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L'urémie (ou syndrome urémique) représente l'ensemble des manifestations cliniques et biologiques associées à l'insuffisance rénale chronique (IRC) terminale. Ces manifestations ne sont généralement pas observées avant la survenue dune réduction importante de la fonction rénale, cest-à-dire en-dessous de 25 % de la normale (25 ml/mn.). Avant ce stade, la plupart des patients ont peu ou pas de symptômes et les anomalies biochimiques sont peu démonstratives.
L'indolence et l'absence de symptômes est souvent considérée à tort par les patients et même les médecins comme un signe de bonne tolérance témoignant du caractère anodin de l'insuffisance rénale chronique. En réalité, dès le stade précoce de l'insuffisance rénale, toute une série de modifications cliniques et biologiques s'installent qui vont s'aggraver très progressivement (si bien que la tolérance clinique est parfois surprenante) et vont se décompenser brutalement lorsque la fonction rénale chute en-dessous de 25 %. Certaines de ces complications (hypertension artérielle, anémie, surcharge hydrosodée, dénutrition) jouent un rôle important dans la morbidité - mortalité survenant chez l'insuffisant rénal chronique, aussi bien au stade pré-dialytique que pendant le traitement par dialyse ou par transplantation rénale. Ceci implique donc un dépistage précoce, un suivi attentif et un traitement rigoureux de l'ensemble de ces complications liées à l'insuffisance rénale.
1. Maladies cardio-vasculaires :
Les maladies cardiaques représentent la principale cause de décès chez les patients en insuffisance rénale chronique avancée. Elles représentent environ 40 % des décès dans la plupart des registres internationaux et cette mortalité persiste après transplantation rénale. Le risque de décès d'ischémie myocardique est d'environ 5 fois plus élevé que dans la population normale.
Plusieurs facteurs contribuent au développement de la cardiopathie ischémique et de l'insuffisance cardiaque congestive chez les patients en insuffisance rénale chronique : (1) la surcharge volémique (rétention hydrosodée), (2) la surcharge de pression (hypertension artérielle), (3) l'hyperdébit cardiaque (anémie, fistule artério-veineuse), (4) dyslipoprotéinémie et peut-être des anomalies du fonctionnement cellulaire myocardique liées à l'urémie (hyperparathyroïdie, calcification métastatique, hyperhomocystéïnémie).
Les anomalies échocardiographiques notamment l'hypertrophie ventriculaire gauche, la dilatation ventriculaire gauche et la dysfonction systolique sont fréquentes chez les patients en insuffisance rénale avancée et sont responsables dun excès de mortalité cardio-vasculaire même chez des patients asymptomatiques. L'augmentation du volume ventriculaire gauche et de la masse ventriculaire gauche sont des prédicteurs puissants du risque de décès de cause cardio-vasculaire chez les patients avec une insuffisance rénale.
L'ischémie coronaire peut survenir en l'absence même de lésion sténosante significative des troncs coronaires en raison d'une réduction de la réserve vasodilatatrice coronaire, d'une altération de l'utilisation de l'oxygène par le myocarde et de la fibrose intercardiomyocytaire liée à l'urémie. L'anémie crée un état circulatoire hyperdynamique et diminue la quantité d'oxygène délivré au myocarde. Cette situation est aggravée en cas d'existence d'une fistule artério-veineuse.
La correction de la surcharge de pression (hypertension) et de la surcharge de volume (rétention hydrosodée) ainsi que de l'hyperdébit (anémie) sont les points les plus importants du traitement. Le traitement de l'anémie avec l'érythropoïétine réduit la fréquence cardiaque, la contractilité cardiaque et l'hypertrophie ventriculaire gauche. Ces effets pourraient même retarder la progression de l'atteinte cardiaque chez les patients avec une insuffisance rénale pré-dialyse.
L'efficacité des médicaments pharmacologiques de l'insuffisance cardiaque ou de l'insuffisance coronaire chez les patients atteints d'insuffisance rénale n'a pas été clairement définie par des études prospectives à large échelle. Il semble cependant approprié d'extrapoler les résultats provenant de patients sans insuffisance rénale en ce qui concerne les inhibiteurs de l'enzyme de conversion pour le traitement de l'insuffisance cardiaque.
3. Hypertension artérielle :
L'hypertension artérielle est une complication fréquente de l'insuffisance rénale chronique. Sa prévalence est estimée à 50 à 90 % selon le type de la maladie rénale et le dégré d'insuffisance rénale. D'une façon générale, l'hypertension artérielle est d'autant plus fréquente que la fonction rénale est altérée et au cours des maladies vasculaires glomérulaires diabétiques et de la polykystose quau cours des maladies interstitielles du rein. Dans la plupart des cas, le mécanisme principal de l'hypertension artérielle est la rétention d'eau et de sel et l'expansion du volume intra-vasculaire. Le système rénine-angiotensine est paradoxalement activé ou en tout cas inadéquatement supprimé compte-tenu du degré d'expansion volémique intra-vasculaire.
L'hypertension artérielle est un facteur majeur de progression de l'insuffisance rénale mais aussi contributif à l'excès de morbidité-mortalité cardio-vasculaire chez ces patients. La pression artérielle doit être contrôlée avec une cible tensionnelle de 130/85 mmHg quel que soit le traitement antihypertenseur nécessaire pour arriver à cet objectif. Une baisse supplémentaire de la pression artérielle jusqu'à des valeurs de 120/75 mmHg semble même particulièrement bénéfique chez les patients d'origine africaine ou chez les patients avec une néphropathie et une protéinurie supérieure à 1 g/jour.
En raison du rôle important de la rétention sodée dans la génèse de l'hypertension artérielle, une réduction du sodium alimentaire en-dessous des 6 g/24h est spécialement utile chez ces patients pour le contrôle de l'hypertension artérielle. De plus, la restriction sodée augmente l'effet antihypertenseur et anti-protéinurique des inhibiteurs de l'enzyme de conversion.
L'hypertension associée à l'insuffisance rénale est volontiers résistante aux médicaments et une association de plusieurs médicaments antihypertenseurs est souvent nécessaire. Les inhibiteurs de l'enzyme de conversion doivent être privilégiés en labsence de contre-indication car ces médicaments ont un effet réno-protecteur plus important que les autres antihypertenseurs.
Un diurétique est également nécessaire pour assurer le contrôle tensionnel. Les diurétiques thiazidiques ne sont pas efficaces en cas d'insuffisance rénale avancée (clairance de la créatinine inférieure à 30 ml/mn ce qui correspond environ à une créatinine plasmatique supérieure à 200-250 µmol/l). Les diurétiques de l'anse sont généralement nécessaires avec des doses progressivement croissantes en fonction de l'insuffisance rénale. Les diurétiques épargneurs du potassium (amiloride, Modamide®) ainsi que les anti-aldostérones (spironolactone, Aldactone®), ainsi que tous les médicaments qui en contiennent en association, sont contre-indiqués en raison du risque d'acidose métabolique hyperkaliémique.
Si l'addition d'autres antihypertenseurs est nécessaire pour obtenir le contrôle tensionnel, l'ensemble des autres médicaments antihypertenseurs peut être utilisé en particulier les bétabloqueurs pour leur effet de prévention des complications cardio-vasculaires chez ces patients. Les bétabloqueurs non sélectifs doivent être évités dans la mesure où ils favorisent l'hyperkaliémie.
3. Anémie
L'anémie de type normocytaire normochrome est extrêmement fréquente lors de l'insuffisance rénale. Le taux d'hémoglobine diminue progressivement avec la réduction de la fonction rénale mais une anémie inférieure à 7-8 g/dl est exceptionnellement rencontrée. Le mécanisme de cette anémie arégénérative est essentiellement une diminution de la synthèse rénale d'érythropoïétine. Une carence martiale associée peut être cependant systématiquement dépistée et traitée.
L'anémie de l'insuffisance rénale est habituellement facilement corrigée par l'érythropoïétine recombinante. La correction de l'anémie par l'érythropoïétine chez des patients urémiques a permis rétrospectivement d'attribuer à l'anémie de nombreux symptômes liés auparavant à tort à l'urémie. L'anémie même modérée, survenant au cours de l'insuffisance rénale chronique pré-dialytique est un facteur majeur favorisant la survenue de modifications structurales des artères et du coeur (hypertrophie vasculaire et hypertrophie ventriculaire gauche). Ces anomalies vasculaires et cardiaques ont un impact majeur sur la morbidité-mortalité de ces patients avant et pendant la dialyse.
Il est maintenant recommandé de traiter de façon systématique l'anémie de l'insuffisant rénal chronique de façon à obtenir un taux d'hémoglobine entre 11 et 12 g/dl. Ceci peut être obtenu par l'administration d'érythropoïétine généralement 50 U/kg deux fois par semaine par voie sous-cutanée. Avant et pendant l'administration d'érythropoïétine, les stocks en fer doivent être évalués et tout déficit corrigé systématiquement. Une complication potentielle de l'augmentation trop rapide du taux d'hémoglobine sous érythropoïétine est la survenue ou laggravation d'une hypertension artérielle qui peut avoir des effets délétères sur la fonction rénale. Cette hypertension artérielle est habituellement accessible à la majoration du traitement anti-hypertenseur et en particulier à un contrôle rigoureux de la volémie par les diurétiques.
4. Les troubles hémorragiques :
Les anomalies de la coagulation sont également rencontrées au cours de l'insuffisance rénale avancée.
Environ 20 % des patients urémiques ont un degré modéré de thrombocytopénie mais il est exceptionnel d'avoir un taux de plaquettes inférieur à 50 000. Une thrombocytopénie sévère peut survenir chez certains patients au cours d'un syndrome hémolytique et urémique.
Le temps de saignement est souvent allongé chez l'insuffisant rénal sans lien direct avec le degré de réduction de la filtration glomérulaire. Ces anomalies du temps de saignement se corrigent avec la dialyse, suggérant que certains facteurs dialysables sont responsables de ces anomalies. La DDAVP améliore le temps de saignement sans affecter les anomalies plaquettaires (diminution du PF3) suggérant qu'une anomalie de la fonction ou de la libération du facteur VIII ou du facteur von Willebrand est responsable des anomalies hémorragiques observées au cours de l'urémie. L'anémie contribue également à l'allongement du temps de saignement chez les patients urémiques. Un taux d'hémoglobine plus important favorise le contact des plaquettes avec la surface endothéliale qui est nécessaire pour l'interaction plaquettes-endothélium.
La tendance hémorragique (allongement du temps de saignement) de l'urémie ne nécessite généralement pas de traitement spécifique sauf en cas de chirurgie, de biopsie ou à l'occasion d'un traumatisme.
La correction de l'anémie par des transfusions de culots érythrocytaires ou l'administration d'érythropoïétine peut améliorer l'hémostase. Environ 2/3 des patients urémiques améliorent ou corrigent les anomalies du temps de saignement par la DDAVP (Minirin®). La dose habituelle est de 0.3 µg/kg par voie intra-veineuse sous-cutanée ou intra-nasale. La DDAVP est efficace en une à deux heures et son effet persiste environ 4 à 6 heures. Une tachyphylaxie peut survenir rapidement après un ou deux jours de traitement. L'admistration d'estrogène améliore le temps de saignement chez environ 80 % des patients. La réponse est plus longue à se manifester mais persiste pendant deux semaines environ avec un pic à 6 jours. Les cryoprécipités sont également efficaces pour contrôler les saignements liés à l'urémie mais il est nécessaire alors de prendre en compte le risque viral associé. L'effet sur le temps de saignement survient en l'espace d'une heure et persiste pendant 18 heures environ. Les transfusions de plaquettes sont également efficaces mais ne sont recommandées que pour les urgences menaçant la survie.
5. Polysérite
Une autre complication notée avec une assez grande fréquence chez les patients avec une insuffisance rénale avancée est l'atteinte des membranes séreuses se manifestant par une péricardite ou une pleurite. Les séreuses atteintes sont épaissies, hypervascularisées et infiltrées par des cellules plasmocytaires et des histiocytes. Cliniquement, un frottement pleural ou péricardique peut être entendu. Lorsque ces épanchements pleuraux ou péricardiques sont présents, ils sont constamment hémorragiques et contiennent habituellement moins de 10 000 globules blancs/mm3.
Un drainage péricardique est parfois nécessaire pour améliorer la symptomatologie clinique. Cependant, si le syndrome urémique n'est pas amélioré par le traitement des facteurs réversibles ou l'hémodialyse, la récidive est habituelle. Plus exceptionnellement une péricardite constrictive peut survenir à la phase de guérison d'une péricardite urémique.
Les ascites chroniques sont une manifestation des polysérites urémiques de l'insuffisance rénale avancée. Cette complication survient essentiellement chez les patients qui ont eu une chirurgie abdominale ou une dialyse péritonéale préalable. L'ascite est composée d'un exsudat avec un rapport de concentration albumine dans le liquide d'ascite par rapport au plasma de plus de 0.5. Quoique la surcharge hydrosodée aggrave l'ascite urémique, la soustraction liquidienne n'est souvent pas un mode de traitement très efficace. Par contre, la transplantation rénale ou plusieurs jours consécutifs de dialyse intensive sont habituellement efficaces.
6. Calcifications métastatiques
Une complication sévère de l'insuffisance rénale chronique est représentée par les calcifications métastatiques. Trois types distincts de dépôts métastatiques de phosphates de calcium sont décrits chez les patients urémiques. Les mécanismes spécifiques responsables de ces dépôts ne sont pas bien connus et il est possible que ces trois formes aient des mécanismes physiopathologiques différents.
La forme la plus potentiellement grave de calcifications métastatiques est représentée par les calcifications vasculaires. Ces calcifications vasculaires peuvent affecter n'importe quelle artère de moyen calibre de l'organisme et peuvent parfois causer une insuffisance vasculaire ischémique avec une gangrène des extrémités, des ulcérations ischémiques de la peau mais aussi du tractus gastro-intestinal. Ces calcifications vasculaires persistent généralement après parathyroïdectomie ou même après transplantation rénale. Des signes histologiques de calcifications vasculaires surviennent même chez les jeunes patients urémiques et après l'âge de 50 ans, des signes radiographiques de calcifications vasculaires sont présents chez pratiquement 100 % des patients urémiques.
La deuxième variété de dépôts de phosphates de calcium résulte de l'hyperphosphatémie. Ces dépôts peuvent être rapidement immobilisés en réduisant la concentration plasmatique des phosphates et donc le produit phospho-calcique par la dialyse, les chélateurs intestinaux du phosphore ou encore par la transplantation.
Ces dépôts peuvent se présenter sous plusieurs formes : calcifications conjonctivales avec rougeur et sensation d'irritation des yeux ; calcifications péri-articulaires limitant les mouvements articulaires en raison de la taille parfois importante de ces dépôts ; épisodes d'arthrite aiguë par dépôts de cristaux d'hydroxyapatite dans le liquide synovial (chondrocalcinose).
Le dernier type de calcifications observées chez les patients urémiques sont les calcifications viscérales qui surviennent au niveau du poumon, du muscle squelettique et du myocarde. Ces dépôts amorphes de phosphates de calcium ont une composition physico-chimique différente des deux autres formes de dépôts de phosphate de calcium. Les calcifications vasculaires et celles induites par l'hyperphosphatémie sont constituées d'hydroxyapatite (c'est-à-dire le calcium minéral similaire à celui de l'ostéogénèse) alors que les calcifications viscérales ont des propriétés physico-chimiques de whitlockite.
Les calcifications cardiaques surviennent initialement dans le tissu de conduction et peuvent être responsables d'arythmie sévère. Lorsque les calcifications cardiaques sont plus importantes, elles peuvent atteindre l'ensemble du myocarde et entraîner le décès par bas-débit cardiaque. Les calcifications pulmonaires induisent une réponse fibreuse des petites artérioles et des septa-alvéolaires. Il en résulte des anomalies de diffusion et restrictives aboutissant à l'hypoxémie. Le mécanisme physio-pathologique responsable du développement de ces dépôts viscéraux de phosphates de calcium n'est pas bien compris. On ne sait pas non plus si ces dépôts sont mobilisables par la réduction du produit phospho-calcique ou même la transplantation.
Le prurit généralisé est une complication extrêmement désagréable de l'insuffisance rénale chronique. Dans certains cas, le contenu élevé en calcium au niveau de la peau peut être en cause. La parathyroïdectomie améliore parfois le prurit mais chez la plupart des patients, la réduction du phosphate sanguin avec des chélateurs intestinaux ou l'intensification de la dialyse sont suffisants.
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