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OBJECTIFS
  • Reconnaître le caractère tardif de la symptomatologie rénale (protéinurie, insuffisance rénale) en regard de la précocité des lésions histologiques.
  • Connaître la prévalence d'affections rénales autres non liées au diabète en particulier dans le type2.
  • Savoir les indications de la biopsie rénale en pratique courante.

 
NephroHUS Online PLAN DU CHAPITRE
 

1.Introduction

La néphropathie diabétique est l'étiologie la plus fréquente d'insuffisance rénale terminale et sa prévalence ne cesse d'augmenter ces dernières années. Elle représente selon les pays, la cause de l'atteinte rénale de 20 à 45 % des nouveaux patients débutant la dialyse. L'insuffisance rénale à elle seule est responsable de la surmortalité de la population diabétique, les patients sans atteinte rénale ayant une mortalité semblable à celle de la population générale. Elle concerne 35 à 45 % des diabétiques, l'atteinte rénale survenant en moyenne 15 ans après la découverte du diabète.

2.Diabète de type 1

Histologiquement, la néphropathie diabétique associe 2 lésions essentielles : un épaississement de la membrane basale glomérulaire et une augmentation (absolue et fractionnelle) du volume mésangial essentiellement par expansion de la matrice extra-cellulaire par un matériel hyalin, PAS positif. Les études immunohistochimiques ont montré que ce matériel glycoprotéique contenait des quantités importantes d'AGE, les produits terminaux irréversibles de glycation non-enzymatique (1). L'expansion mésangiale contribue à la réduction de la surface de filtration efficace et aboutit au stade ultime à l'occlusion capillaire totale dénomée glomérulosclérose globale. Alors que l'expansion mésangiale diffuse est observée dans tous les cas de néphropathie diabétique, les lésions nodulaires réalisant l'aspect typique décrit par Kimmelstiel & Wilson (2) ne sont observées que dans 20% des cas (3).

lésions nodulaires (photo) réalisant l'aspect typique décrit par Kimmelstiel & Wilson
Des études histologiques itératives effectuées sur des reins transplantés à des receveurs diabétiques ont montré que ces lésions apparaissaient successivement dans l'évolution de la glomérulopathie diabétique (4).

A ces lésions glomérulaires s'associent des dépôts hyalins sur les artérioles afférentes et efférentes et des exsudats hyalins sous-endothéliaux et dans la capsule de Bowman .

Exsudats hyalins sous-endothéliaux et dans la capsule de Bowman (photo).
La hyalinisation de l'artériole afférente joue probalement un rôle fonctionnel délétère en altérant l'autorégulation circulatoire du glomérule ce qui permet la transmission d'une fraction plus importante de la pression systémique dans le glomérule et y majore l'amplitude de la pression pulsée. Les atteintes interstitielles et tubulaires surviennent plus tardivement dans l'évolution de la maladie.

A ces altérations histologiques correspondent schématiquement les différents stades cliniques de la néphropathie diabétique : microalbuminurie, puis protéinurie et enfin diminution du débit de filtration glomérulaire. La présence d'une microalbuminurie isolée (fonction rénale normale, pas d'hypertension artérielle) indique quasi-constamment une augmentation de l'épaisseur de la membrane basale glomérulaire ainsi qu'une augmentation du volume mésangial dans la moitié des cas (5,6). La sévérité des anomalies histologiques est grossièrement proportionnelle au degré de microalbuminurie (6). Les lésions avancées similaires à celles retrouvées chez les malades ayant une protéinurie > 300 mg /j sont déjà très fréquentes lorsque la microalbuminurie est > 45 mg/j (6).

Cependant, les corrélations entre les aspects histologiques et les altérations fonctionnelles rénales ne sont pas absolues. L'épaisseur de la membrane basale glomérulaire est certes augmentée chez tous les patients ayant une microalbuminurie, mais elle l'est également chez près de la moitié des diabétiques sans albuminurie décelable (7). De même, le volume mésangial est augmenté chez la moitié des patients en l'absence de toute albuminurie ou microalbuminurie (5,6). La néphropathie diabétique caractérisée par une atteinte histologique glomérulaire semble pouvoir mener à l'insuffisance rénale sans que la microalbuminurie n'apparaisse, en particulier chez les femmes (8).

Globalement on peut donc conclure que la microalbuminurie est l'expression clinique inconstante et tardive de la néphropathie diabétique histologique. La microalbuminurie n'est donc pas un prédicteur de risque mais un indicateur d'atteinte rénale déjà constituée ce qui explique sa très forte valeur prédictive d'insuffisance rénale terminale. C'est probablement dès ce stade de microalbuminurie que se joue l'avenir rénal du diabétique justifiant les investigations approfondies et les thérapeutiques néphroprotectrices.

La survenue d'une protéinurie après 10 ans d'évolution chez un diabétique de type 1, traduit l'existence d'une glomérulopathie diabétique dans plus de 95 % des cas (3). Ce pourcentage est proche de 100% en cas de rétinopathie diabétique associée. La biopsie rénale à visée diagnostique n'a probablement que peu d'intérêt dans ces conditions. Il faut cependant rester attentif dans l'évaluation de ces patients, en particulier s'il existe une présentation clinique atypique comme un délai trop court entre le début du diabète et l'apparition des signes rénaux, l'absence de protéinurie ou de rétinopathie, la présence d'une hématurie, un syndrome néphrotique d'apparition brutale, une altération rapide de la fonction rénale sans cause évidente ou des signes extra-rénaux de maladie systémique (9). En cas de présentation atypique, la prévalence des néphropathies non diabétiques chez des diabétiques de type 1 peut atteindre 12 à 28 % (10,11). Dans ces situations, l'intérêt de la biopsie rénale est thérapeutique mais aussi pronostique, compte tenu du rythme évolutif rapide de la néphropathie diabétique et du risque vasculaire général qui lui est associé.

La transplantation pancréatique isolée nous apporte des informations précieuses sur l'évolution des lésions histologiques de la néphropathie diabétique après normalisation du contrôle métabolique. Dans l'étude de Fioretto & al., il n'est noté aucune amélioration significative des paramètres morphologiques rénaux après 5 ans de normoglycémie stricte : l'épaisseur de la membrane basale glomérulaire est inchangée et le volume fractionnel mésangial augmente (12). Ceci, de pair avec l'aggravation des paramètres fonctionnels rénaux (liée à la cyclosporine), permet de conclure qu'au stade de lésions diabétiques installées, même mineures, le contrôle glycémique n'a plus d'importance décisive et que la transplantation pancréatique isolée n'a pas d'indication pour le traitement de la néphropathie diabétique avérée.

3.Diabète de type 2

La proportion exacte de sujets diabétiques de type 2 qui développent des lésions glomérulaires (ou rénales) est inconnue. Dans l'étude UGDP (13), une glomérulosclérose nodulaire typique du diabète est observée dans 31 % des cas autopsiques et des modifications suggestives dans 47 % additionnels des cas. Dans une série consécutive post-mortem de 205 diabétiques de type 2, Ritz & al. retrouvent 166 cas (81%) de glomérulosclérose diabétique (14).

Ces études autopsiques suggèrent donc que la plupart des patients diabétiques de type 2 qui développent une insuffisance rénale chronique ont des lésions de néphropathie diabétique (14). Vraisemblablement, la très importante mortalité cardio-vasculaire chez ces patients ne leur laisse pas une espérance de vie suffisante pour exprimer cliniquement les lésions glomérulaires présentes plus précocément (15). La mortalité particulièrement importante chez les diabétiques de type 2 avec une protéinurie > 300 mg/jour a paradoxalement fait sous-estimer la fréquence réelle de l'atteinte rénale dans ce groupe de patients (16).

Les lésions glomérulaires (glomérulosclérose diffuse ou nodulaire) sont en principe similaires dans la néphropathie du diabète de type 1 ou du diabète de type 2. On peut ainsi noter que la description initiale de la glomérulosclérose nodulaire par Kimmelstiel & Wilson remonte à 1936, avant la découverte de l'insuline, et concerne donc les diabètes de type 2 (2). L'hétérogénéïté morphologique est cependant beaucoup plus marquée et fréquente dans le diabète de type 2.

Dans le diabète de type 1, le volume glomérulaire est augmenté précocément à la phase d'installation du diabète et semble diminuer avec le traitement insulinique. L'hypertrophie glomérulaire est moins constamment retrouvée au cours du diabète de type 2.

Deux études autopsiques danoises ne retrouvent pas d'hypertrophie glomérulaire chez des diabétiques de type 2 non compliqués (17). Gambara & al. notent une hypertrophie glomérulaire marquée dans une série italienne (18). Chez les indiens Pima diabétiques de type 2, les glomérules sont également augmentés de taille (par rapport aux sujets blancs) mais ceci préexiste au diabète et l'hypertrophie glomérulaire ne se majore pas avec la survenue du diabète (19). De même, le volume glomérulaire n'est pas différent chez les Pima diabétiques de type 2 avec ou sans protéinurie (20). L'ensemble de ces observations suggère davantage un terrain génétique particulier aux indiens Pima.

L'évolution histologique "naturelle" de la néphropathie du diabète de type 2 ainsi que les correlations structure-fonction ont pu récemment être précisées par une étude semi-transversale chez les indiens Pima qui développent un diabète de type 2 avec un très grande fréquence ainsi qu'une néphropathie diabétique (19). La particularité de ce modèle est liée à la survenue très précoce du diabète (avant les complications de type athéromateux) et une néphropathie glomérulaire pratiquement toujours liée au diabète.

Chez l'indien Pima diabétique de type 2, on note une augmentation de 75 % du volume mésangial et de 15 % de l'épaisseur de la membrane basale glomérulaire après 13 ans en moyenne de durée du diabète ; il n'y a pas en revanche de différences structurales significative entre normo- et microalbuminurie.

Augmentation du volume mésangial fractionel et de l'épaisseur de la membrane basale glomérulaire (photo)

La néphropathie clinique s'accompagne par contre de modifications structurales marquées : augmentation du volume interstitiel fractionnel, glomérulosclérose diffuse avec augmentation du volume des glomérules restants "perméables" (19). L'hypertrophie glomérulaire est corrélée avec l'augmentation du volume mésangial fractionnel ce qui permet de préserver la surface efficace de filtration par glomérule (21). Comme le débit de filtration glomérulaire est négativement corrélé avec le volume mésangial et positivement corrélé avec le volume glomérulaire moyen (22), ceci suggère que l'hypertrophie glomérulaire est un processus adaptatif qui permet le maintien initial de la surface efficace de filtration et donc de la fonction glomérulaire.

L'hypertrophie glomérulaire se fait cependant aux dépens des podocytes sus-jacents. Les podocytes sont des cellules très différenciées qui, comme les neurones, sont incapables de se diviser (23). Ces cellules sont essentielles dans le maintien d'une sélectivité de perméabilité de taille vis à vis des macromolécules en assurant un réseau complexe de pédicelles interdigités.

Au cours du diabète de type 2 chez l'indien Pima, la néphropathie clinique correspond à une réduction du nombre de podocytes par glomérule alors que la surface totale de membrane basale glomérulaire couverte par les podocytes ne change pas (19). Les podocytes restants s'hypertrophient et étirent leurs pédicelles pour couvrir la plus grande surface de membrane basale. Ceci associé au stretch de pression pulsatile régnant dans un capillaire glomérulaire hypertrophié altère la fonction podocytaire (23). La fusion de certains pédicelles diminue le nombre des pores fonctionnels et donc le coefficient d'ultrafiltration à l'eau et aux petits solutés. La disjonction de certains pédicelles ménage des pores volumineux non restrictifs responsables de la protéinurie non sélective. L'atteinte podocytaire semble donc au centre des processus qui aboutissent à la glomérulosclérose.

En dehors des lésions glomérulaires, la fibrose interstitielle est fréquente et, comme dans toutes le atteinte rénales, corrèle bien avec la fonction rénale au moment de la biopsie et avec une évolution péjorative.

La hyalinose artériolaire afférente et les lésions ischémiques d'aval (glomérulaires et tubulaires) sont fréquentes chez les diabétiques de type 2 et leur importance fonctionnelle a probablement été sous-estimée dans le passé. Dans la série de Gambara, 17/52 patients ont des lésions tubulo-interstitielles et ischémiques prédominantes 18 . Dans notre propre série de 42 patients, 32% présentent des lésions prédominantes de fibrose interstitielle, atrophie tubulaire, glomérules ischémiques (rétractés) caractéristiques de néphropathie ischémique (après exclusion de lésions artérielles tronculaires) (24) Voir le tableau "Variété de l'atteinte histologique chez le diabétique de type 2").

Dans la série de Gambara, comme dans la nôtre, il n'existe pas de caractéristiques cliniques permettant de différencier des sous-groupes de patients à lésions glomérulaires ou ischémiques prédominantes (protéinurie, fonction rénale, degré d'hypertension artérielle, ancienneté du diabète, micro ou macro-angiopathie associée sont identiques dans les deux groupes). Il n'est pas encore établi si ces aspects lésionnels diffèrent dans leur évolution et/ou leur réponse au traitement anti-hypertenseur (effet bénéfique des IEC sur la glomérulosclérose, délétère sur les lésions ischémiques?).

Une autre cause d'hétérogénéité des lésions rénales du diabète de type 2 est liée à la coexistence chez ces patients, de lésions rénales d'autre nature que le diabète. Statistiquement, ces lésions coincidentes sont d'autant plus fréquentes que le diabète de type 2 est prévalent dans une population (son incidence augmente avec l'âge) et qu'il survient dans une population âgée susceptible de manifester d'autres complications rénales liées à l'hypertension artérielle (?), au tabac, à l'athérome et aux microembolies de cristaux de cholestérol.

Plusieurs études ont analysé la fréquence des lésions rénales non diabétiques chez les diabétiques de type 2. Selon les séries, 32% en moyenne (extrèmes 16-60%) des patients ont des lésions non liées au diabète (10,18,24-28) (voir le tableau "Variété de l'atteinte histologique chez le diabétique de type 2"). Cette fréquence élevée diffère notablement de la faible prévalence (1 cas de glomérulonéphrite à IgA sur 205) d'autres atteintes rénales dans une série autopsique (14).

Ces différences suggèrent un biais de sélection dans les études biopsiques chez des malades adressés pour une protéinurie abondante. En pratique cependant, parmi les diabétiques de type 2 suivis en milieu néphrologique, environ un-tiers présentent une atteinte rénale non liée au diabète et potentiellement accessible à une thérapeutique spécifique.

Il est difficile en pratique de distinguer l'origine diabétique ou non de l'atteinte rénale sur des bases cliniques ou biologiques. Dans la série de Gambara & al. et la nôtre (18,24), la présentation clinique est similaire (protéinurie, hypertension artérielle, syndrome néphrotique, fonction rénale etc...). Pour Amoah & al. (10) la durée du diabète inférieure à 5 ans n'a pas de valeur prédictive ce qui n'est guère étonnant vu la difficulté habituelle de connaître la date précise de début du diabète. En revanche pour cet auteur, la survenue du diabète à un âge plus tardif, l'absence de neuropathie et l'ethnie caucasoide (versus afro-américaine) sont plus suggestives d'une atteinte non-diabétique. La présence d'une rétinopathie diabétique associée à la protéinurie est fréquemment utilisée pour prédire la nature diabétique de l'atteinte rénale (27). Dans une petite série, Parving & al. retrouvent une valeur prédictive positive de 100% de la rétinopathie en faveur d'une néphropathie diabétique (c'est-à-dire que tous les malades avec une rétinopathie ont une glomérulosclérose diabétique). La valeur prédictive négative n'est par contre que de 41 %. En pratique en l'absence de rétinopathie, les chances sont environ de 50% de trouver une néphropathie d'autre origine que le diabéte, justifiant alors la biopsie rénale (27).

En fait, la valeur prédictive positive absolue de la rétinopathie pour retenir ou éliminer une atteinte rénale d'autre nature n'est pas retrouvée par Amoah & al., Kleinknecht & al. et nous-même (10,11,24) si bien que les indications de la biopsie rénale doivent rester larges chez ces patients surtout s'il existe des signes atypiques déjà évoqués pour le diabète de type 1.

La découverte de lésions rénales non diabétiques peut avoir des implications thérapeutiques spécifiques. Par contre, les conséquences pronostiques d'un tel diagnostic ne sont pas définitivement établies.

Suzuki & al. notent ainsi que la fonction rénale ne change guère pendant dix ans d'observation chez les 20 patients (16 % des cas) diabétiques de type 2 avec une atteinte rénale glomérulaire non liée au diabète (à la différence de ceux ayant une néphropathie diabétique qui perdent 7 à 10 ml/min par an) (26). Au Danemark, Gall & al. notent également que le pronostic d'un diabétique de type 2 est nettement meillleur lorsque la néphropathie n'est une glomérulosclérose diabétique (29). Inversement, au stade de l'insuffisance rénale terminale nécessitant le recours à la dialyse, Ritz & al. ne retrouvent pas de différence significative de durée de survie chez les diabétiques de type 2 avec ou sans atteinte rénale diabétique spécifique (respectivement 47 versus 57 % de survie à 57 mois) (30). A ce stade du traitement par la dialyse, il apparait donc que les taux circulants extrêmement élevés d'AGE et l'association d'une macroangiopathie déterminent davantage l'espérance de survie que la nature des lésions rénales initiales.

4.Indications de la biopsie rénale

La biopsie rénale a une place importante dans l'évaluation physio-pathologique de la néphropathie diabétique ainsi qu'en recherche clinique. En pratique clinique, la place de la biopsie rénale dépend essentiellement du contexte clinique : les indications doivent rester larges dans le diabète de type 2 où environ un tiers des patients ont une atteinte rénale d'autre nature.

Les indications généralement admises de la biopsie rénale au cours du diabète sont les suivantes (9) :

  • diabète de type 1 évoluant depuis moins de 10 ans, avec des signes cliniques de néphropathie.
  • atteinte rénale au cours d'un diabète de type 2 sans rétinopathie.
  • diminution brutale de la fonction glomérulaire (insuffisance rénale aiguë ou rapidement progressive) ou installation subite d'un syndrome néphrotique chez un diabétique (type 1 et type 2)
  • signes cliniques ou biologiques faisant suspecter un autre type d'atteinte rénale (présence d'une hématurie ou de cylindres hématiques, absence de protéinurie, signes extra-rénaux orientant vers une maladie systémique) (type 1 et type 2).


Pr T. Hannedouche

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Mise-à-jour :  Sam 6 mai 2000

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