Avant de démarrer un traitement diurétique, il est important de considérer les 3 points suivants qui s'appliquent à tous les syndromes oedémateux :
- quand faut-il traiter les oedèmes ?
- quelles sont les conséquences de la soustraction hydrosodée ?
- à quelle vitesse faut-il corriger les oedèmes ?
2. Quand faut-il traiter les oedèmes ?
L'oedème pulmonaire est la seule forme d'oedème généralisé qui est menaçant sur le plan vital et qui demande un traitement immédiat. Dans toutes les autres formes d'oedèmes, la correction de l'excès de fluide peut être réalisée plus lentement dans la mesure où il n'y a pas danger pour le patient. Ceci est particulièrement vrai au cours de la cirrhose hépatique, au cours de laquelle l'hypokaliémie, l'alcalose métabolique et les transferts rapides de fluides induits par les diurétiques peuvent précipiter le coma hépatique ou le syndrome hépato-rénal.
3. Quelles sont les conséquences volémiques de la soutraction des oedèmes ?
La rétention d'eau et de sodium par le rein au cours de l'insuffisance cardiaque, de la cirrhose hépatique et du syndrome de fuite capillaire idiopathique est une rétention compensatoire dans la mesure où elle augmente le volume circulant effectif vers la normale. Inversement l'accumulation hydrosodée est inappropriée au cours des rétentions primitives rénales de sodium où le volume circulant effectif, de même que le volume total extracellulaire, est augmenté.
Lorsque la rétention d'oedèmes est compensatoire, la soustraction hydrosodée par des diurétiques diminue le volume circulant effectif. Dans la mesure où la soustraction hydrosodée obtenue par diurèse provient essentiellement du volume plasmatique, il y a diminution du retour veineux au coeur et donc des pressions de remplissage cardiaque. D'après la relation de Franck-Starling, cette réduction des pressions de remplissage télédiastolique du ventricule gauche diminue le volume d'éjection systolique à la fois sur les coeurs normaux et en insuffisance cardiaque, ce qui dans les deux cas contribue à diminuer le débit cardiaque et donc la perfusion tissulaire. Cette séquence survient effectivement au cours des syndromes oedémateux, notamment l'insuffisance cardiaque mais aussi la cirrhose hépatique. Malgré la réduction possible du volume circulant efficace la plupart des patients bénéficient d'un usage approprié des diurétiques. La tolérance diminuée à l'exercice et les syndromes de congestion pulmonaire sont souvent améliorés par les diurétiques chez les patients avec une insuffisance cardiaque même si le débit cardiaque peut diminuer par environ 20 % en moyenne.
Cependant dans certains cas, la diminution du volume circulant effectif est significative et suffisante pour altérer la perfusion tissulaire dans des cas particuliers. Ceci survient essentiellement dans 2 circonstances : lorsque le volume circulant effectif est initialement bas, comme par exemple dans l'insuffisance cardiaque sévère ou lorsque les diurétiques sont utilisés de façon excessive et trop rapidement. L'adéquation de la perfusion tissulaire peut être estimée simplement par la surveillance de l'urée et de la créatinine plasmatique. Tant que ces paramètres restent constants, on peut estimer que le traitement diurétique n'a pas induit d'altération significative de la perfusion au niveau des reins et donc des autres organes. L'élévation du rapport urée/créatinine plasmatique, normalement égal à 50 est un signe encore plus précoce et sensible d'hypoperfusion tissulaire. L'augmentation de ce rapport ou de l'urée et de la créatinine plasmatique indique qu'une soustraction hydrosodée supplémentaire doit être évitée et qu'il faut s'orienter vers d'autres mesures thérapeutiques (vasodilatateur ou inotrope dans l'insuffisance cardiaque par exemple). La diminution de la perfusion tissulaire dans ce contexte peut entraîner une faiblesse, une sensation de malaise, vertiges posturaux, léthargie, confusion liée à une diminution du débit sanguin cérébral.
Inversement une altération de la perfusion rénale ne doit pas survenir avec l'utilisation appropriée de diurétiques chez les patients ayant une rétention primitive rénale de sodium. Dans ces conditions, le volume sanguin circulant effectif est augmenté et le traitement diurétique doit simplement diminuer vers la normale ce volume circulant.
4. A quelle vitesse faut-il soustraire l'oedème ?
Lorsque des diurétiques sont administrés, le fluide soustrait provient initialement du plasma. Ceci réduit la pression veineuse et donc de la pression hydraulique capillaire, ce qui permet la restauration du volume plasmatique par la mobilisation des oedèmes vers le compartiment vasculaire. La vitesse de cette mobilisation des oedèmes est variable. Chez les patients avec des oedèmes généralisés par insuffisance cardiaque, syndrome néphrotique ou rétention primitive de sodium rénal, l'oedème peut être mobilisé rapidement dans la mesure où la plupart des lits capillaires sont concernés. Ainsi la soustraction de 2 à 3 litres d'oedèmes en 24 heures peut être obtenue chez ces patients avec des oedèmes importants sans réduction notable du volume plasmatique.
Une exception importante est représentée par la cirrhose hépatique avec ascite mais sans oedème périphérique. Dans ce contexte, l'excès de fluide ascitique ne peut être mobilisé que par les capillaires péritonéaux. La vitesse de mobilisation maximale est de 500 à 750 ml/jour et si une diurèse est obtenue plus rapidement, le fluide ascitique est incapable de remplacer complètement la diminution de volume plasmatique, ce qui aboutit à une insuffisance rénale fonctionnelle et au risque de survenue d'un syndrome hépato-rénal. Cette limitation ne concerne pas les patients qui ont également des oedèmes périphériques dans la mesure où la vitesse de mobilisation des oedèmes est relativement non limitée dans ce contexte.
5. Insuffisance veineuse et obstruction lymphatique
Les patients avec des oedèmes localisés liés à une obstruction veineuse ou lymphatique représentent une autre forme au cours de laquelle le traitement diurétique aboutit à une déplétion volémique. Pour cette raison, les traitements diurétiques doivent être utilisés avec beaucoup de prudence et même le plus souvent évités chez des patients ayant des oedèmes des membres liés à une maladie veineuse ou une ascite liée à une carcinose péritonéale.
6. Traitements diurétiques
Le traitement diurétique dans les oedèmes généralisés est généralement débuté avec un diurétique de l'anse, tel que le furosémide. En plus de la surveillance du volume urinaire, il faut également surveiller la posologie de complications hydroélectrolytiques telles que l'hypokaliémie, l'alcalose métabolique, l'hyponatrémie et l'hyperuricémie.
L'approche thérapeutique a certaines caractéristiques propres à chacune des formes de syndrome oedémateux :
- pour les patients avec une cirrhose hépatique, la spironolactone est le diurétique de choix initialement. La diurèse doit être obtenue lentement en l'absence d'oedème et chez les patients avec une ascite sous tension, il est habituellement nécessaire de recourir à des parasynthèses.
- Chez les patients avec une insuffisance cardiaque congestive, le débit de diurèse n'est habituellement pas limitant mais une surveillance attentive doit être faire à la recherche de signes d'hypoperfusion.
- Chez les patients avec un syndrome néphrotique, des doses plus importantes de diurétiques de l'anse sont habituellement nécessaires en raison de la liaison du diurétique de l'anse à l'albumine dans la lumière tubulaire, ce qui le rend inactif. Une dose plus importante peut également être nécessaire chez les patients avec une insuffisance rénale en raison de la diminution marquée du nombre de néphrons fonctionnels.
- Chez les patients avec des oedèmes idiopathiques qui sont déjà souvent traités par diurétiques, l'approche initiale est d'arrêter le traitement diurétique pendant 2 ou 3 semaines dans la mesure où certains cas peuvent être favorisés par les diurétiques.
- Pour les patients avec des oedèmes résistants quelle qu'en soit la cause, des doses importantes de diurétiques de l'anse administrées par voie intraveineuse et le recours à des combinaisons de diurétiques agissant à différents sites du néphron peuvent être nécessaires.
Tous les diurétiques ont une courbe dose-réponse caractérisée par une quantité minimale d'excrétion urinaire de diurétiques nécessaire pour induire une diurèse. Une courbe ascendante au cours de laquelle l'augmentation de l'excrétion urinaire de diurétiques s'associe avec une augmentation de l'excrétion en sodium puis un plateau au cours duquel toute élévation supplémentaire de l'excrétion diurétique n'induit pas des faits natriurétiques supplémentaires. Chez les sujets à fonction rénale normale, la diurèse est obtenue par une dose de 10 mg de furosémide (Lasilix®) avec un effet maximal à 40 mg par voie intraveineuse. Une dose supplémentaire ne provoque pas d'effet natriurétique additionnel mais peut augmenter le risque d'effet indésirable. La dose équivalente pour le bumétamide (Burinex®) est de 1 mg, soit par voie orale, soit par voie intraveineuse car cet agent est presque complètement absorbé. L'acide éthacrinique (Edecrine®) est moins largement utilisé car il est ototoxique à fortes doses. Il est habituellement réservé aux rares patients qui présentent une allergie confirmée aux dérivés sulfonamides tel que le furosémide, le bumétanide et les thiazides.
La dose diurétique effective est plus forte chez les patients avec une insuffisance cardiaque, une cirrhose hépatique avancée ou une insuffisance rénale. Dans ce contexte, la baisse de la perfusion rénale et donc de la quantité de médicaments délivrée aux reins, la diminution de la sécrétion du diurétique dans la lumière, liée à la rétention d'anions compétitifs sur la sécrétion tubulaire proximale au cours de l'insuffisance rénale et enfin l'augmentation des mécanismes de rétention du sodium (système rénine-angiotensine-aldostérone) se combinent pour diminuer l'effet diurétique.
L'objectif initial est de déterminer la dose unitaire effective. Chez la plupart des patients avec un oedème généralisé, le diurétique de l'anse, par exemple le furosémide est commencé par une dose orale de 20 à 40 mg. Selon le contexte, le médicament peut être administré par voie orale ou intra-veineuse. L'équivalent intraveineux du furosémide mais du bumétanide est la moitié de la dose orale en raison d'une disponibilité orale réduite.Chez certains patients hospitalisés, notamment en unité de soins intensifs, il est possible ou souhaitable d'administrer le diurétique de l'anse sous forme de perfusion intraveineuse continue. L'efficacité de ces perfusions continues est liée au maintien d'un débit optimal d'excrétion urinaire de diurétiques.
La réponse diurétique est généralement observée avec la première dose. L'absence de réponse diurétique significative est généralement liée à un débit insuffisant d'excrétion urinaire du diurétique. Si il y a eu un effet diurétique immédiatement après l'ingestion du diurétique, la dose est efficace mais l'action est courte. La réponse appropriée est de donner cette même dose 2 à 3 fois par jour. S'il n'y a pas du tout d'effet diurétique après la première administration, c'est qu'une concentration urinaire de diurétiques n'a pas été obtenue. La réponse appropriée est de doubler la dose unitaire jusqu'à ce qu'une diurèse soit obtenue avec une dose maximale de 320 à 400 mg de furosémide per os (ou 160 à 120 mg par voie intraveineuse). En général, les doses maximales effectives par voie intraveineuse au cours des différents désordres sont :
- dans la cirrhose hépatique avec une filtration glomérulaire normale 40 mg de furosémide ou 1 mg de bumétanide.
- dans l'insuffisance cardiaque avec une filtration glomérulaire relativement normale 40 à 80 mg de furosémide, soit 2 à 3 mg de bumétanide.
- au cours du syndrome néphrotique avec une filtration glomérulaire relativement normale 120 mg de furosémide ou 3 mg de bumétanide
- Ces doses sont généralement doublées chez les patients avec une insuffisance rénale. La dose peut également être doublée pour le furosémide administré par voie orale dans la mesure où la disponibilité n'est que de 50 %.
Les patients avec une insuffisance cardiaque sévère ou instable nécessitent habituellement un traitement initial par voie intraveineuse dans la mesure où la diminution de la perfusion intestinale et l'oedème muqueux intestinal diminuent considérablement l'absorption digestive des médicaments et donc la quantité de médicaments diurétiques délivrée aux reins. Cet effet est généralement réversible avec la soustraction d'une partie de l'oedème et la stabilisation de la fonction cardiaque permettant le recours ultérieur aux doses orales. Une diminution de l'absorption intestinale est observée également au cours de la cirrhose hépatique avancée.
L'augmentation des doses nécessaires en cas d'insuffisance rénale dépend de la sévérité de la diminution de la filtration glomérulaire. En cas d'insuffisance rénale modérée 80 mg de furosémide, 2 à 3 mg de bumétanide ; en cas d'insuffisance rénale sévère 200 mg de furosémide, 8 à 1à mg de bumétanide.
La clairance extrarénale du bumétanide est augmentée en cas d'insuffisance rénale. Dans ce contexte, le rapport de dose furosémide/bumétanide diminue de 40/1 à 20/1, ce qui correspond à une dose maximale de 8 à 10 mg de bumétanide. Ces doses doivent être ajustées jusqu'à 500 mg de furosémide intraveineux chez les patients avec une insuffisance rénale aiguë oligurique.
Lorsque un traitement diurétique est démarré, la réponse diurétique et natriurétique est maximale avec la première dose et diminue progressivement sur une à deux semaines pour aboutir à la constitution d'un nouvel état d'équilibre au cours duquel l'excrétion d'eau et de sel deviennent égales aux apports alimentaires. Ce phénomène d'adapation rénale tubulaire à la baisse de la volémie. Il en résulte deux notions importantes :
- Chez un malade stable sous traitement diurétique, la natriurèse représente précisément les apports alimentaires en sodium ce qui permet d'apprécier le caractère effectif ou non de la restriction sodée.
- Si un patient reste oedémateux alors que le stade d'équilibre a été obtenu, il est nécessaire d'augmenter la dose ou de recourir à une combinaison de diurétiques.