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L'insuffisance rénale aiguë (IRA) est caractérisée par une détérioration de la fonction rénale survenant sur une période de quelques heures ou quelques jours et aboutissant à l'incapacité par le rein à éliminer des déchets métaboliques terminaux, notamment azotés et à maintenir l'homéostasie hydroélectolytique.
1. Epidémiologie
LIRA fait lobjet dune grande disparité de terminologie et de définition. Pratiquement aucune étude ou série de la littérature n'utilise la même définition de lIRA. Parmi les définitions les plus souvent utilisées, on retient une augmentation de plus de 50 % de la créatinine plasmatique par rapport à la valeur de base ou une réduction de la clairance de la créatinine calculée de 50 % ou encore une dégradation de la fonction rénale nécessitant le traitement dialytique. Même cette dernière définition est insuffisante car les indications de la dialyse diffèrent très largement en fonction de la cause de l'insuffisance rénale des services où le patient est traité et d'autre part des possibilités d'accès à un traitement dialytique. De plus, les causes et les mécanismes de lIRA sont extrêmement variables, le terme de nécrose aiguë tubulaire devrait être réservé aux cas où il existe une confirmation histologique.
Globalement, la fréquence de lIRA est estimée à 1% des admissions hospitalières, 2 à 5 % surviennent pendant une hospitalisation et jusqu'à 4 à 15 % dans certaines circonstances telle qu'une chirurgie cardiaque ou aortique avec circulation extracorporelle.
2. Causes d'insuffisance rénale aiguë
LIRA peut résulter d'une diminution de la perfusion rénale sans lésion cellulaire, d'une agression ischémique ou toxique du tube rénal, d'un processus inflammatoire avec oedème tubulo-interstitiel, ou encore d'une réduction primitive de la capacité de filtration du glomérule. Lorsque il n'y a pas d'atteinte parenchymateuse anatomique mais que la fonction rénale est limitée par des facteurs compromettants la perfusion rénale, lIRA est dite "prérénale" ou "fonctionnelle". Si l'anomalie de fonction rénale est liée à une obstruction sur la voie urinaire, lIRA est dite "postrénale" ou "obstructive". Lorsque lIRA est liée à une anomalie intrarénale primitive, celle-ci est appelée IRA "intrinsèque" ou "organique".
Les causes dIRA prérénale et organique liées à l'ischémie et aux toxines rénales sont responsables de la plupart des épisodes dIRA. Les principaux types d'IRA sont résumés dans le Tableau 1 avec leur fréquence estimée. LIRA fonctionnelle représente environ 70 % des cas dIRA survenant en ville et 40 % des cas survenant à l'hôpital. La prolongation dans le temps de lIRA fonctionnelle est le facteur prédisposant le plus habituel à la survenue d'une nécrose tubulaire ischémique. La survenue d'une IRA en milieu hospitalier est le plus souvent liée à une association de plusieurs agressions (60 % des cas). Parmi les combinaisons les plus fréquemment rencontrées on note l'association de traitements aminoglycosides dans un contexte de sepsis, l'administration de produits de contraste iodés chez des patients recevant un traitement par inhibiteur de l'enzyme de conversion ou encore un traitement par anti-inflammatoire non stéroïdien chez des patients ayant une insuffisance cardiaque.
Tableau 1 : Principaux types d'IRA et leur fréquence estimée
- IRA fonctionnelle ou pré-rénaleolor
- IRA obstructives ou post-rénales
- IRA organiques ou intrinsèques :
- nécroses tubulaires aiguës post-ischémique (50%) ou toxique (35%)
- néphropathies interstitielles aiguës (10 %)
- glomérulonéphrites aiguës ou rapidement progressives (5%)
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Insuffisance rénale fonctionnelle ou prérénale
LIRA fonctionnelle est rapidement réversible lorsque la cause sous-jacente est corrigée. Chez le patient non hospitalisé, les vomissements, la diarrhée, la limitation ou la réduction des apports liquidiens, la fièvre, l'utilisation aggressive de traitement diurétique et une insuffisance cardiaque sont des causes très habituelles. Les patients âgés sont particulièrement susceptibles à lIRA fonctionnelle en raison de leur prédisposition à l'hypovolémie et de la très haute prévalence de maladie rénale artérielle athérosclérotique. L'association d'un traitement inhibiteur de l'enzyme de conversion et diurétique peut induire une IRA fonctionnelle chez des patients ayant une maladie réno-vasculaire atteignant soit les artères rénales tronculaires, soit les petits vaisseaux intra-rénaux. Chez les patients ayant une diminution de la pression de perfusion rénale, les antiinflammatoires non stéroïdiens peuvent précipiter lIRA fonctionnelle. Des médicaments, comme la cyclosporine ou le tacrolimus peuvent également induire une IRA fonctionnelle par un effet direct vasoconstricteur sur les petits vaisseaux préglomérulaires. Chez les patients hospitalisés, lIRA fonctionnelle est souvent liée à une insuffisance cardiaque à une insuffisance hépatique ou à un choc septique. Dans un contexte post-opératoire, lIRA fonctionnelle est la cause la plus fréquente d'anomalie de fonction rénale périopératoire. L'anesthésie diminue le volume sanguin effectif et ceci associé à une diminution de la pression de perfusion rénale diminue le débit sanguin rénal. La chirurgie cardiaque avec circulation extra-corporelle, aortique avec clampage sus-rénal, et biliaire obstructive représentent les situations post-opératoires les plus à risque.
Causes postrénales ou obstructives
Une IRA peut survenir lorsqu'il existe un obstacle sur les voies urinaires sur les deux reins ou un obtacle unilatéral sur rein unique fonctionnel. Les principales causes d'obstacle des voies urinaires sont représentées par l'adénome de la prostate, le cancer de la prostate ou de l'utérus et les fibroses rétropéritonéales. Une vessie neurologique peut également induire une obstruction fonctionnelle. D'autres causes moins fréquentes dIRA peuvent être liées à des obstacles intraluminaux (intra-urétéraux comme un calcul rénal bilatéral, une nécrose papillaire, des caillots sanguins, un carcinome vésical) ou extraluminaux (comme une fibrose rétropéritonéale, une tumeur colorectale ou d'autres cancers régionaux). Un obstacle intra-tubulaire peut être constitué par la précipitation de cristaux, composés notamment d'acide urique, d'oxalate de calcium, d'acyclovir, dindinavir, de sulfonamide ou de méthotréxate ainsi que par des cylindres myélomateux constitués de chaines légères d'immunoglobulines et d'une matrice constituée de protéine de Tamm-Horsfall.
LIRA liée à un obstacle est une cause importante à reconnaître car la possibilité de récupération de la fonction rénale est généralement inversement liée à la durée de l'obstruction. D'autre part chez des patients avec des cancers avancés, la mise en place d'une néphrostomie percutanée ou de prothèse endo-urétérale permet de corriger l'obstruction et améliore le pronostic à court terme.
Insuffisance rénale aiguë organique
LIRA organique est classée en fonction du site primitif de l'atteinte : tube, interstitium, vaisseaux ou glomérules. L'atteinte tubulaire est le plus souvent d'origine ischémique ou toxique. LIRA fonctionnelle et la nécrose tubulaire ischémique représentent un continuum, la première aboutissant à la seconde lorsque l'insuffisance de débit sanguin se prolonge et entraine la mort cellulaire tubulaire.
De nombreuses situations cliniques peuvent aboutir à une ischémie rénale alors que la plupart des causes dIRA ischémique sont réversibles lorsque la cause sous-jacente est corrigée, une nécrose corticale irréversible peut survenir lorsque l'ischémie est sévère notamment dans un contexte de coagulation intra-vasculaire faisant suite à des complications obstétricales, des morsures de serpent ou une microangiopathie thrombotique. Les principales causes dIRA ischémiques sont résumées dans le Tableau 2.
Tableau 2 : Principales conditions dIRA ischémique
- Hypovolémie et hypotension
- Pertes gastrointestinales, rénales , dermiques
- Hémorragie
- Choc
- Hypovolémie efficace
- Insuffisance cardiaque
- Cirrhose hépatique
- Syndrome néphrotique
- Péritonite
- Syndrome hépato-rénal
- Médications
- Cyclosporine, tacrolimus
- Inhibiteurs de l'enzyme de conversion
- Anti-inflammatoires non-stéroidiens
- Diurétiques
- Produits de contraste iodés
- Aminoglycoside
- Amphotéricine B
- Sepsis
- Maladies réno-vasculaires
- Thrombose/sténose des artères rénales
- Clampage artériel per-opératoire
- Néphropathies vasculaires des petits vaisseaux
- Vascularites
- Micro-emboles des cristaux de cholestérol
- Microangiopathies thrombotiques
- HTA malignes
- Prééclampsie
- Sclérodermie
- Drépanocytose
- Rejet post-transplantation
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Après l'ischémie, les toxines rénales représentent la cause la plus fréquente dIRA. Les aminoglycosides, les produits de contraste iodés sont parmi les principaux néphrotoxiques en cause mais les pigments héminiques (hémoglobine, myoglobine), les agents chimiothérapeutiques ou le cisplatine, les chaines légères d'immunoglobulines et d'autres médicaments néphrotoxiques peuvent également être responsables.
L'ischémie et les néphrotoxines sont souvent associées pour induire une IRA, notamment chez des patients en état critique dans des situations de sepsis, d'hémopathies ou de sida. LIRA associée à une néphropathie interstitielle aiguë est le plus souvent causée par une réaction allergique à un médicament. Des causes moins fréquentes peuvent être représentées par des maladies autoimmunes (lupus), des granulomatoses (sarcoïdose) et des infections (légionnellose, hantavirose). LIRA due à une néphropathie interstitielle aiguë est le plus souvent réversible après l'arrêt du médicament en cause ou le traitement de la cause sous-jacente. Les glucocorticoïdes sont souvent prescrits pour favoriser la récupération de la fonction rénale dans ce contexte mais leur rôle n'est actuellement pas formellement démontré en raison de l'absence d'essai contrôlé. Les glomérulonéphrites rapidement progressives peuvent se présenter également sous la forme d'une IRA. Les sérologies spécifiques et l'histologie rénale permettent d'identifier rapidement les causes spécifiques. Il est essentiel de faire rapidement le diagnostic de glomérulonéphrite rapidement progressive car l'institution urgente d'un traitement immunosuppresseur et/ou d'échanges plasmatiques permet de réduire la survenue des complications compromettant le pronostic vital et le risque d'insuffisance rénale terminale définitive.
3. Facteurs de risque - Morbidité - Mortalité
Chez les patients ayant une IRA fonctionnelle, l'atteinte rénale est très souvent causée ou favorisée par des médicaments qui peuvent modifier l'hémodynamique intrarénale tels que les anti-inflammatoires non stéroïdiens ou atteindre de très hautes concentrations dans le tissu rénal, comme les aminoglycosides. Les patients ayant une insuffisance rénale chronique préexistante sont prédisposés à une aggravation aiguë par les produits de contraste iodé, les aminoglycosides, les athéro-embolies de cristaux de cholestérol et la chirurgie cardiovasculaire en général. Les patients ayant à la fois une insuffisance rénale préexistante et un diabète ont un risque particulièrement élevé de développer une aggravation fonctionnelle rénale liée aux produits de contraste iodés. Les patients avec une hyperbilirubinémie quelqu'en soit la cause semblent aussi prédisposés à lIRA. Les sujets âgés sont susceptibles à de nombreuses formes dIRA en raison de la perte de la réserve fonctionnelle du rein âgé et de son incapacité à subir des agressions aiguës. LIRA peut être oligurique (débit urinaire inférieur à 400 ml/jour) ou non-oligurique (débit urinaire supérieur ou égal à 400 ml/jour). Dans ces deux formes, le débit urinaire corrèle avec la filtration glomérulaire résisuelle. Les patients avec une IRA non oligurique ont un meilleur pronostic que ceux avec une IRA oligurique mais ceci résulte d'une atteinte rénale et générale moins sévère ; les indices de gravité sont moins élevés chez les malades non-oliguriques et les patients non-oliguriques ont une insuffisance rénale moins sévère et/ou associée à une toxicité médicamenteuse ou une néphropathie interstitielle aiguë immunoallergique. Le pourcentage de patients avec une IRA qui nécessitent un traitement dialytique est de 20-60 %. Ce chiffre est probablement sous-évalué en raison d'un grand nombre d'épisodes méconnus dIRA ou des difficultés d'accès au traitement dialytique dans certains centres. Parmi les patients qui ont nécessité un traitement dialytique et qui survivent à l'épisode dIRA, moins de 15 % nécessitent un traitement dialytique au long terme, ce qui montre que les lésions rénales sont potentiellement réversibles dans un grand nombre de cas. Cependant, la récupération de la fonction rénale après un épisode de nécrose tubulaire simple est rarement totale : 25 à 50 % des malades gardent une insuffisance rénale résiduelle et peuvent nécessiter ultérieurement, après un intervalle libre de plusieurs mois ou années, un traitement chronique par épuration extra-rénale. Tout patient ayant eu une IRA, a fortiori si celle-ci a nécessité un traitement dialytique, devrait bénéficier à distance d'un avis néphrologique.
Le taux de mortalité de lIRA est très variable suivant le contexte, 7 % chez les patients avec une IRA fonctionnelle, jusqu'à plus de 80 % chez les patients dans un contexte post-opératoire. Malgré les progrès importants dans le traitement dialytique et la réanimation, le taux de mortalité de patients ayant une IRA et nécessitant la dialyse, n'a pas diminué de façon notable au cours des dernières années. Ceci est en partie expliqué par deux modifications démographiques : l'âge des patients continue à augmenter et la comorbidité augmente régulièrement chez ces patients. Dans un contexte de défaillance multiorgane et notamment chez des patients avec une hypotension sévère ou un syndrome de détresse respiratoire aiguë, le taux de mortalité est de l'ordre de 50 à 80 %.
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