Retour au format normal


Acide-Base : Diagnostic des acidoses métaboliques

Première publication : septembre 1999
Mise en ligne :
5 octobre 2001

par

Objectifs

-  Savoir définir une acidose métabolique et connaître les principales complications associées

-  Connaître la démarche diagnostique devant une acidose métabolique

-  Connaître les principales causes d’acidose métabolique et leurs caractéristiques diagnostiques



Evaluation diagnostique des acidoses métaboliques

L’évaluation d’un patient avec une diminution de la concentration plasmatique de bicarbonate doit commencer par la réalisation de gaz du sang artériels pour exclure une hyperventilation primitive. L’acidose métabolique est définie par une augmentation de la concentration des protons au-dessus de 42 nmol/l ou un abaissement du pH en-dessous de 7,38. L’acidose est dite "métabolique" si la concentration de bicarbonates plasmatiques est abaissée en-dessous de 22 mmol/l. La PCO2 s’abaisse secondairement par compensation ventilatoire. L’évaluation du degré de compensation ventilatoire est importante pour apprécier la possibilité d’un trouble acido-basique complexe. Normalement, la diminution de PCO2 compensatoire est d’environ 1,2 mmHg pour chaque baisse de 1 mmol de la concentration plasmatique en bicarbonates. Si la PCO2 est significativement plus basse ou plus élevée que cette valeur, alors il faut suspecter respectivement une alcalose ou une acidose respiratoire associée. Le diagnostic peut être encore plus compliqué chez des patients ayant des désordres complexes au cours desquels l’acidose métabolique est le composant le moins marqué. Ces cas peuvent généralement être évoqués avec une reconstitution soigneuse de l’histoire clinique et la comparaison de la chute des bicarbonates plasmatiques avec l’augmentation du trou anionique (rapportdCO3/dTA).

voir la figure Compensation rrespiratoire de l’acidose métabolique : intervalles de confiance des variations de pH, bicarbonatémie, PCO2

La détermination du trou anionique plasmatique est la deuxième étape importante dans le diagnostic de l’acidose métabolique.
Le trou anionique plasmatique représente la différence entre les cations mesurés et les anions mesurés. Dans la mesure où le sodium est le principal cation mesuré et le chlore et les bicarbonates les principaux anions mesurés, le trou anionique équivaut à :

TA = [Na] - [ Cl] - [HCO3]

Chez le sujet normal, le trou anionique est principalement déterminé par les charges négatives présentes sur les protéines plasmatiques et en particulier l’albumine. Il en résulte que la valeur attendue du trou anionique doit être ajustée vers le bas chez les patients hypoalbuminémiques (le trou anionique diminue d’environ 2,5 mmol/l pour chaque diminution de 10 g/l d’albuminémie).
Les valeurs normales du trou anionique plasmatique ont longtemps été de 7 à 13 mmol/l. Cependant, avec le recours aux nouveaux auto-analyseurs qui retrouvent des concentrations plus élevées de chlore, le trou anionique normal n’est plus que de 3 à 11 mmol/l et ces valeurs doivent donc être interprétées en fonction des normes du laboratoire local de référence. Une augmentation artéfactuelle du trou anionique peut être induite par une diminution des cations non mesurés notamment calcium et magnésium ou plus fréquemment par une augmentation des anions non mesurer comme notamment une hyperalbuminémie liée à une contraction volémique ou l’accumulation d’un anion organique en cas d’acidose métabolique.

voir la figure Représentation schématique du trou anionique et des acidoses hyper- ou normochlorémiques"

Dans une acidose métabolique où l’excès d’acide est tamponné par un bicarbonate extracellulaire, le bicarbonate est remplacé sur une base équimolaire par le chlore et il n’y a pas de modification du trou anionique. L’acidose métabolique est dite "hyperchlorémique" en raison de l’augmentation de la concentration plasmatique de chlore.
Une situation similaire s’observe au cours de la diarrhée et de l’acidose tubulaire proximale aboutissant à la perte de bicarbonate. Le rein compense en retenant du chlorure de sodium pour préserver le volume extracellulaire, l’effet net étant un remplacement mmol par mmol du bicarbonate par du chlorure. De façon analogue, l’acidose tubulaire distale et l’hypoaldostéronisme s’accompagnent d’une acidose à trou anionique normal et en raison de l’absence de rétention d’anions non mesurés.

Lorsque l’acidose est liée à l’accumulation d’un proton combiné à un anion peu ou pas métabolisé, l’accumulation de cet anion non mesuré augmente le trou anionique. L’acidose est bien liée à l’accumulation de protons mais l’anion indosé non métabolisé devient alors un outil diagnostique précieux.

Les principales causes d’acidose métabolique avec trou anionique élevé sont :

D’une façon générale, l’utilité diagnostique d’un trou anionique augmenté est plus importante lorsque le trou anionique dépasse 25 mmol/l. Dans ce cas, l’une des conditions citées précédemment est pratiquement toujours présente. Inversement, il n’est pas toujours possible d’identifier les anions non mesurés pour des élévations plus faibles du trou anionique en particulier lorsque celui-ci est inférieur à 20 mmol/l. L’augmentation de la concentration d’albumine, de phosphates peut contribuer mais d’autres anions moins facilement identifiables peuvent également être présents.

Enfin, il est possible d’observer un chevauchement entre des acidoses métaboliques responsables de trous anioniques normaux ou élevés.
La diarrhée par exemple est habituellement associée à un trou anionique normal. Dans certains syndromes cholériformes sévères cependant, le trou anionique peut être augmenté en raison de l’acidose lactique induite par l’hypoperfusion, l’hyperalbuminémie induite par la contraction volémique et enfin l’hyperphosphatémie de transfert liée à l’acidose.
Inversement, l’acidocétose diabétique est habituellement associée à un trou anionique élevé. Si la fonction rénale se maintient ainsi que le volume extracellulaire, une grande partie des anions cétoniques en excès peut être excrétée dans l’urine sous forme de sels de sodium ou de potassium. Dans ce cas, l’augmentation du trou anionique peut être bien moindre que celle attendue compte tenu de la sévérité de l’acidose métabolique. De plus, la perte urinaire de ces anions organiques est équivalente à la perte de bicarbonates puisque le métabolisme des anions cétoniques aboutit à la régénération de bicarbonates.
Des constatations analogues peuvent s’appliquer à l’acidose D-lactiques et à l’acidose métabolique induite par le toluène au cours de laquelle le trou anionique peut être soit élevé (accumulation de D-lactate et d’hippurate respectivement) ou au contraire normal en raison de l’élimination urinaire rapide des anions excessifs non mesurés.

voir la figure Causes des acidoses métaboliques.

voir la figure Approche diagnotique d’une acidose métabolique

2. Diagnostic étiologique et physiopathologique des acidoses métaboliques

Les anions organiques ingérés ou générés par le métabolisme ont 2 devenirs possibles : l’addition initiale d’un acide organique au plasma aboutit à la titration du bicarbonate et à la génération d’un sel de sodium de cet anion dans le plasma. Certains anions organiques, comme l’acétoacétate, le béta-hydroxy-butyrate ou le lactate sont facilement métabolisés en bicarbonates et il n’y a donc pas de modification nette de la concentration plasmatique en bicarbonates. Cependant l’excrétion urinaire de ces anions organiques sous forme de sels de sodium produit une perte nette de bicarbonate de sodium et par conséquent une acidose hyperchlorémique. Au cours de tous ces désordres aboutissant à une acidose métabolique avec une augmentation du trou anionique, l’acide organique est ingéré ou généré plus rapidement qu’il ne peut être métabolisé ou excrété aboutissant à la fois à une perte nette de bicarbonates et à l’accumulation du sel de sodium de cet acide dans le plasma. Les 3 voies métaboliques ne sont pas mutuellement exclusives. Ainsi au cours de l’acidocétose diabétique, l’accumulation et l’excrétion des anions cétoniques prédominent mais après traitement, le métabolisme est la principale voie d’élimination.

Les sources les plus fréquentes d’acide organique endogène sont le béta-hydroxy-butyrate et l’acéto-acétate au cours de l’acidocétose, le lactate dans l’acidose lactique, et les acides organiques qui s’accumulent au cours de l’insuffisance rénale sévère (acides aliphatiques dicarboxyliques, acides phénoliques aromatiques, acide furanoique, acide 3-carboxy-4-méthyl-5-propyl-2-furane-propionique et acide hippurique). La rétention de ces anions organiques survient seulement au cours des maladies rénales très avancées et est pratiquement toujours précédée par une phase d’acidose hyperchlorémique. L’anion organique le plus fréquemment rencontré par ingestion et métabolisme sont les salycilates, le glycolate, le glyoxalate et l’oxalate, tous provenant du métabolisme de l’éthylène-glycol, et le formate provenant du métabolisme du méthanol.
Les acides cétoniques, lactates, salycilates, méthanol et éthylène-glycol sont facilement mesurables et quantifiables par la plupart des laboratoires cliniques. L’ingestion d’éthylène-glycol ou de méthanol est habituellement associée à une augmentation du trou osmolaire plasmatique et l’éthylène-glycol produit une cristallurie d’oxalate de calcium. Dans les désordres liés entièrement à l’accumulation d’anions non-mesurés, la réduction de la concentration en bicarbonates plasmatiques correspond exactement au trou anionique. Si cela n’est pas le cas, un deuxième désordre acidebase (acidose hyperchlorémique ou alcalose métabolique) peut être associé. Lorsqu’une alcalose et une acidose métabolique coexistent par exemple au cours du vomissement et de l’acidocétose, la concentration plasmatique en bicarbonates peut être normale et l’augmentation du trou anionique peut être le seul élément initial d’une anomalie acido-basique sous-jacente.

L’acidose hyperchlorémique est une conséquence de la rétention nette d’HCl ou d’un équivalent métabolique (par exemple le chlorure d’ammonium et les sels chlorés d’amino-acides) ou une perte de bicarbonate de sodium ou son équivalent métabolique (excrétion de sel ou d’anion organique en excès proportionnel de chlore). Dans le plasma normal, le rapport bicarbonate/chlore est largement supérieur à 0,25. La perte de bicarbonates peut survenir soit par le tube digestif en raison de diarrhées ou de fistule biliaire par exemple ou soit par excrétion rénale de bicarbonates ou leur équivalent ou en raison d’une génération rénale de bicarbonate insuffisante pour compenser un apport alimentaire ou une production d’acide.

Les causes rénales de perte de bicarbonate peuvent être distinguées des causes non rénales par la mesure de l’ammoniurie. Au cours de l’acidose hyperchlorémique, une excrétion urinaire quotidienne d’ammonium inférieure à 1 mmol/kg est anormale et indique que le rein est la cause principale de cette anomalie. Si la mesure de l’ammoniurie n’est pas facilement disponible, celle-ci peut être estimée à partir du trou anionique urinaire :

TAU : UNa + UK - UCl

Un TAU > 0 signe l’origine tubulaire rénale de l’acidose alors qu’un TAU < 0 signe l’origine extrarénale de l’acidose. Si le pH urinaire est > à 6,5 il faut mesurer UHCO3 et l’inclure dans l’équation. L’équation n’est pas utilisable en présence dans l’urine d’anions non réabsorbables.

Les anomalies de la régénération rénale ou de la réabsorption de bicarbonate sont les principales causes d’acidose hyperchlorémique avec réduction de l’excrétion urinaire d’ammoniurie. Ces acidoses tubulaires rénales peuvent être distinguées sur la base des variations du pH urinaire en réponse aux modifications de la bicarbonatémie. Le pH urinaire est inférieur ou égal à 6 pour une bicarbonatémie normale à 24 mmol/l et la baisse de la bicarbonatémie induit une réduction progressive du pH urinaire

voir la figure Principales caractéristiques des acidoses tubulaires

voir la figure Approche diagnostique des acidoses tubulaires

3. Traitement des acidoses métaboliques

    3.1 Acidoses métaboliques aiguës

L’acidose métabolique aiguë sévère (définie par un pH < 7,10 et une bicarbonatémie < 8 mmol/l en présence d’une compensation respiratoire adéquate) est une situation grave mettant en jeu le pronostic vital en raison de multiples complications potentielles résumées dans le tableau 2.

Tableau 2 : Principales conséquences cliniques de l’acidémie sévère
  • Cardiovasculaire
    o Diminution de la contractilité cardiaque
    o Augmentation de la résistance vasculaire pulmonaire
    o Réduction du débit cardiaque, hépatique et rénal
    o Hypotension artérielle
    o Sensibilisation aux arythmies par réentrée et abaissement du seuil de fibrillation ventriculaire
    o Atténuation de la réponse cardiovasculaire aux catécholamines
  • Respiratoire
    o Hyperventilation, dyspnée
  • Métabolique
    o Inhibition de la glycolyse anaérobie, réduction de la production d’ATP
    o Hyperkaliémie
  • Cérébral
    o Inhibition du métabolisme cellulaire
    o Confusion et coma

Pour les acidoses métaboliques par excès d’acides inorganiques (cad les acidoses hyperchlorémiques et les acidoses par intoxication), avec ou sans insuffisance rénale sous-jacente, le traitement fait généralement appel à l’administration exogène de bicarbonate de sodium et à la correction de la cause lorsque cela est possible.
Le traitement des acidoses métaboliques par excès d’acides organiques est plus controversé quant à l’opportunité de l’administration de bicarbonate. Cette controverse tient au fait que l’anion organique accumulé est rapidement oxidé en bicarbonate lorsque la cause de l’acidose est corrigée.
Les risques d’une correction trop importante par du bicarbonate de sodium sont la survenue d’une alcalose métabolique par "rebond", l’élévation de la pCO2 tissulaire notamment chez les patients avec une fonction ventilatoire limite ou après arrêt cardiaque, et enfin l’hypernatrémie et la surcharge hydrosodée chez des patients avec une insuffisance cardiaque ou rénale sous-jacente (auxquels cas un traitement diurétique et/ou une hémofiltration peuvent être nécessaires).
Le bicarbonate de sodium doit être administré sous forme de perfusion intraveineuse. Il est recommandé de calculer la quantité de bicarbonate à administrer sur la base du déficit en bicarbonate et du volume de distribution présumé, soit en général : quantité HCO3 en mmol = d [HCO3-] x 0,5 x PDC (en kg). L’objectif est de remonter rapidement le pH sanguin au-dessus de 7,20 et la bicarbonatémie au-dessus de 10 mmol/l

    2.3.2. Acidoses chroniques

Le traitement de ces acidoses chroniques d’origine rénale est impératif afin de prévenir ou de corriger la fonte musculaire (la protéolyse musculaire est stimulée par l’acidose métabolique et l’hypercortisolisme résultant), la lithiase rénale ou la néphrocalcinose, la déminéralisation osseuse et chez l’enfant le retard de croissance. Le traitement fait appel à l’administration de sels alcalins (bicarbonate ou citrate) de sodium ou de potassium selon le mécanisme de l’acidose.

P.S.

LECTURES RECOMMANDÉES :

-  Gluck SL. Acid-base. Lancet 1998 ;352:474

-  Adrogue HJ, Madias NE. Management of life-threatteneing acid-base disorders. NEJM 1998 ;333:26