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OBJECTIFS
  • Apprécier l'effet du tabac sur la mesure de la pression artérielle
  • Evaluer le risque cardio-vasculaire (surtout coronarien et mort subite) associé au tabac
  • Connaitre l'influence du tabac sur la survenue et la progression des maladies rénales en particulier la néphropathie diabétique

 
NephroHUS Online PLAN DU CHAPITRE
 

1. Le tabac : l'épidémie mondiale la plus mortelle de tous les temps...

Selon l'OMS, le tabagisme représente une véritable épidémie mondiale responsable à lui seul de plus de décès que tout autre maladie :

  • il y a 1,1 milliards de fumeurs dans le monde, soit le tiers de la population mondiale agée de plus de 15 ans, dont 800 millions dans les pays développés : 42 % des hommes, 24 % des femmes .
    voir la figure "Incidence du tabagisme selon l'âge et le sexe en France"
  • depuis 1950, le tabac a tué 60 millions de personnes dans les seuls pays developpés et est responsable du décès de 3 millions de décès par an, soit 6 % de la mortalité totale.
  • En 1990, le tabagisme était à l'origine de 35 % de tous les décès chez les hommes britanniques d'âge mûr (35 à 69 ans).
  • En extrapolant les données actuelles, on peut estimer qu'un demi-milliard de personnes mourront des méfaits du tabac d'ici 30 ans. En 2020, le tabagisme devrait représenter 18% des décès dans les pays développés. Le tabac est la cause connue ou probable de 25 maladies (cancer du poumon, coronaropathies, accidents vasculaires cérébraux, emphysème et autres maladies pulmonaires chroniques...

2. Tabac et Hypertension Artérielle

Fumer une cigarette provoque de façon régulière et répétitive une augmentation transitoire de la pression artérielle. Cet effet est plus important lors de la première cigarette de la journée chez les fumeurs habituels. Chez les fumeurs normotendus, une cigarette contenant de la nicotine produit une élévation moyenne de la pression artérielle systolique de 15-20 mmHg et de la fréquence cardiaque (Gropelli 1992).

Voir la figure "Effets d'une cigarette sur la pression artérielle"
Cet effet qui persiste au moins 30 minutes, semble lié à une activation du système sympathique et peut-être de la libération d'AVP et de cortisol. Cet effet vasopresseur est bien lié à la nicotine car il n'est pas reproduit par des cigarettes qui en sont dépourvues (Gropelli 1992).

Malgré cet effet aigu constant du tabac sur la pression artérielle, les fumeurs habituels ont en général (mais quelques études sont divergentes sur ce point) une pression artérielle plus basse que les non-fumeurs. Les fumeurs ont généralement un indice de masse corporelle (IMC) plus bas qui traduirait la stimulation par la nicotine des dépenses énergétiques. En fait, l'association paradoxale tabac-pression artérielle plus basse persiste après ajustement pour l'IMC et pour la consommation d'alcool (Friedman 1989).

L'enregistrement continu ambulatoire a permis de mieux reconnaître les conséquences tensionnelles du tabagisme : la pression artérielle augmente pendant la journée lorsque le sujet fume mais retourne aux valeurs basales lorsque le sujet est endormi ou lors de la consultation médicale, c'est à dire le moment où la mesure de pression artérielle est faite. D'autres études suggèrent enfin que la baisse tensionnelle nocturne est moins marquée chez les fumeurs normotendus que chez les non-fumeurs (Hansen 1994).

Outre ces effets sur la pression artérielle, le tabac devrait être évité chez tous les sujets hypertendus en raison du risque cardio-vasculaire majeur qui lui est associé et qui concerne virtuellement toutes les formes de maladies cardiovasculaires (Manson 1992). Le tabac augmente de façon dose-dépendante le risque d'atteinte coronaire (risque relatif x 7 chez les grands fumeurs), d'accident vasculaire cérébral, d'artérite des membres inférieurs et celui d'anévrysme de l'aorte abdominale (risque relatif x 8).

Voir la figure "Importance relative du tabac dans différentes pathologies cardio-vasculaire à Framingham"

Le comité scientifique de l'AHA évalue que 30% des morts liées à l'insuffisance coronaire aux Etat-Unis sont attribuables au tabagisme par cigarette, ceci avec une forte relation dose-effet (Ockene 1997). Dans l'ensemble des grands essais cliniques réalisés chez des sujets hypertendus, le tabagisme est associé à une surmorbidité-mortalité cardiovasculaire d'environ 50% (HDFP, SHEP, ANBPS, MRC, IPPPSH, MAPHY) (Black 1995) .

voir la figure "Tabac et morbidité coronaire à Framingham"

L'impact du tabagisme sur la réduction des évènements cardiovasculaires obtenue par les traitements antihypertenseurs est plus discutée. Dans le MRC et IPPPSH, le traitement ß-bloquant (propranolol et oxprenolol respectivement) n'assure pas de protection chez les sujets hypertendus fumeurs alors que les diurétiques thiazidiques réduisent l'incidence des évènements cardiovasculaires de façon comparable chez les fumeurs et les non-fumeurs (Black 1995). Inversement dans l'essai MAPHY (Wikstrand 1988), les patients hypertendus traités par un ß-bloqueur sélectif (metoprolol) semblent bénéficer davantage que ceux traités par thiazides. Dans cette étude réalisée chez 3234 patients suivis en moyenne pendant 4.2 ans, le risque cardio-vasculaire absolu de mortalité (essentiellement d'origine coronaire) chez les fumeurs est de 16.5 contre 6 ämalades-années chez les non-fumeurs (risque relatif 2.75) .

voir la figure "Mortalité cardiovasculaire chez les fumeurs et les non fumeurs dans l'étude MAPHY"

Les cigarettes à bout-filtre, appauvries en goudron ou en nicotine ne semblent pas apporter de protection contre cet excès de risque cardio-vasculaire (Wilson 1994). Paradoxalement les cigarettes "allegées" sont associées à une augmentation de mortalité par rapport aux cigarettes "normales" probabablement parce ce que les cigarettes "allégées" sont consommées en plus grande quantité. Les effets du tabagisme passif dont l'importance est toujours difficile à quantifier, sont plus discutés mais celui-ci est cependant associé à un discret excès de risque coronarien.

L'arrêt du tabac réduit progressivement l'excès de risque coronarien mais il faut environ 3 ans pour atteindre le risque d'un non-fumeur (Ockene 1990), indépendamment de l'ancienneté ou de la durée du tabagisme. La baisse très rapide du risque (-40 %) à l'arrêt du tabagisme suggère que celui-ci exerce ses effets néfastes en partie par des mécanismes fonctionnels : effet procoagulant (élévation du fibrinogène et du facteur von Willebrand, hyperleucocytose), dysfonction endothéliale, insulino-résistance et dyslipidémie, etc...

Le polymorphisme génétique de l'ecNO synthase pourrait jouer un rôle dans la susceptibilité endothéliale et/ou vasculaire au tabagisme (Wang 1996). Les sujets homozygotes pour le génotype ecNOS4a semblent ainsi davantage prédisposés à des complications coronaires lorsqu'ils fument.

L'arrêt du tabac doit être recommandé sans ambiguité à tout sujet hypertendu. Lorsque le patient ne peut s'arrêter de fumer, le bloquage des récepteurs a1 mais pas des récepteurs ß peut atténuer l'augmentation aiguë de pression artérielle induite par le tabac (Lecerof 1990, Gropelli 1992).

3. Tabac et rein

Les effets délétères rénaux du tabagisme sont bien identifiés dans l'HTA maligne (Isles 1979), l'HTA rénovasculaire (Appel 1995) et le syndrome de Goodpasture où il favorise l'hémorragie intra-alvéolaire (Merkel 1994). Le tabac favorise la survenue des cancers urothéliaux (RR x 1.5 à 3.0) mais aussi celle des adénocarcinomes rénaux (RR x 1.1 à 3.8), ceci de façon dose-dépendante.

Dans un éditorial récent, Orth et al. rappellent quelques données épidémiologiques moins connues qui lient le tabagisme et la progression des maladies rénales notamment la néphropathie diabétique (Orth 1997).

Chez les diabétiques de type 1, le tabagisme augmente le risque de microalbuminurie (odds ratio 2.8), réduit l'intervalle de survenue d'une microalbuminurie ou celui du passage de microalbuminurie à la protéinurie permanente ; accélère la vitesse de progression vers l'insuffisance rénale terminale (odds ratio 2.74 pour chaque 10 paquets/année) (Savicki 1994).

Une situation analogue est rencontrée pour le diabète de type 2 : le tabac favorise la survenue de la microalbuminurie, la progression vers la protéinurie et vers l'insuffisance rénale terminale.

Comme pour l'excès de risque coronarien, le risque rénal du tabagisme semble au moins partiellement réversible, au moins dans le diabète de type 1 : la progression est observée chez 51 % des fumeurs , mais seulement 11 % des non-fumeurs et 33 % des fumeurs repentis (Savicki 1994).

Les mécanismes sous-tendant le rôle délétère du tabac dans la néphropathie diabétique ne sont pas univoques - plusieurs hypothèses non-exclusives ont été proposées :

  • effet hémodynamique rénal et glomérulaire (augmentation de la filtration glomérulaire, voire hyperfiltration) qui semble davantage lié à l'inhalation de la fumée du tabac qu'à la nicotine elle-même (Ekberg 1990).
  • effet indirect via l'augmentation répétée et soutenue de la pression artérielle (voir ci-dessus)
  • effet indirect métabolique (aggravation de l'insulino-résistance, prévalence plus élevée de dyslipidémie)
  • effet procoagulant (voir ci-dessus)
  • effets sur la fonction endothéliale et la microcirculation capillaire.

Les effets délétères rénaux du tabagisme ont vraisemblablement des conséquences importantes en termes de santé publique. En projetant un excès de risque de progression vers l'insuffisance rénale terminale de 50% (risque relatid de 1.5), Orth et al. estiment que l'incidence annuelle des nouveaux dialysés pourrait être réduite d'environ 12.5 % si l'arrêt complet du tabagisme était obtenu chez tous les patients ayant une atteinte rénale. Ces mêmes auteurs calculent ainsi un surcoût annuel lié aux méfaits rénaux du tabagisme - appliqué au système de soins français, ce surcoût serait d'environ 60 millions de FF, un chiffre certes important, mais négligeable au regard des recettes de 55 milliards de FF percus par l'Etat Français au titre des taxes sur la vente du tabac!.

Les projections de Orth restent en dessous de la réalité : son calcul est basé sur un risque relatif et non pas sur le risque attribuable qui est plus élevé à 17 %; cependant la prévalence des patients dialysés serait probablement peu affectée car 25 % des patients dialysés continuent à fumer en dialyse, et le tabac augmente de façon considérable le risque relatif d'infarctus du myocarde et de mort chez les patients dialysés (risque relatif estimé à 2.6 pour des diabétiques de type 1 traités par hémodialyse) (Biesenbach 1996, Koch 1993, Stegmeyr 1990).

4. Conclusion

En conclusion, si le risque cardio-vasculaire du tabagisme et bien établi, en partie lié aux effets prohypertenseurs, la littérature néphrologique récente démontre également un risque rénal important, au moins chez les diabétiques (type 1 et type 2). Il paraît souhaitable de mieux évaluer à l'avenir l'impact du tabagisme sur l'évolution des autres néphropathies (notamment les néphropathies vasculaires et le rejet chronique). Il est utile dès maintenant de recommander l'arrêt définitif du tabac chez tous les patients ayant une maladie rénale, a fortiori s'ils sont hypertendus.

Pr T. Hannedouche, Dr Y. Dimitrov


Lectures recommandées :
  1. Black HR. Smoking and cardiovascular disease. in : Hypertension. Laragh JH & Brenner BM eds. 1995, p 2621-2647
  2. Orth SR, Ritz E, Schrier RW. The renal risk of smoking. Kidney Int 1997;51:1669-1677

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Mise-à-jour :  samedi 6 mai 2000

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