ventriculaire gauche à laquelle peut s'ajouter plus tardivement une augmentation de la rigidité musculaire liée à des zones de fibrose cicatricielle post-infarctus).

La dysfonction diastolique peut être définie comme l'incapacité du ventricule gauche à se remplir sans une augmentation disproportionnée de la pression ventriculaire. Ainsi la relation volume-pression est déplacée vers la gauche et anormalement pentue chez le sujet dialysé traduisant la compliance (distensibilité) réduite du ventricule [27] . En raison de cette faible compliance, une petite augmentation de la précharge entraîne une élévation marquée de la pression ventriculaire gauche et d'amont et donc un oedème pulmonaire. Inversement une petite diminution de la pression de remplissage effondre le volume d'éjection systolique et donc le débit cardiaque, ce qui est responsable d'hypotension perdialytique en cas d'ultrafiltration trop rapide. En raison de la diminution de la compliance ventriculaire, ces patients ont une marge extrêmement réduite entre l'hyper- et l'hypovolémie, tolérance encore aggravée par la réduction de la compliance veineuse (situation définie par un rapport très faible entre les variations du volume plasmatique et celle de la pression veineuse centrale [28].

La dysfonction diastolique du ventricule gauche est ainsi associée à une mortalité périopératoire élevée, liée à l'oedème pulmonaire, lors de la transplantation rénale [26]. Inversement, la dysfonction diastolique (ainsi qu'un rapport masse/volume ventriculaire gauche élevé) est associée à une incidence élevée d'hypotension perdialytique [29, 30] . Cette association pourrait expliquer l'incidence élevée de mort subite chez le dialysé. Les diabétiques de type 2 faisant deux ou plus épisodes hebdomadaires d'hypotension perdialytique (< 80 mmHg) ont un risque augmenté de mort cardiaque [31]. La chute tensionnelle en dessous du seuil d'autorégulation coronaire semble favoriser la mortalité cardiaque par l'intermédiaire d'épisodes d'ischémie myocardique intermittents.

En raison de la grande sensibilité à l'hyper- ou à l'hypovolémie, les modifications brutales des volumes hydriques doivent être évitées chez ces patients. Une attention toute particulière doit être accordée à la détermination d'un poids sec optimal et l'ultrafiltration brutale doit être évitée (ainsi que la dialyse "courte"); la dialyse péritonéale peut s'avérer une option intéressante dans certains cas. En raison de l'importance de la contraction auriculaire pour assurer le remplissage ventriculaire, le maintien d'un rythme sinusal est absolument primordial. La survenue d'une fibrillation auriculaire dans ce contexte expose tout particulièrement à l'oedème pulmonaire et au bas débit cardiaque.

Le choix d'un traitement antihypertenseur adéquat est d'une grande importance pour réduire la masse ventriculaire et améliorer les anomalies de la fonction diastolique. Les vasodilatateurs qui modifient rapidement la précharge ou la postcharge doivent être évités. Les ß-bloqueurs et les antagonistes calciques bradycardisants (mais pas les dihydropyridines vasodilatatrices d'action rapide) doivent être préférés en raison de leur potentiel à augmenter le temps de relaxation ventriculaire et la durée du temps de remplissage. Rappelons que les inotropes positifs (digitaliques, amrinone, dobutamine) sont contre-indiqués dans ce contexte en raison du risque d'asystolie syncopale par réduction du remplissage ventriculaire.

Rappellons enfin que la transplantation rénale améliore l'ensemble des anomalies cardiaques (hypertrophie concentrique, dilation ventriculaire gauche) et en particulier la dysfonction systolique [32] . La présence de ces anomalies cardiaques (en l'absence d'insuffisance coronaire patente) ne doit donc pas constituer un prétexte pour ne pas transplanter ces patients.

L'ischémie coronarienne est fréquente chez le dialysé même en l'absence de lésions angiographiquement décelable des artères coronaires. Ceci peut être expliqué par de nombreux facteurs dont la baisse de la densité capillaire coronaire, l'augmentation de la tension pariétale et des besoins en O2, la baisse de la pression de perfusion coronaire diastolique, secondaires à l'augmentation de la pression pulsée. L'impact potentiel de la normalisation du taux d'hémoglobine sous EPO laisse présager des développements intéressants dans cette direction.

La survenue fréquente d'arythmies ventriculaires est multifactorielle, favorisée par l'HVG, la fibrose interstitielle, les modifications ioniques perdialytiques (hypokaliémie, hypercalcémie) et participe vraisemblablement à l'incidence élevée de mort subite chez les sujets dialysés.

Conclusions

La cardiomyopathie "urémique" est hétérogène (dysfonction systolique ou diastolique) et multifactorielle. Le terme "urémique" est trompeur parce qu'il suggère que l'ensemble des anomalies cardiaques est liée à l'intoxication urémique. En réalité, la cardiopathie urémique dépend largement de facteurs non spécifiques et potentiellement réversibles : anémie, HTA, hyperhydratation. C'est l'association de ces facteurs et surtout leur persistance qui est relativement spécifique de l'urémie.

Les anomalies cardiaques échocardiogaphiques sont logiquement des prédicteurs puissants de la mortalité (globale et cardiaque) en dialyse ; ces anomalies sont habituellement présentes dès le début du traitement dialytique. Ceci souligne l'importance de reconnaître et de corriger les anomalies cardiaques et leurs facteurs de risque, précocément au cours de la phase urémique prédialytique.

Pr T.Hannedouche

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Mise-à-jour :  Sam 6 mai 2000

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