Les anomalies de la conduction cardiaque induites par l'hyperkaliémie peuvent entraîner un arrêt cardiaque et une mort subite. Il en résulte qu'un contrôle électrocardiographique est essentiel pour le suivi de ces anomalies. On retrouve une relation approximative entre la concentration plasmatique de potassium et les signes électrocardiographiques mais il existe une grande variabilité. Les modifications les plus précoces sont une onde T pointue et ample, liée à une repolarisation plus rapide, et qui surviennent pour des concentrations de potassium plasmatique de 6 à 7 mmol/l. Au-dessus de 7 à 8 mmol/l, la dépolarisation est retardée aboutissant à un élargissement du complexe QRS et puis finalement une perte de l'onde T. Les modifications finales consistent en un élargissement du complexe QRS fusionnant avec l'onde T suivi par la fibrillation ventriculaire.
Causes d'hyperkaliémie
Les principales causes d'hyperkaliémie sont liées soit à un excès d'apport, soit à une redistribution (transfert intra- vers extracellulaire), soit enfin à un défaut d'élimination rénale.
Chez le sujet normal, l'hyperkaliémie est exceptionnelle car les mécanismes d'adaptation sont extrêmement puissants. Lorsque l'apport alimentaire en potassium est augmenté progressivement, l'élimination rénale de potassium augmente parallèlement, un phénomène appelé adaptation potassique qui est lié à l'augmentation du recyclage des canaux potassium dans la membrane apicale du tube collecteur ce qui diminue la réabsorption nette de potassium.
L'augmentation de l'apport alimentaire en potassium n'est donc pas une cause d'hyperkaliémie sauf en cas d'apport très aigu ou chez des sujets dont l'élimination rénale est diminuée (par exemple insuffisance rénale). Dans ce contexte, l'excès d'apport peut induire une hyperkaliémie. Environ 4 % des patients recevant une supplémentation en chlorure de potassium développent une hyperkaliémie. Le risque est plus important lors de l'administration intraveineuse de sels potassiques de pénicilline et lors de transfusions sanguines avec du sang conservé. Certaines préparations de renutrition entérale contiennent également de fortes concentrations de potassium (KCl 40 mmol/l ou plus). En milieu hospitaliser, on estime que environ 50 % de toutes les causes d'hyperkaliémie sont liées à des apports excessifs en supplément de potassium.
La pseudo-hyperkaliémie est une situation dans laquelle l'élévation de la concentration mesurée de potassium plasmatique est liée au relarguage du potassium intracellulaire dans le sang après le prélèvement.
La principale cause en est l'hémolyse après prélèvement veineux sur garrot. Une situation similaire peut s'observer au cours de leucémie ou syndrome myéloprolifératif avec des leucocytes ou des plaquettes fragiles en très grande quantité. En cas de thrombocytose par exemple, la concentration sérique de potassium mesurée augmente d'environ 0,15 mmol/l pour chaque 100 000/ml élévations des plaquettes.
La pseudo-hyperkaliémie doit toujours être suspectée lorsqu'une élévation de la kaliémie survient chez un patient asymptomatique. Un prélèvement veineux soigneux doit être refait sans garrot et en mesurant la concentration plasmatique de potassium.
La plupart des protons qui s'accumulent au cours de l'acidose métabolique sont tamponnés à l'intérieur des cellules. Le principal anion extracellulaire, le chlore rentre peu dans les cellules si bien que l'électroneutralité est préservée par la sortie de potassium et de sodium vers le compartiment extracellulaire. Il en résulte une élévation variable de la concentration plasmatique de potassium d'environ 0,6 mmol/l pour chaque baisse de 0,1 unité pH du liquide extracellulaire.
La kaliémie réellement observée est cependant très variable selon la circonstance sous-jacente. L'importance de l'hyperkaliémie peut être majorée au cours de l'insuffisance rénale chronique avancée en raison de l'acidose métabolique associée. Inversement une diarrhée s'associe plutôt à une déplétion potassique liée aux pertes intestinales directes de potassium. Dans cette situation, la kaliémie est souvent basse même si une partie du potassium sérique provient du transfert intracellulaire. La correction de l'acidose dans ce cas aggrave l'hypokaliémie à moins d'administrer des suppléments en potassium. Les acidoses métaboliques par accumulation danions organiques telles que l'acidose lactique ou l'acidocétose ne s'accompagnent pas ou peu de transfert extracellulaire de potassium. Ceci est lié à l'entrée électroneutre de l'anion organique associé qui suit le proton à l'intérieur de la cellule.
c) Déficit en insuline, hyperglycémie et hyperosmolalité
Dans la mesure où l'insuline favorise l'entrée de potassium dans la cellule, inversement une carence en insuline et l'hyperosmolalité induite par l'hyperglycémie aboutissent souvent à l'hyperkaliémie au cours du diabète mal contrôlé même si les patients sont profondément déplétés en potassium en raison d'une fuite urinaire de potassium (diurèse osmotique). Comme vu précédemment l'hyperkaliémie n'est pas liée directement à l'acidose mais à la carence en insuline et l'hypertonicité extracellulaire qui favorise la sortie d'eau et de potassium de la cellule.
Une situation analogue est observée avec l'administration de mannitol hypertonique ou le développement d'une hypernatrémie, ceci particulièrement chez des sujets ayant une insuffisance rénale.
L'augmentation du catabolisme tissulaire quelle qu'en soit la cause augmente la libération de potassium dans le liquide extracellulaire. Cette situation s'observe au cours des rhabdomyolyses traumatiques, au cours des traitements cytotoxiques chez des patients atteints de lymphome ou de leucémie (syndrome de lyse tumorale) ainsi que chez les patients en état de mort apparente à la suite d'une hypothermie accidentelle sévère.
Les bétabloqueurs non sélectifs interfèrent avec l'entrée et la captation de potassium par les cellules sous l'infuence des récepteurs béta-2-adrénergiques. Chez le sujet normal, ceci aboutit à des augmentations très modestes de la concentration plasmatique de potassium (<0,5 mmol/l). Cet effet et son risque arythmogéne peut être plus important lorsqu'il survient à l'effort. A l'inverse les bétabloqueurs béta 1 sélectifs n'ont pas d'effet significatif sur la kaliémie.
Au cours de l'exercice, le potassium est normalement relargué depuis les cellules musculaires, l'augmentation de la concentration locale de potassium ayant un effet vasodilatateur permettant l'apport sanguin et énergétique aux muscles en exercice. Le degré d'augmentation de la concentration plasmatique de potassium dépend du type de l'exercice : 0,3 - 0,4 mmol/l au cours d'une marche lente, 0,7 à 1,2 mmol/l au cours d'un exercice modéré, jusqu'à 2 mmol/l à la suite d'un exercice maximal. Une acidose lactique associée à des modifications électriques peuvent s'observer dans cette situation. L'augmentation de la concentration plasmatique de potassium retourne à la normale après quelques minutes de repos et s'associe même à une hypokaliémie rebond modérée de 0,4 à 0,5 mmol/l en-dessous de la valeur de base mais qui peut être arythmogène chez certains patients susceptibles. Le degré d'hyperkaliémie à l'effort est majoré par l'administration de bétabloqueur non sélectif.
La contraction répétée du poing pendant la prise de sang peut augmenter la concentration plasmatique de potassium de façon aiguë, jusque 1 mmol/l dans l'avant-bras, ce qui représente une autre forme de pseudo-hyperkaliémie.
La paralysie périodique hyperkaliémique est une maladie autosomique dominante au cours de laquelle des épisodes de faiblesse ou de paralysie musculaire sont généralement précipitées par une exposition au froid ou le repos après un exercice ou encore l'injection de faibles quantités de potassium. Cette maladie résulte d'une mutation ponctuelle dans le gène de la sous-unité alpha du canal sodium musculaire squelettique.
L'administration de dépolarisant de membrane, tel que la succinylcholine chez des patients ayant un traumatisme musculaire ou une maladie neuromusculaire peut induire une hyperkaliémie.
L'administration de chlorydrate d'arginine, qui est en partie métabolisé en acide chlorhydrique, est parfois utilisé pour traiter les alcaloses métaboliques réfractaires. L'entrée de l'arginine cationique dans la cellule favorise la sortie de potassium pour maintenir l'électroneutralité et peut entrainer des hyperkaliémie parfois menaçante.
Une hyperkaliémie peut survenir lorsque l'un ou l'autre des mécanismes intervenant dans l'élimination rénale du potassium est altéré : aldostérone et débit distal de sodium et d'eau.
La capacité d'excréter du potassium est généralement maintenue au cours des maladies rénales tant qu'il persiste une sécrétion d'aldostérone et un débit urinaire suffisant. L'hyperkaliémie se développe généralement chez les patients oliguriques ou qui présentent des problèmes additionnels tel qu'un régime riche en potassium, un catabolisme tissulaire, un hypoaldostéronisme ou un jeûne prolongé notamment chez les patients dialysés : le jeûne diminue l'insulinémie et favorise la résistance à la stimulation béta-adrénergique.
Un surdosage digitalique expose tout particulièrement les patients urémiques à un risque d'hyperkaliémie. Cet effet est lié à l'inhibition dose-dépendante de la pompe NaK-ATPase ubiquitaire et aussi présente au niveau rénal et d'autre part à l'insuffisance rénale qui favorise le surdosage en digitalique.
En l'absence de toute insuffisance rénale, une diminution du volume plasmatique efficace (insuffisance cardiaque, cirrhose hépatique, néphropathie par perte de sel) peut aboutir à une hyperkaliémie par diminution du débit d'eau et de sel au niveau du tube distal.
Toute cause de diminution de la libération ou de l'effet tubulaire de l'aldostérone diminue la sécrétion rénale de potassium et aboutit à l'hyperkaliémie. L'effet sur la concentration plasmatique de potassium est variable mais le risque d'hyperkaliémie est toujours fortement favorisé par la présence d'une insuffisance rénale sous-jacente.
La principale cause d'hypoaldostéronisme chez l'adulte est représentée par l'hypoaldostéronisme hyporéninémique (HH). Ce dernier en l'absence d'étiologie évidente comme une insuffisance rénale avancée ou des diurétiques épargneurs du potassium est responsable d'environ 50 à 75 % des cas d'hyperkaliémie persistante chez l'adulte. La plupart des patients atteints ont une néphropathie diabétique et une diminution modérée de la filtration glomérulaire (entre 20 et 75 ml/mn). La physiopathologie de l'hypoaldostéronisme hyporéninémique n'est pas parfaitement comprise. En plus de la réduction primitive de la synthèse et libération de rénine, il existe également des anomalies intrasurrénaliennes caractérisées par une diminution de la sécrétion d'aldostérone induite par une perfusion d'angiotensine II.
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens constituent une cause médicamenteuse fréquente d'hypoaldostéronisme-hyporéninisme. De plus ces médicaments interfèrent avec la synthèse des métabolites de l'acide arachidonique qui joue un rôle important dans la sécrétion tubulaire distale du potassium (diminution de la probabilité d'ouverture des canaux potassiques).
De nombreux médicaments interfèrent soit avec la synthèse d'aldostérone, soit avec leurs effets au niveau du tube collecteur cortical. Les inhibiteurs de l'enzyme de conversion, les bloqueurs AT1, l'héparine y compris l'héparine de bas poids moléculaire diminuent directement la synthèse d'aldostérone au niveau surrénal. La spirolactone (Aldactone ®) est un bloqueur compétitif des récepteurs nucléaires de l'aldostérone dont elle bloque les effets rénaux et systémiques.
Chez certains patients avec une acidose tubulaire rénale distale de type 1, le défect primitif est une diminution de la réabsorption de sodium dans le tube collecteur cortical. L'inhibition du transport du sodium interfère et réduit à la fois la sécrétion de protons et de potassium aboutissant à une acidose métabolique hyperkaliémique. Cette forme d'acidose tubulaire de type 1 est le plus souvent observée au cours des uropathies obstructives ou de la drépanocytose.
Un mécanisme comparable est reproduit par l'administration de diurétiques dits "épargneurs du potassium" qui bloquent la conductance sodium dans le tube collecteur cortical (lamiloride, Modamide® et le triamtérène, Teriam®). Un effet similaire a été récemment mis en évidence pour les antibiotiques triméthoprime (Wellcopril®) et pentamidine (Pentacarinat®) qui bloquent le canal sodium épithélial apical de la cellule principale et peuvent provoquer une hyperkaliémie. Ceci est observé au cours des traitements par fortes doses de trimetoprime (prévention des pneumopathies à Pneumocystis chez les sujets VIH) qui entraîne régulièrement une augmentation modérée de la kaliémie d'environ 1,1 mmol/l. Cependant chez les sujets âgés ou lorsqu'il existe une insuffisance rénale préexistante, même de petites doses habituelles de sulfaméthoxazole-trimethoprime (Bactrim®, Eusaprim®) peuvent induire une hyperkaliémie.
Sur un plan physiopathologique, l'hypoaldostéronisme induit également des anomalies comparables car l'aldostérone normalement augmente le nombre de canaux sodium ouverts dans la membrane luminale. Cependant comparé à l'hypoaldostéronisme, les sujets ayant une acidose tubulaire de type 1 ont des concentrations normales, voire élevées d'aldostérone et sont incapables d'acidifier normalement l'urine (pH urinaire > 5,5).
Certains patients, le plus souvent avec une néphropathie tubulo-interstitielle aiguë (rejet aiguë de transplantation, néphrite lupique) et/ou un traitement par ciclosporine développent une hyperkaliémie et une diminution de la sécrétion rénale de potassium malgré une concentration normale d'aldostérone et une excrétion sodée suffisante. Cette anomalie qui ne répond pas à l'administration exogène de minéralocorticoïdes a des mécanismes mal connus.
Le pseudo-hypoaldostéronisme de type 2 encore appelé syndrome de Gordon est une affection rare caractérisée par une expansion volémique, une hypertension artérielle, une fonction rénale normale et une hyperkaliémie liées à une diminution de l'excrétion rénale de potassium. Cette maladie autosomique dominante est associée à au moins deux anomalies chromosomiques (chromosome 1 et chromosome 17) mais le mécanisme moléculaire en est inconnu. L'excrétion urinaire de potassium n'augmente pas après administration de chlorure de sodium plus un minéralocorticoïde, mais par contre augmente après l'administration de sodium associée à un anion non chloride tel que le sulfate ou le bicarbonate. La plupart des anomalies semblent être corrigées par l'administration de diurétiques thiazidiques. L'ensemble de ces données physiologiques suggère une augmentation de l'activité du cotransport NCCT sensible aux thiazides, présent dans le tube contourné distal.