Linsuffisance rénale aiguë au cours de la grossesse peut être induite par nimporte lequel des désordres conduisant à linsuffisance rénale dans la population générale. Cependant certaines formes dinsuffisance rénale aiguë sont plus spécifiquement associées à la grossesse.
Au cours de la période initiale de la grossesse, linsuffisance rénale aiguë est le plus souvent liée à une insuffisance rénale fonctionnelle secondaire à des vomissements importants ou à une nécrose tubulaire aiguë résultant dun avortement septique. Plusieurs situations pathologiques assez peu fréquentes peuvent aboutir à linsuffisance rénale aiguë à un stade plus tardif de la grossesse. La pré-éclampsie dans sa forme légère à modérée ne conduit habituellement pas à une atteinte rénale.
1. Microangiopathie thrombotique vs. pré-éclampsie sévère
Un point important et cependant difficile est le diagnostic différentiel de linsuffisance rénale aiguë au cours de la phase tardive de la grossesse. Deux formes dinsuffisance rénale aiguë peuvent être observées, une microangiopathie thrombotique et une prééclampsie sévère habituellement associée à un syndrome HELLP. La distinction entre ces deux désordres est importante pour des raisons pronostiques et thérapeutiques. Cependant, les manifestations cliniques et histologiques sont parfois très semblables si bien quun diagnostic précis est parfois difficile à faire. Les éléments différentiels entre ces deux diagnostics les plus importants sont lanamnèse et la chronologie de survenue :
- la pré-éclampsie typiquement se manifeste au cours du 3ème trimestre avec seulement quelques pourcents des cas se développant dans la période postpartum, habituellement dans les 48 heures après.
- La microangiopathie thrombotique survient à 2 périodes bien distinctes de la grossesse, soit dans la période antépartum, la plupart des cas survenant avant la 24ème semaine et plus exceptionnellement au cours du 3ème trimestre. La microangiopathie thrombotique peut également survenir dans le post-partum avec un début habituellement décalé de 48 heures ou plus après la délivrance et une moyenne aux alentours de 4 semaines.
Une pré-éclampsie sévère qui est beaucoup plus fréquente quune microangiopathie thrombotique est habituellement précédée par des manifestations cliniques dhypertension et de protéinurie. Linsuffisance rénale est relativement rare même dans les cas sévères sauf lorsquil existe un syndrome hémorragique important ou une instabilité hémodynamique ou encore une coagulation intra-vasculaire disséminée marquée. Une insuffisance rénale plus modérée est par contre relativement fréquente et en partie liée à une diminution de la perméabilité capillaire glomérulaire. Une pré-éclampsie sévère est une indication à une délivrance urgente. Lensemble des anomalies rénales et extrarénales se résolvent spontanément durant les deux premières semaines du postpartum et souvent même dans les 2 à 3 jours suivants. Dans certains cas cependant la pré-éclampsie commence dans le post-partum sans protéinurie préalable, situation qui peut être difficile à différencier dune microangiopathie du post-partum. Seule la récupération ultérieure spontanée oriente vers une pré-éclampsie dans ce contexte.
Une pré-éclampsie sévère peut être associée à une véritable coagulation intravasculaire disséminée avec augmentation du temps de céphaline activée (TCA) et une diminution des facteurs de la coagulation. Ces éléments ont une valeur diagnostique importante car ils sont typiquement absents de la microangiopathie thrombotique caractérisée essentiellement par une consommation de plaquettes et une thrombocytopénie.
La MAT est caractérisée par une combinaison (sans autres explications évidentes) dune thrombopénie et une anémie microangiopathique hémolytique généralement associée à une atteinte rénale. Certains patients peuvent également développer de la fièvre et des anomalies neurologiques. Une MAT du postpartum peut suivre une grossesse apparemment normale ou être précédée par des manifestations identiques à la prééclampsie. Labsence de coagulation intravasculaire disséminée et la progression danomalies hématologiques pendant plus de 3 jours après la délivrance sont les principales caractéristiques qui différencient la microangiopathie thrombotique de la prééclampsie. Certaines de ces formes de microangiopathies thrombotiques peuvent être favorisées par les anticorps antiphospholipides. Linsuffisance rénale est souvent extrêmement sévère dans ce cas. Le pronostic de la microangiopathie thrombotique de la grossesse est sombre. Dans la plupart des cas, linsuffisance rénale est sévère et parfois la récupération est absente ou incomplète. La mortalité nest pas négligeable notamment en cas datteinte neurologique. Des petites séries non contrôlées suggèrent un bénéfice thérapeutique des échanges plasmatiques mais leur indication formelle nest pas validée par les études prospectives randomisées.
2. Insuffisance rénale aiguë associée à la stéatose hépatique aiguë de la grossesse :
La stéatose aiguë de la grossesse qui consiste en une infiltration hépatocytaire graisseuse sans inflammation et nécrose est une complication rare de la grossesse, associée à une insuffisance rénale dans 60 % des cas environ. Le diagnostic doit être évoqué chez une femme avec un tableau de prééclampsie et plus spécifiquement une hypoglycémie, une hypofibrinogénémie et une prolongation du TCA en labsence dhématome rétroplacentaire. La plupart des patientes ayant une insuffisance rénale ont des signes de diminution de la perfusion rénale ou une nécrose tubulaire aiguë. Le traitement est essentiellement celui de la coagulation intravasculaire et la délivrance immédiate du fStus. Les anomalies biologiques saméliorent fréquemment dans les 24 à 48 heures après la délivrance.
Il est important de rappeler que le syndrome HELLP (acronyme de Hemolysis Elevated Liver enzymes Low Platelets) caractérisé par une thrombopénie , une anémie microangiopathique hémolytique avec schizocytose, une augmentation des LDH et des transaminases, peut être difficile à distinguer sur des bases cliniques et biologiques dune stéatose aiguë du foie de la grossesse. Ces deux manifestations surviennent aux mêmes périodes de la grossesse et partagent un grand nombre de manifestations clinico-biologiques.
Lexamen clé pour différencier ces deux syndromes est la biopsie du foie qui la plupart du temps nest pas pratiquée car le traitement de ces deux variantes cliniques est le même, à savoir la délivrance du fStus.
3. Nécrose corticale rénale :
Une nécrose corticale bilatérale ou dans des cas moins sévères une nécrose tubulaire aiguë peut être induite par la grossesse à loccasion dun hématome rétro-placentaire ou dautres complications comme le décollement du placenta, une mort fStale intrautérine prolongée ou une embolie de liquide amniotique. La survenue dune coagulation intravasculaire disséminée et lischémie rénale sévère aboutissant à des lésions endothéliales et des dépôts secondaires de fibrine sont considérés comme les facteurs initiateurs de cette affection. Les patientes atteintes se présentent typiquement avec lune des complications précédentes de la grossesse et le début brutal dune oligurie ou dune anurie fréquemment associée à une hématurie macroscopique, des douleurs lombaires et une hypotension. La triade anurie, hématurie macroscopique et lombalgies est inhabituelle dans les autres formes dinsuffisance rénale associée à la grossesse.
Le diagnostic est habituellement établi par léchographie ou mieux le scanner rénal qui montre des zones hypoéchogènes ou hypodenses du cortex rénal. Une biopsie rénale ou une artériographie peuvent également être réalisées mais ces procédures invasives ne sont habituellement pas nécessaires. Des calcifications rénales sur une radiographie dASP ou le scanner sont également suggestives de nécrose corticale mais ces calcifications sont une conséquence tardive cicatricielle et ne sont pas visible avant 1 à 2 mois. Aucune forme de traitement na été validée dans cette affection. La plupart des patients nécessite la dialyse mais 20 à 40 % peuvent avoir une récupération partielle de la fonction rénale de façon souvent transitoire.
4. Infection et obstacles
Dautres affections liées à linfection ou lobstruction de lappareil urinaire peuvent entraîner une insuffisance rénale au cours de la grossesse.
Une pyélonéphrite aiguë peut être parfois responsable dune insuffisance rénale aiguë même en labsence de septicémie ou dhypotension. La biopsie rénale retrouve alors dans ces cas des micro-abcès focaux disséminés qui récupèrent ainsi que la fonction rénale sous traitement antimicrobien adapté. La récupération de la fonction rénale nest cependant pas toujours complète.
La relaxation du muscle lisse utérin et la compression des uretères par lutérus gravide peuvent entraîner une dilatation légère à modérée du système collecteur. Cette hydronéphrose fonctionnelle qui tend à prédominer du côté droit est détectable par échographie mais elle est habituellement sans conséquence sur la fonction rénale. Exceptionnellement, lobstruction peut être suffisamment importante pour entraîner une insuffisance rénale. Le diagnostic peut être parfois établi dans certains cas par la normalisation de la fonction rénale en position décubitus latéral qui diminue la pression des uretères par lutérus et sa récidive en position debout. Dans certains cas, la mise en place dune sonde urétérale est nécessaire.
Une lithiase urinaire peut être responsable dobstruction urinaire aiguë au cours de la grossesse. Ce processus est habituellement unilatéral entraînant des douleurs lombaires et une hématurie micro- ou macroscopique plutôt quune insuffisance rénale. Le diagnostic peut généralement être établi par limagerie, notamment léchographie. Environ 80 % des calculs séliminent spontanément mais lextraction du calcul ou la mise en place dune sonde est parfois nécessaire chez les patientes septiques, hyperalgiques ou lorsque lobstruction survient sur un rein unique.
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