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De nombreux médicaments sont éliminés par voie rénale et leur élimination peut être retardée en cas dinsuffisance rénale. En conservant les modes de prescription utilisés chez des sujets normaux, on risque une accumulation dangereuse et des concentrations tissulaires anormalement élevées peuvent favoriser lapparition de nombreux désordres cliniques. Ces effets secondaires sont pourtant évitables. Seront abordés ici certains points de pharmacologie concernant le devenir du médicament dans lorganisme spécifiquement chez les sujets ayant une insuffisance rénale. Sera également schématisée linfluence de ces données sur lemploi des médicaments couramment prescrits chez les urémiques.
1. Modifications pharmacocinétiques du médicament chez lurémique
Le devenir du médicament peut être profondément modifié par linsuffisance rénale chronique à différentes étapes de son métabolisme. Le risque principal est un défaut dexcrétion avec accumulation et un effet toxique dont lexpression est selon les cas neurologique, cutanée, pulmonaire, hépatique ou endocrinienne. Laccumulation des médicaments et de leurs métabolites ne survient que lorsque la fonction rénale est profondément altérée, cest-à-dire lorsque la clairance de la créatinine devient inférieure à 30 40 ml/mn. Le risque daccumulation augmente chez les malades au stade ultime de linsuffisance rénale ayant une filtration glomérulaire inférieure à 10 ou 15 % de la normale.
Labsorption digestive est généralement peu perturbée car la sécrétion gastrique de lurémique est proche de la normale. Des interactions médicamenteuses peuvent cependant modifier labsorption digestive. Les gels dalumine, les sels de calcium peuvent former avec dautres médicaments des complexes insolubles. Les gels dalumine entravent labsorption de nombreux médicaments. A linverse, les gels dalumine (hydrocarbonate par exemple) non absorbables peuvent être transformés en citrate daluminium, très bien absorbé, par la prise concomitante dacide citrique et cette association peut être responsable dintoxication aluminique massive chez lurémique.
Leffet de premier passage hépatique est parfois diminué chez les urémiques. Il en résulte un pic de concentration sanguine supérieur à celui des sujets normaux.
La liaison des médicaments aux protéines plasmatiques est souvent diminuée chez lurémique. Cest le cas des molécules se comportant comme des acides faibles ou des bases faibles. Il sensuit une augmentation de la fraction libre, celle pharmacologiquement active, doù un risque potentiel de toxicité. Lhypoalbuminémie du syndrome néphrotique entraîne une diminution de la fraction fixée aux protéines et une augmentation de la fraction libre dans leau plasmatique. Il y a ainsi un risque de surdosage avec des médicaments très liés aux protéines, comme les hypoglycémiants, les sulfamides, les cyclines, les coumariniques, les salicylés, le furosémide et certains hypocholestérolémiants (fibrates). Chez lurémique, la diffusion du médicament peut être modifiée surtout en cas doedèmes ou de déshydratation. Le volume de distribution des médicaments est proche de celui des sujets normaux lorsque lurémique est en état stable, cest-à-dire volémique. Des modifications peuvent cependant survenir chez lurémique. Lorsque la clairance de la créatinine est inférieure à 10 ml/mn, le volume de distribution de la digoxine diminue de moitié, par contre, celui de la phénytoïne est doublé. Ce dernier cas de figure explique pourquoi les concentrations plasmatiques de phénytoïne sont plus basses chez lurémique que chez le sujet à fonction rénale normale.
La biotransformation est parfois modifiée par lurémie. Les processus doxydation sont habituellement peu touchés et la glycuroconjugaison peu modifiée. Par contre acétylation et hydrolyse sont diminuées. Ainsi lacétylation de lisoniazide et de lacide para-amino-salicylique nest que partielle , lhydrolyse de la céphalotine, de la procaïne et du glucagon est diminuée. Lexemple le plus démonstratif est celui de linsuline qui est en partie inactivée par lhydrolyse au cours de son parcours rénal. Cette inactivation diminue en cas dinsuffisance rénale importante si bien que la demi-vie de linsuline est allongée. Il est pour cette raison souvent nécessaire de diminuer les doses dinsuline dun diabétique au fur et à mesure que linsuffisance rénale saggrave. Un autre exemple est celui de lhydroxylation rénale du 25-hydroxy-vit D3 (calcidiol) en 1,25 dihydroxy-vit D3 (calcitriol) qui est indispensable pour que la vitamine D soit active. En cas dinsuffisance rénale, le défaut dhydroxylation rend compte de linefficacité partielle de la vitamine D.
Il est parfois noté dès la première prise dun médicament des effets indésirables exagérés chez lurémique. Ces effets sont observés en labsence délévation du pic de concentration et en labsence daccumulation. Il semble quil y ait une sensibilité accrue de certains récepteurs, notamment pour les médicaments daction centrale comme les sédatifs ou narcotiques. Des manifestations neurologiques extrapyramidales sont également observées avec certaines céphalosporines.
La réduction de la fonction rénale entraîne une diminution de lexcrétion urinaire dun médicament. Lélimination et/ou la répétition des doses entraînent laccumulation du médicament. La demi-vie délimination est prolongée et peut être multipliée par 4 à 10 dans certains cas. Il est donc nécessaire dadapter les posologies afin déviter laccumulation médicamenteuse.
2. Adaptation de la posologie chez lurémique
Deux méthodes dadaptation posologique peuvent être proposées : augmentation de lintervalle entre les prises ou réduction des doses sans modifier le rythme dadministration. Dans les deux cas, la dose initiale est identique à celle du sujet ayant une fonction rénale normale. Ce sont les doses suivantes, dites doses dentretien qui sont espacées, soit réduites. Il ny a pas de règle générale pour opter vers lune ou lautre méthode et le choix repose sur la connaissance de la demi-vie du médicament et sur son seuil defficacité. Dune façon générale, un médicament est prescrit 2 ou 3 fois par jour, le plus souvent sur une base empirique. Lintervalle de temps entre 2 prises est denviron 8 heures. Cet intervalle de temps peut être pris en compte pour choisir la méthode de prescription chez linsuffisant rénal. Si par exemple chez le sujet normal, un médicament a une longue demi-vie 6 à 8 heures, cest-à-dire une demi-vie proche de lintervalle entre les prises, on choisit daugmenter lintervalle des prises sans changer la dose. Lallongement de lintervalle des prises est alors multiplié par le facteur dallongement du temps de demi-vie chez linsuffisant rénal. Considérons par exemple un médicament ayant une demi-vie de 8 heures chez le sujet normal et dont la demi-vie est multipliée par 3 lorsque la filtration glomérulaire est réduite à 10 ml/mn. Dans ce cas, on allonge lintervalle de temps de prise et au lieu de donner ce médicament toutes les 8 heures, on ne le prescrit quune fois toutes les 24 heures.
Si chez le sujet normal, le médicament a une demi-vie courte, 2 heures par exemple, il y a une grande différence entre la demi-vie et lintervalle des prises, le médicament étant donné approximativement toutes les 8 heures. On choisit alors de réduire la posologie sans changer la fréquence dadministration. En effet, dans la méthode précédente, cest-à-dire lallongement de lintervalle entre 2 prises, les concentrations du médicament peuvent devenir très faibles pendant une durée longue avec le risque dinefficacité. Par exemple, un anbiotique dont la demi-vie est de 2 heures chez un sujet normal, est prescrit 3 fois par jour en cas dinfection sévère, cette dose étant fixée pour obtenir des pics bactéricides supérieurs à 4 µg/ml. Avec trois injections par 24 heures, les germes sont détruits pendant 3 périodes dune durée suffisante pour être pleinement efficace. Chez lurémique chez qui lon adopte la méthode des espacements dinjections, laction thérapeutique est obtenue pendant 4 heures, puis mauvaise pendant les 20 heures suivantes. Il vaut mieux donc réduire les doses pour éviter laccumulation et garder le même espacement, cela est important surtout pour les antibiotiques nécessitant une concentration bactéricide. Il faut cependant que la réduction de dose permette encore dobtenir une concentration sérique suffisante pour être active et la réduction de dose nest donc pas faite au hasard. Le calcul de la dose dentretien chez lurémique peut être fait connaissant la dose usuelle chez le sujet normal, la constante délimination chez le sujet normal et la constante délimination chez lurémique. La dose chez le sujet urémique est égale à =
dose chez le sujet normal x constante délimination urémique / constante normale
Cette méthode de réduction de dose est parfois difficile à appliquer du fait de la présentation galénique des médicaments et de la difficulté à fragmenter les comprimés. Ceci explique la prolifération actuelle de présentation de médicaments faiblement dosés pour tenir compte de la réduction de la fonction rénale quasi-constante chez les sujets âgés.
Lorsque lon a recours à des médicaments potentiellement toxiques, il est nécessaire de contrôler le taux plasmatique du médicament, de connaître la concentration sanguine à ne pas dépasser et celle en-dessous de laquelle le médicament est dépourvu daction. A partir de ces données, on peut adapter la posologie.
Dune façon générale, les médicaments à élimination hépatique ou biliaire prépondérante ne nécessitent pas au cours de lurémie une adaptation de doses. Il ne sagit pas dune règle absolue car les métabolites de certains de ces médicaments sont hydrosolubles et éliminés par le rein. Dans ce cas, laccumulation peut être dangereuse. Lexemple le plus caractéristique est celui de la digitaline qui est métabolisée par le foie en digoxine hydrosoluble et éliminée par le rein. Ladministration non contrôlée de digitaline chez linsuffisant rénal aboutit donc au surdosage en dixogine. Il vaut mieux dans cas utiliser directement la digoxine, adapter demblée la dose et vérifier les concentrations plasmatiques.
Pour les médicaments à élimination rénale ayant une demi-vie courte chez le sujet normal, linsuffisance rénale conduit à réduire la dose sans changer lintervalle entre les doses. On évite ainsi une longue période de temps avec une concentration plasmatique du médicament inférieure à la concentration active. Ce point est surtout à prendre en considération pour les antibiotiques. A titre dexemple, cette méthode est volontiers utilisée pour les pénicillines et les céphalosporines.
Pour les médicaments éliminés par le rein et ayant chez le sujet normal une longue durée de vie, il convient daugmenter lintervalle séparant le prises sans en modifier la dose. A titre dexemple, ceci concerne tous les aminoglycosides, toutes les cyclines, la vancomycine, la digoxine, la méthyldopa, le chlorpropamide, le clofibrate, etc&
3. Cas particulier de lurémique au stade dinsuffisance rénale dite terminale et traitée par dialyse
Lhémodialyse, comme la dialyse péritonéale peuvent entraîner une diminution importante des concentrations plasmatiques de certains médicaments par passage de ces médicaments dans le dialysat. Ladministration dune dose complémentaire pour compenser ces pertes et maintenir les concentrations efficaces nécessite de connaître la quantité de médicament qui passe dans le dialysat. Lélimination dialytique dun médicament dépend du poids moléculaire, de la solubilité dans leau, de la liaison aux protéines plasmatiques, de la perméabilité de la membrane de dialyse et du volume de distribution du médicament dans lorganisme. Si le volume de distribution est large, une faible proportion du médicament présent dans lorganisme est contenu dans le plasma et peu de produit est disponible pour être dialysé. Inversement, si le volume de distribution est faible, une plus grande quantité de médicaments est présente dans le sang à une concentration plus élevée et il peut être extrait en grande quantité par la dialyse.
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