Deux étapes principales sont nécessaires pour la formation de l'oedème :
- une altération de l'hémodynamique capillaire qui favorise le mouvement de fluides depuis l'espace vasculaire dans l'interstitium,
- la rétention rénale de sodium et d'eau à l'origine de l'expansion du volume liquidien extracellulaire.
Le rôle central du rein dans le développement de l'oedème peut être apprécié à partir des observations suivantes. Les oedèmes ne deviennent pas apparents cliniquement avant que le volume interstitiel n'ait augmenté d'au moins 2,5 à 3 litres. Dans la mesure où le volume plasmatique normal est seulement de 3 litres, les patients développeraient une hémoconcentration menaçante et un état de choc si le fluide des oedèmes provenait seulement du plasma. En réalité le rein maintient le volume plasmatique en augmentant une rétention compensatoire de sodium et d'eau.
Chez les patients avec une insuffisance cardiaque congestive et une cirrhose hépatique, la rétention de sodium et d'eau et une compensation appropriée dans la mesure où celle-ci restaure la perfusion tissulaire même si cela augmente également le degré de l'oedème. Inversement l'élimination des oedèmes par un diurétique améliore les symptômes mais peut compromettre la perfusion tissulaire, ce qui aboutit éventuellement à des manifestations cliniques.
Les effets hémodynamiques sont cependant différents lorsque l'anomalie primitive est une rétention rénale inappropiée de fluide et de sodium. Cette circonstance survient plus généralement chez des patients avec une maladie rénale primitive. Dans ce cas à la fois le volume plasmatique et intersitiel sont augmentés et il n'y a pas d'effet hémodynamique délétère provenant de la soustraction du fluide en excès. Ceci est un exemple de surremplissage ("overfilling") de l'arbre vasculaire par opposition au sous-remplissage ("underfilling") qui survient lorsqu'il existe une anomalie primitive du mouvement de fluide depuis le compartiment vasculaire.
L'échange de fluides entre le plasma et l'interstitium est déterminé par les pressions hydrauliques et oncotiques dans chacun des compartiments. La relation entre ces paramètres peut être exprimée par la loi de Starling :
filtration nette = K S ( delta pression hydraulique - delta pression oncotique)
= K S (Pcap Pi) - (POCcap POCi)
ou K est l'unité de perméabilité ou de porosité du mur capillaire, S est la surface de filtration, Pcap et Pi sont les pressions hydrauliques capillaires et interstitielles,POCcap etPOCi sont les pressions oncotiques capillaires et interstitielles essentiellement générées par l'albumine et S représente le coefficient de réflexion de protéines à travers le mur capillaire dont les valeurs vont de O lorsque cette barrière est complètement perméable à 1 lorsquelle est totalement imperméable. Outre ces forces, le degré d'accumulation de fluides dans l'interstitium est déterminé par la vitesse de soustraction de fluide par les vaisseaux lymphatiques.
Bien qu'elle soit générée par le débit cardiaque, la pression capillaire hydraulique est relativement insensible aux variations de la pression artérielle. La stabilité de la pression capillaire est liée aux variations de résistance des sphincters précapillaires qui déterminent la fraction de pression artérielle transmise dans le capillaire. Si la pression artérielle est augmentée par exemple, le sphincter précapillaire se contracte prévenant toute modification significative de l'hémodynamique capillaire. Cette réponse qui est appelée autorégulation est sous le contrôle local et elle est médiée à la fois par des récepteurs sensibles à l'étirement (stretch receptors) dans le mur vasculaire et par des facteurs métaboliques locaux. L'efficacité de l'autorégulation explique pourquoi les patients avec une hypertension systémique ne développent pas d'oedème. Inversement la résistance à la fin veineuse du capillaire n'est pas bien régulée. Il en résulte qu'une augmentation de la pression veineuse produite par des modifications similaires de la pression hydraulique capillaire, ce qui dans cette circonstance favorise les oedèmes.
La pression oncotique interstitielle est déterminée par les principaux solutes interstitiels qui sont les mucopolysaccarides et surtout les protéines filtrées, notamment l'albumine. Le degré d'accumulation des protéines filtrées est déterminé par deux facteurs : la perméabilité du mur capillaire et la vitesse d'élimination par les vaisseaux lymphatiques. La pression oncotique interstitielle est en partie dépendante de la concentration plasmatique des protéines. Cette relation a des implications importantes pour le rôle éventuel de l'hypoalbuminémie dans la formation des oedèmes. Une réduction de la concentration plasmatique d'albumine et donc de la pression oncotique plasmatique a tendance à favoriser le mouvement de fluide depuis les vaisseaux jusque dans l'interstitium. Avec le temps cependant moins d'albumine est filtrée et la pression oncotique interstitielle chute. A ce stade, le gradient de pression oncotique transcapillaire (POCcap -POCi) est peu modifié et la formation d'oedème s'arrête.
Les valeurs normales des forces de Starling chez l'homme ne sont pas bien connues car ses principaux ne sont pas facilement mesurables. Il existe cependant d'importantes différences des valeurs de force de Starling selon les organes, tels que le muscle squelettique, le tissus sous-cutanés qui sont les sites des oedèmes périphériques et le foie, site de la formation d'ascite au cours des maladies hépatiques. Dans les capillaires du muscule squelettique, la force la plus importante est la pression hydraulique capillaire moyenne 17 mmHg qui pousse les fluides en-dehors des capillaires et la pression oncotique plasmatique 26 mmHg qui repousse les liquides dans l'espace vasculaire. L'effet de la pression oncotique plasmatique est partiellement contrebalancée par la pression oncotique interstitielle qui est estimée à 10 - 15 mmHg. L'effet net est un faible gradient moyen d'environ 0,3 - 0,5 mmHg favorisant la filtration depuis l'espace vasculaire. Ces liquides sont retournés à la circulation systémique par les vaisseaux lymphatiques.
Les sinusoïdes hépatiques ont des caractéristiques très différentes. Les sinusoïdes sont hautement perméables aux protéines et il en résulte que les pressions oncotique capillaire et intersitielle sont à peu près équivalentes et qu'il n'y a pratiquement pas de gradient de pression oncotique transcapillaire. Ainsi le gradient de pression hydraulique favorisant la filtration est virtuellement non contrarié. Pour une certaine façon, la filtration est réduite par une pression hydraulique capillaire plus basse que dans le muscle squelettique car environ 2/3 du débit sanguin hépatique provient de la veine porte, un système à basse pression. Cependant il y a globalement un gradient de filtration plus important mais les oedèmes ne surviennent pas normalement car la plupart du fluide filtré est soustrait par les lymphatiques.
Au niveau du poumon, les capillaires alvéolaires ont une pression capillaire hydraulique relativement basse due à la perfusion à partir d'un système à basse pression du ventricule droit et sont plus perméables que les muscles squelettiques aux protéines, ce qui aboutit à un gradient de pression oncotique transcapillaire moindre.
3. Formation de l'oedème
Le développement de l'oedème nécessite l'altération de l'une ou plus des forces de Starling dans une direction qui favorise une augmentation de la filtration nette.
Ceci est le plus souvent lié à une élévation de la pression hydraulique capillaire mais moins fréquemment l'oedème peut résulter d'une augmentation de la perméabilité capillaire ou de la pression oncotique interstitielle ou encore par une réduction de la pression oncotique plasmatique. L'oedème peut également être induit par l'obstruction lymphatique dans la mesure où les fluides normalement filtrés ne sont plus retournés à la circulation systémique.
Une augmentation de la pression capillaire hydraulique est habituellement induite par une augmentation de la pression veineuse. Une élévation persistante de la pression veineuse aboutissant à l'oedème peut survenir par l'un ou l'autre de ces deux mécanismes élémentaires : lorsque le volume sanguin est augmenté, ce qui augmente le volume dans le système veineux et lorsqu'il y a une obstruction veineuse. Les deux principaux exemples d'oedèmes liés à une expansion volémique sont l'insuffisance cardiaque congestive et les maladies rénales. Les exemples d'oedèmes liés au moins en partie à une obstruction veineuse comportent la formation d'ascite au cours de la cirrhose hépatique et l'oedème aigu pulmonaire survenant après une altération brutale de la fonction cardiaque (par exemple un infarctus du myocarde).
L'hypoalbuminémie liée à la fuite d'albumine urinaire au cours du syndrome néphrotique ou liée à la diminution de la synthèse hépatique d'albumine est une autre cause potentielle d'oedèmes. Cependant une hypoalbuminémie chronique seule est insuffisante pour induire des oedèmes.
Une augmentation de la perméabilité capillaire par lésions vasculaires promouvoit le développement des oedèmes à la fois directement et en permettant le transfert d'albumine vers l'interstitium, ce qui diminue le gradient de pression oncotique. Les oedèmes par augmentation de perméabilité capillaire s'observent dans les circonstances cliniques suivantes :
L'obstruction lymphatique est une cause inhabituelle d'oedèmes qui est le plus souvent secondaire à des adénopathies malignes. Au cours de l'hypothyroïdie (myxoedème), il y a une augmentation importante de l'accumulation interstitielle d'albumine et d'autres protéines. La compensation lymphatique est dans ce cas anormalement normale ou basse, peut-être parce que les protéines filtrées en excès se fixent aux mucopolysaccharides interstitiels empêchant le drainage lymphatique.
4. Facteurs de défense contre l'oedème
Dans la mesure où il existe un faible gradient favorisant la filtration, on pourrait s'attendre que des petites modifications des forces hémodynamiques au niveau capillaire aboutissent à la formation d'oedèmes. Cependant, les données expérimentales et cliniques montrent qu'il faut au moins une augmentation du gradient de 15 mm Hg pour favoriser la filtration avant que l'oedème ne soit détectable. Trois facteurs contribuent à la réponse de protection contre la formation des oedèmes :
- augmentation du flux lymphatique qui initialement enlève le filtrat excessif. Au cours de l'oedème pulmonaire par insuffisance cardiaque congestive par exemple, l'accumulation de liquide dans le poumon, pour toute valeur de pression capillaire pulmonaire, est liée à la capacité fonctionnelle des lymphatiques qui est influencée à la fois par des facteurs individuels et la vitesse d'installation des modifications hémodynamiques. Lors d'une augmentation brutale des pressions capillaires pulmonaires, le système lymphatique pulmonaire n'a pas une capacité augmentée pour soustraire le fluide si bien que l'oedème pulmonaire survient pour des pressions capillaires pulmonaires aussi faibles que 18 mmHg. A l'inverse chez des patients avec une insuffisance cardiaque congestive dont la capacité lymphatique est augmentée ne développent pas d'oedème pulmonaire jusqu'à des pressions capillaires pulmonaires beaucoup plus élevées supérieures à 25 mmHg.
- L'entrée de fluides dans l'interstitium va augmenter progressivement la pression interstitielle hydraulique.
- L'entrée de fluides dans l'interstitium diminue également la pression oncotique interstitielle à la fois par dilution et par soustraction lymphatique des protéines interstitielles. La réduction de la pression interstitielle oncotique a des implications importantes pour comprendre le rôle de l'hypoalbuminémie dans le formation des oedèmes et pour le site de formation des oedèmes. Ainsi la pression oncotique interstitielle normale dans le tissu sous cutané chez l'homme est de 12 à 15 mmHg. Ainsi au cours du syndrome néphrotique, la diminution progressive de la pression oncotique plasmatique est suivie par une diminution parallèle de la pression oncotique interstitielle si bien que le gradient de pression oncotique transcapillaire est initialement maintenu avec peu de tendance à la formation des oedèmes.
Ainsi en l'absence d'une hypoalbuminémie très sévère, l'oedème au cours du syndrome néphrotique est essentiellement du à une rétention rénale de sodium primitive. Une considération analogue intervient pour la protection de la circulation pulmonaire vis-à-vis de l'oedème induit par l'hypoalbuminémie. Le capillaire alvéolaire a une perméabilité basale plus importante à l'albumine si bien que la pression interstitielle oncotique à cet endroit est d'environ 18 mmHg. Ceci représente un facteur de défense important contre l'oedème alvéolaire en cas d'hypoalbuminémie dans la mesure où la pression interstitielle oncotique diminue en parallèle avec la pression oncotique plasmatique. Ainsi en l'absence d'une augmentation associée de la pression auriculaire et de la pression capillaire pulmonaire, l'oedème pulmonaire n'est habituellement pas observé en cas d'hypoalbuminémie, même lorsque la concentration plasmatique d'albumine diminue suffisamment pour produire des oedèmes périphériques. Il en est différemment lors de l'administration rapide de larges quantités de solutés salés à des patients avec une hypovolémie marquée, une situation au cours de laquelle la concentration plasmatique d'albumine basse peut régulièrement induire des oedèmes. Dans ce contexte, c'est l'hypoalbuminémie aiguë par dilution qui est responsable alors que la concentration interstitielle d'albumine n'a pas le temps de diminuer. Dans ce cas, le gradient de pression oncotique transcapillaire est diminué et l'oedème périphérique survient avant la restauration de pression de remplissage normale intracardiaque.
5. Rétention rénale de sodium
La deuxième étape dans la formation de l'oedème est l'expansion des volumes extracellulaires par une rétention rénale de sodium. Ce processus résulte de l'un des deux mécanismes principaux essentiels :
- une rétention primitive rénale de sodium ou
- une réponse appropriée à une diminution du volume circulant effectif.
Un défaut primitif de l'excrétion rénale de sodium peut survenir au cours de l'insuffisance rénale avancée ou au cours de maladies glomérulaires, comme une glomérulonéphrite aiguë ou du syndrome néphrotique. Dans un modèle animal de syndrome néphrotique unilatéral induit par l'injection de puromicine intoxique des podocytes glomérulaires dans une artère rénale, seul le rein atteint retient le sodium suggérant que des mécanismes intrarénaux plutôt que neuro-endocriniens systémiques sont essentiels. Les études en microponction étudiant la composition du fluide tubulaire à différents niveaux du néphron montrent que le sodium filtré délivré à la fin du tube distal est identique dans les deux reins. Ainsi la diminution de l'excrétion du sodium résulte probablement d'une augmentation de la réabsorption de sodium dans le tube collecteur, phénomène dont le mécanisme n'est pas connu.
La rétention de sodium et d'eau aboutissant à la formation d'oedèmes représente plus habituellement une réponse compensatoire appropriée à une diminution du volume circulant effectif avec une concentration urinaire de sodium souvent inférieure à 15 mmol/l. Le volume circulant effectif est une entité non mesurable qui se réfère au volume artériel, normalement environ 700 ml chez un homme de 70 kg (soit environ 15 % du volume circulant total) qui perfuse efficacement les tissus.
L'insuffisance cardiaque congestive est un exemple clinique habituel de réduction du volume circulant effectif aboutissant à la formation d'oedèmes. La dysfonction myocardique diminue initialement le débit cardiaque entrainant la libération des 3 hormones de l'hypovolémie (la rénine qui aboutit à la production d'angiotensine II et d'aldostérone, la noradrénaline et l'hormone antidiurétique). Ces hormones exercent différents effets limitant l'excrétion de sodium et d'eau et favorisant la formation d'oedèmes.
- Une réduction du débit de filtration glomérulaire liée à une vasoconstriction rénale.
- Une augmentation de la réabsorption proximale de sodium médiée par l'angiotensine II et la noradrénaline.
- Une augmentation de la réabsorption d'eau et de sodium au niveau du tube collecteur liée à l'aldostérone et à l'ADH respectivement.
Si la maladie cardiaque n'est pas trop sévère, la rétention de fluide peut restaurer une hémodynamique systémique relativement normale du moins au repos. L'augmentation du volume plasmatique augmente le retour veineux jusque dans le coeur, augmente les pressions de remplissage intra-cardiaque (relation de Franck-Starling) et augmente le débit cardiaque vers la normale. En ce nouvel état compensé, la pression artérielle systémique, l'activité rénine plasmatique et la concentration d'aldostérone ainsi que l'excrétion urinaire de sodium peuvent retourner à des valeurs initiales au prix d'une augmentation persistante du volume plasmatique et la formation d'oedèmes.
Dans la plupart des cas, le volume circulant effectif est directement proportionnel au débit cardiaque. Cependant la perfusion tissulaire effective et le débit cardiaque ne sont pas toujours liés dans la mesure où la perfusion tissulaire peut être réduite par une diminution de la résistance vasculaire périphérique.
Par exemple, la création d'une fistule artério-veineuse nentraîne pas initialement des modifications du débit cardiaque alors que la perfusion tissulaire est diminuée dans la mesure où une partie du sang circulant à travers la fistule court-circuite la circulation capillaire. En réponse à cette hypoperfusion périphérique, le rein retient du sodium et de l'eau ce qui contribue à augmenter le volume circulant et le débit cardiaque. Un nouvel état d'équilibre est atteint caractérisé par un débit cardiaque augmenté, dépassant le niveau de débit cardiaque initial d'une quantité équivalente au débit de la fistule.
Une situation analogue est représentée par la cirrhose hépatique avec ascite. Ces patients ont souvent un débit cardiaque élevé mais ils se comportent comme s'ils étaient en hypovolémie efficace avec une rétention rénale de sodium et une augmentation progressive des 3 hormones de l'hypovolémie. Cette discordance entre le haut débit cardiaque et la réponse rénale et neuro-endocrinienne est liée à la vasodilatation splanchnique et à la présence de multiples fistules artério-veineuses dans l'organisme tels que les angiomes stellaires au niveau de la peau. Le résultat net est une diminution marquée de la résistance vasculaire systémique et une réduction de la pression artérielle. La plus grande partie du débit cardiaque circule de façon inefficace pour la perfusion tissulaire.
La rétention de sodium et d'eau rénale observée au cours de l'insuffisance cardiaque et de la cirrhose résulte à la fois d'une diminution de la filtration glomérulaire liée à l'hypovolémie et surtout d'une augmentation de la réabsorption tubulaire. Cette dernière est médiée par l'augmentation de l'activité du système rénine-angiotensine-aldostérone, du système nerveux sympathique et de l'ADH.