La présentation caractéristique de la néphropathie interstitielle aiguë est la survenue dune augmentation rapide de la concentration de créatinine plasmatique dans les jours ou les semaines suivant lagent causal. La fièvre est retrouvée dans la plupart des cas et parfois un rash cutané.
Le sédiment urinaire comporte habituellement une leucocyturie, des cylindres leucocytaires, parfois une hématurie.
Léosinophilie et léosinophilurie sont fréquentes mais inconstantes. Léosinophilurie peut être détectée soit par la coloration de Wright soit par celle de Hansel plus sensible et indépendante du pH urinaire. La sensibilité nest que de 40 %, la spécificité de 72 % et la valeur prédictive positive de 30 %. Les autres circonstances dans lesquelles une éosinophilurie peut être retrouvée sont les prostatites, les glomérulonéphrites rapidement progressives, le cancer de la vessie, ces affections ayant habituellement une présentation clinique différente.
La protéinurie est habituellement de faible abondance, inférieure à 1 g/jour chez la plupart des patients. Lexcrétion fractionnelle de sodium est habituellement supérieure à 1 %, suggestive de lésions tubulaires associées. Parfois, peuvent être observés des signes de dysfonction tubulaire comme un syndrome de Fanconi ou une acidose tubulaire, mais ces signes sont moins fréquents quau cours des néphropathies interstitielles chroniques.
Limagerie rénale peut apporter quelques éléments dorientation. Léchographie retrouve 2 reins de taille normale ou légèrement augmentée avec une augmentation de léchogénécité corticale comparable ou supérieure à celle du foie. La place de la scintigraphie au Gallium reste controversée. Typiquement, les patients ayant une néphropathie intersitielle aiguë ont une captation bilatérale diffuse intense parallèle à linfiltrat inflammatoire interstititel. Inversement, la scintigraphie au Gallium est presque toujours négative au cours de la nécrose tubulaire aiguë qui représente le principal diagnostic différentiel. Cependant, il existe des faux négatifs de la scintigraphie au Gallium au cours des néphropathies interstitielles aiguës, si bien quun examen négatif nexclut pas le diagnostic.
Le diagnostic de certitude repose essentiellement sur latteinte histologique observée sur la biopsie rénale qui doit être dindication large. Les éléments les plus caractéristiques sont loedème interstitiel et surtout un infiltrat interstitiel marqué, composé essentiellement de lymphocytes T et monocytes. Linfiltrat inflammatoire prédomine au niveau de la jonction cortico-médullaire et souvent entoure des tubules. La présence déosinophiles volontiers regroupés en petits foyers voire en micro-abcès éosinophiliques est assez suggestive dune cause médicamenteuse, bien que leur absence nexclut pas cette étiologie.
Lexistence dune tubulite avec linvasion lymphocytaire des tubules en-deça de la membrane basale tubulaire (coloration PAS) est également en faveur dune étiologie médicamenteuse.
Les lésions tubulaires épithéliales sont variables mais une nécrose tubulaire extensive est rare. La présence de granulomes interstitiels est habituellement suggestive de réactions immuno-allergiques à un médicament, mais doit faire évoquer une sarcoïdose, une tuberculose ou une lèpre dans le contexte approprié.
Rarement, des dépôts linéaires dIgG ou dIgM sur le long de la membrane basale tubulaire, peuvent être observés, pratiquement toujours au cours de NIA médicamenteuses, encore quun aspect similaire peut être observé au cours de la néphropathie lupique, quoique dans un contexte clinique très différent.
Les glomérules sont habituellement intacts.
3. Etiologie des néphropathies interstitielles aiguës
Les causes des NIA sont très nombreuses et peuvent être schématiquement regroupées en 4 grandes catégories :
Causes de Néphropathies interstitielles aiguës
- réactions immuno-allergiques aux médicaments, de loin les plus nombreuses,
- les infections bactériennes, virales ou parasitaires (Brucella, Legionnella, Hantavirus, Mycoplasma, Rickettsia, Leptospirose).
- néphropathies interstitielles aiguës dans le cadre dune maladie systémique dysimmunitaire (lupus, sarcoïdose, syndrome de Sjögren, cryoglobulinémie essentielle, cirrhose billiaire primitive, syndrome NIA-uvéite),
- néphropathies interstitielles aiguës associées à des glomérulonéphrites.
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Les NIA médicamenteuses sont de loin les plus fréquentes. Classiquement, ces formes se présentent cliniquement en association avec de la fièvre, un rash cutané, une éosinophilie et une éosinophilurie et la notion dune intolérance préalable aux médicaments.
En fait, ces signes ne sont observés que dans 30 % des cas environ et le tableau le plus fréquent est celui dune augmentation isolée et progressive de la créatinine plasmatique, souvent dans un contexte de polymédicamentation. Le délai de survenue après lexposition aux médicaments est très variable, de 3 à 5 jours seulement lors dune réexposition, jusquà plusieurs semaines après une première exposition. Cette période de latence peut être de 1 jour seulement dans certaines formes secondaires à la rifampicine et jusquà 18 mois après le début dun traitement anti-inflammatoire non stéroïdien. Le nombre de médicaments susceptibles de donner une néphropathie interstitielle aiguë est extrèmement important, mais quelques spécialités sont responsables de la plupart des cas. La NIA est extrèmement fréquente avec la méthicilline se développant chez environ 17 % des patients qui ont été traités pendant plus de 10 jours. La survenue de la NIA nest pas dose dépendante et la récidive ou lexacerbation peut survenir lors dune seconde exposition aux mêmes agents ou à un médicament chimiquement proche.
La méthicilline est de ce fait actuellement moins utilisée, et les principales causes de NIA sont représentées par les anti-inflammatoires non stéroïdiens, en particulier le fénoprofène, les pénicillines à céphalosporines, la rifampicine, les sulfonamides (incluant le furosémide, le bumétanide, les diurétiques thiazidiques et le triméthoprime-sulfaméthoxazole), la cimétidine et plus exceptionnellement dautres bloqueurs-H2, lallopurinol, la ciprofloxacine et probablement à un degré moindre les autres quinolones, les 5-aminosalicylates (mésalamine).
Certains de ces médicaments sont responsables dun tableau particulier associant une insuffisance rénale aiguë et rapidement progressive associée à un syndrome néphrotique intense. La biopsie rénale retrouve dans ce cas, dune part les lésions de néphropathie interstitielle aiguë telles que décrites précédemment, des glomérules normaux en microscopie optique, mais une fusion du pied des pédicelles en microscopie électronique daspect analogue aux lésions glomérulaires minimes et responsable du syndrome néphrotique.
Cette double présentation interstitielle aiguë et glomérulaire est souvent observée dans les formes secondaires aux anti-inflammatoires non stéroïdiens et dans quelques cas induite par lampicilline, la rifampicine, linterféron ou la ranitidine. Environ 15 % des formes de NIA secondaires aux anti-inflammatoires non stéroïdiens se présentent en association avec le syndrome néphrotique. Par contre, les signes extra-rénaux sont typiquement absents, de même que léosinophilie et léosinophilurie. Le mécanisme physiopathologique présumé est une augmentation de la perméabilité glomérulaire induite par les cytokines libérées par les cellules T infiltrantes. Chez certains patients, une maladie sous jacente (néphropathie diabétique, glomérulonéphrite endocarditique) peut être responsable dune partie de la protéinurie.
4. Evolution et traitement
Le traitement de la NIA est essentiellement symptomatique. Tout médicament potentiellement en cause, doit être interrompu et toute infection sous jacente traitée. Lévolution est alors spontanément favorable, mais la récupération de la fonction rénale peut prendre plusieurs semaines. Un problème fréquent est celui dun patient sous polythérapie. Dans ce cas il faut essayer de substituer tous les médicaments en cours et en tout cas les plus potentiellement responsables, sur la base de la chronologie ou de la fréquence dassociation. En cas de réaction immuno-allergique à un médicament, ceci doit être consigné dans le dossier médical et expliqué au patient pour éviter la réintroduction ultérieure de ce médicament.
Après larrêt des médicaments potentiellement en cause, aucun traitement nest nécessaire chez les patients qui ont une élévation modérée de la créatinine plasmatique et qui récupèrent dans les 3 à 5 jours. En cas dinsuffisance rénale plus sévère ou persistante, la biopsie rénale est un élément indispensable pour confirmer le diagnostic et établir les chances de récupération avant linstitution de tout traitement immunosuppresseur. Un traitement empirique par prednisone ou prednisolone orale 1 mg/kg peut être tenté quoiquil nexiste aucune étude contrôlée validant lefficacité de ce traitement. La durée totale de traitement est généralement de 2 à 3 mois, avec une diminution progressive en fonction de la baisse de la créatinine plasmatique. La plasmaphérèse peut être tentée dans les rares cas où la néphropathie interstitielle aiguë est induite par des anticorps circulants anti-TBM. Il ny a cependant pas de preuve de lefficacité de cette thérapeutique même dans cette situation très particulière. Dune façon générale, le traitement immunosuppresseur nest pas susceptible dêtre efficace et devrait vraisemblablement ne pas être utilisé chez les patients ayant une insuffisance rénale avancée sur la biopsie rénale avec une fibrose interstitielle marquée, une atrophie tubulaire et peu de signes dinflammation aiguë.
La plupart des patients ayant une NIA médicamenteuse, récupèrent à larrêt du médicament en cause. La plus grande partie de la récupération survient dans les 6 à 8 premières semaines. La récupération cependant peut être incomplète avec une élévation persistante de la créatinine plasmatique par rapport à la valeur basale. Lexistence dun infiltrat interstitiel diffus par opposition à une forme localisée, une réponse partielle est retardée à la prednisone et une insuffisance rénale aiguë persistant après 3 semaines, sont les principaux signes suggérant une probabilité de lésions irréversibles. De même, la présence dun infiltrat initial comportant 1 à 6 % de neutrophiles et surtout la sévérité de la fibrose interstitielle sont associées à un plus mauvais pronostic.