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1. Introduction
L'homocystéine est un acide aminé soufré qui est formé durant le métabolisme de la méthionine, une étape essentielle à la formation de donneurs de méthyls et à la réparation cellulaire (voir la page "Homocystéine et risque cardio-vasculaire"). Au cours de certaines maladies rares comme l'homocystinurie, une maladie autosomale récessive liée à un déficit génétique en cystathionine-beta-synthase, une élévation importante de l'homocystéine circulante est associée à une athérosclérose et des thromboses artérielles prématurées. Plus récemment il a été montré que dans la population générale, les sujets ayant une augmentation très modérée de l'homocystéine circulante présentaient également un excès de risque d'atteintes vasculaires athéro-sclérotiques ou thrombotiques. Les sujets ayant une insuffisance rénale chronique ont généralement une concentration plasmatique très augmentée d'homocystéine et ceci pourrait expliquer la prévalence particulièrement élevée des maladies cardio-vasculaires chez ces patients
2.Prévalence de l'hyperhomocystéinémie au cours de l'insuffisance rénale chronique
Des concentrations plasmatiques élevées d'homocystéine ont été retrouvées de façon constante dans toutes les séries chez des sujets en insuffisance rénale pré-dialyse à tous les stades, chez les patients hémodialysés, chez les patients en dialyse péritonéale mais également chez les patients transplantés rénaux. Chez les sujets non dialysés l'augmentation de l'homocystéinémie est globalement inversement proportionnelle à la réduction de la filtration glomérulaire (Chauveau, Chadefaux et al. 1992). La prévalence de l'hyperhomocystéinémie est d'environ 80 à 100 % chez des patients en insuffisance rénale terminale et les valeurs moyennes sont généralement deux à quatre fois supérieures au 95ème percentile des valeurs normales. Cette prévalence de l'hyperhomocystéinémie chez les patients urémiques est extraordinairement élevée si on la compare avec celle d'autres populations atteintes de complications vasculaires : 18-30 % des sujets coronariens, 42 % chez des sujets masculins ayant un angor, 40-42 % des sujets ayant fait un accident vasculaire cérébral et 19-28 % des sujets ayant une artériopathie des membres inférieurs (voir le tableau "Concentrations d'homocystéine selon l'étiologie").
Tableau : Concentrations d'homocystéine (C) et prévalence de l'hyperhomocystéinémie (Fc) au cours de quelques anomalies du métabolisme de l'homocystéine
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N
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MCV
|
IRT
|
TX
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HCYU
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C µmol/l |
5-16 |
8-20 |
18-50 |
20-30 |
>500 |
Fc (%) |
5 |
15-40 |
>90 |
60-65 |
100 |
N : population générale; MCV : patients ayant une maladie cardio-vasculaire ; IRT : insuffisance rénale terminale; TX : transplantation rénale; HCYU : homocystinurie par déficit en CBS.
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L'homocystéine n'est pas le seul amino-acide soufré dont la concentration plasmatique augmente au cours de l'insuffisance rénale. D'autres amino-acides soufrés comme la cystéine, la cystine, la cystéinyl-glycine sont également régulièrement augmentés chez les patients en insuffisance rénale suggérant des anomalies complexes et diffuses du métabolisme des acides aminés soufrés au cours de l'insuffisance rénale.
La concentration d'homocystéine est élevée chez les malades traités par hémodialyse ou par dialyse péritonéale. Selon les études, celle-ci est supérieure, égale ou inférieure à celle observée chez les patients traités par hémodialyse (Bostom and Lathrop 1997). Plusieurs éléments peuvent expliquer ces différences et/ou divergences de résultats dont notamment l'état nutritionnel et vitaminique, les capacités d'épuration de la membrane péritonéale et probablement et surtout, la fonction rénale résiduelle.
Aussi bien en hémodialyse qu'en dialyse péritonéale, les concentrations d'homocystéine ne sont pas corrélées avec les indices d'épuration (taux de réduction de l'urée, clairance de la créatinine dialytique et résiduelle) (Bostom, Shemin et al. 1996). Cependant la technique de dialyse pourrait influencer les concentrations d'homocystéine. Les techniques d'hémodialyse à haut flux semblent capables d'éliminer des quantités plus importantes d'homocystéine. La concentration d'homocystéine diminue d'environ 10 % avec les techniques d'hémodialyse à bas flux et jusqu'à 30% avec les techniques à haut flux (Chauveau, Chadefaux et al. 1992). La baisse transitoire de l'homocystéine après hémodialyse correspond à l'élimination de la forme non liée dialysable et il s'ensuit un retour rapide en 24 heures aux valeurs pré-hémodialyse. Aucune étude de transfert de masse n'est cependant disponible à ce jour.
En transplantation rénale, les concentrations d'homocystéine et de cystine sont augmentées mais pas celles celles de différents amino-acides soufrés telles que la taurine et la méthionine. Dans une étude prospective, van Guldener et al. notent une diminution significative de -33% de la concentration plasmatique d'homocystéine sans toutefois un retour aux valeurs normales (van Guldener, Janssen et al. 1995). Deux études transversales (Massy, Chadefaux-Vekemans et al. 1994; Arnadottir, Hultberg et al. 1996) retrouvent une concentration élevée d'homocystéine chez les patients transplantés rénaux. L'influence de la cyclosporine sur l'hyperhomocystéinémie reste encore controversée. Une étude rapporte que les transplantés traités par cyclosporine ont des taux d'homocystéine plus élevés que des transplantés rénaux ne recevant pas de cyclosporine et à fonction rénale identique (Arnadottir, Hultberg et al. 1996). Dans une autre étude (Fogarty, Woodside et al. 1996), il n'y a pas de différence chez les patients traités ou non par cyclosporine à même niveau de fonction rénale. Ces données suggèrent que dans la population des transplantés rénaux, le degré d'atteinte de la fonction rénale et peut-être l'effet de la cyclosporine sur la reméthylation folate-dépendante pourraient contribuer aux concentrations élevées d'homocystéine.
3.Mécanismes de l'hyperhomocystéinémie de l'IRC
Les mécanismes de l'accumulation d'homocystéine au cours de l'insuffisance rénale ne sont pas parfaitement élucidés. Plusieurs hypothèses font intervenir soit un déficit vitaminique B soit des anomalies du métabolisme ou de l'élimination rénale de l'homocystéine.
Un déficit en co-facteurs (vitamines B) a été suggéré comme la cause possible de l'accumulation d'homocystéine au cours de l'insuffisance rénale. La présence d'une carence en folates ou en autres vitamine B est en fait très peu fréquente chez les malades insuffisants rénaux car des supplémentations sont souvent données à titre systématique pour corriger la perte des vitamines hydrosolubles dans le dialysat. Dans l'étude de la Cleveland Clinic (n = 176), il existe une relation inverse entre la concentration d'homocystéine et la concentration plasmatique de folate (r=-0,49), de vitamine B6 (r= -0,39) et de vitamine B12 (r= -0,39). En fait, la pente de cette corrélation faible (r2 = 0,25 pour les folates) est à peu près similaire à celle retrouvée dans la population normale, mais survient pour des concentrations de vitamines B sont considérablement plus élevées chez les sujets dialysés qui recevaient tous dans cette étude une supplémentation (Robinson, Gupta et al. 1996). Chez 75 patients hémodialysés également tous supplémentés en vitamine B, Bostom et al. retrouvent une corrélation inverse entre les concentrations plasmatiques d'homocystéine et de folate (r2 = 0,28) et positive avec la créatinine plasmatique et l'albuminémie. Dans leur analyse multivariée, la concentration de vitamines B12 et B6 n'influent pas la concentration d'homocystéine (Bostom, Shemin et al. 1996). Dans une extension de cette étude à une plus large cohorte, la concentration d'homocystéine est en moyenne 33 % supérieure chez les sujets homozygotes pour la MTHF-reductase thermolabile avec une interaction entre cette mutation et la concentration de folate : les sujets ayant à la fois la mutation (val-val) et les concentrations de folates les plus basses (< 20 ng/ml) ont les concentrations les plus élevées d'homocystéine (Bostom and Lathrop 1997). Dans la mesure où l'activité enzymatique de la MTHF-reductase est réduite de 50% chez les homozygotes (val-val) et de 25% chez les hétérozygotes (ala-val), il est surprenant de retrouver cette interaction gène-concentration de folates alors que les concentration de folates sont très nettement supra-normales (x 4). Ceci suggère donc une "résistance" de la reméthylation folate-dépendante chez les sujets urémiques.
La concentration moyenne en vitamine B6 n'est habituellement pas diminuée chez les patients dialysés mais l'étude de la Cleveland Clinics retrouve jusqu'à 18% des patients carencés en cette vitamine (Robinson, Gupta et al. 1996). La carence en vitamine B6 peut-être attribuée soit à une insuffisance d'apport associée à une malnutrition, soit à une augmentation de la clairance dialytique de cette vitamine notamment sous hémodialyse à haute performance. La sérine est un acide aminé nécessaire à la fois à la transulfuration et à la réméthylation de l'homocystéine. Les concentrations de sérine sont souvent diminuées au cours de l'insuffisance rénale. Cependant, la correction de ce déficit n'améliore pas les valeurs d'homocystéine plasmatique. Dans une cohorte de 76 malades hémodialysés vierges de toute supplémentation vitaminique et sans signes cliniques ou biologiques de dénutrition nous n'avons retrouvé aucun déficit en vitamine B12, folates plasmatiques et intra-érythrocytaires. Tous les malades avaient une augmentation significative de la concentration d'homocystéine mais celle-ci n'était pas correlée avec le status vitaminique (Kunz, Petitjean et al. 1996).
En fait l'accumulation d'homocystéine au cours de l'insuffisance rénale correspond à une altération du métabolisme rénal de l'homocystéine.
Chez l'insuffisant rénal, la concentration d'homocystéine totale corrèle positivement et approximativement avec la créatinine plasmatique et plus précisement et inversement avec la filtration glomérulaire mesurée par technique isotopique (Arnadottir, Hultberg et al. 1996). Cependant, l'hyperhomocystéinémie de l'insuffisance rénale n'est pas liée à un défaut d'élimination rénale car celle-ci n'intervient normalement que pour 1 % de la clairance métabolique totale de l'homocystéine et la clairance fractionnelle de l'homocystéine augmente lorsque la filtration glomérulaire diminue.
Dans un modèle expérimental de rein de rat in vivo, la captation rénale nette et le métabolisme de l'homocystéine ont été déterminés en mesurant simultanément la différence de concentration artério-veineuse d'homocystéine, le débit plasmatique rénal, et le débit urinaire d'homocystéine. La concentration artérielle rénale d'homocystéine est systématiquement plus élevée que la concentration veineuse avec une différence artério-veineuse d'environ 20 %. Ceci permet d'estimer la captation et le métabolisme rénal normal de l'homocystéine à 8,1 ± 5,3 nmol/min. contre seulement 0,2 ± 0,1 nmol/min. pour l'élimination urinaire (Bostom, Brosnan et al. 1995). Extrapolées à l'homme, ces données correspondent à une captation et un métabolime par le rein normal de 1 mmol/j. La production quotidienne d'homocystéine chez l'homme est estimée à 15-20 mmol/j mais la plus grande partie est métabolisée sur place dans les cellules et moins de 1,5 mmol/j est exporté dans le plasma. La captation et le métabolisme rénal de l'homocystéine représentent donc environ 70 % de l'élimination plasmatique. Guttormsen et al. arrivent à une conclusion similaire en comparant la cinétique d'élimination plasmatique après une charge orale en L-homocystéine chez des sujets à fonction rénale normale et chez des sujets insuffisants rénaux traités par hémodialyse (Guttormsen, Ueland et al. 1997). La demi-vie d'élimination est considérablement augmentée chez les insuffisants rénaux par rapport aux sujets à fonction rénale normale (11,0 vs 3,5 heures). Ces données correspondent à une réduction de 70 % de la clairance plasmatique de l'homocystéine en cas d'insuffisance rénale terminale. Ces auteurs calculent également que chez le sujet urémique le débit urinaire d'homocystéine est significativement plus élevé que chez le sujet à fonction rénale normale. En effet 85 % de l'homocystéine filtrée est réabsorbée dans le tubule rénal chez l'urémique contre 99 % dans les conditions normales (Guttormsen, Ueland et al. 1997).
Bien que différents types de transports tubulaires de l'homocystéine soient identifiés de même que la présence dans les cellules rénales des enzymes-clés intervenant dans la reméthylation et la transsulfuration, le métabolisme intrarénal de l'homocystéine n'est pas bien connu.
Alors que les anomalies du métabolisme rénal de l'homocystéine sont indiscutablement la cause de l'accumulation au cours de l'insuffisance rénale, quelques arguments suggérent cependant des anomalies de la transulfuration chez les patients insuffisants rénaux. Ainsi, la charge en méthionine augmente l'homocystéine de façon anormale notamment chez le transplanté rénal (Bostom, Gohh et al. 1997) suggérant une anomalie de la transulfuration extra-rénale. Celle-ci pourrait être liée à des anomalies de la fonction hépatique, le foie étant en effet capable à la fois de reméthylation et de transulfuration mais n'augmente pas son activité pour métaboliser l'excès d'homocystéine présent au cours de l'insuffisance rénale. De telles anomalies pourraient être liées à la réduction de la captation hépatique de l'homocystéine ou à une disponibilité réduite des co-facteurs nécessaires ou des substrats, ou même encore la présence d'inhibiteur circulant des enzymes intra-cellulaires. Très vraisemblablement ces anomalies sont liées à l'accumulation intracellulaire de SAM qui agit comme régulateur-coordonateur des voies de la synthèse intracellulaire de méthionine et d'homocystéine (Selhub and Miller 1992).
5.Hyperhomocystéinémie et complications cardiovasculaire chez l'urémique :
Les complications cardio-vasculaires notamment coronariennes représentent une cause très importante de morbidité-mortalité chez les patients urémiques. Les causes de ces complications cardio-vasculaires sont multi-factorielles et ne sont pas expliquées complètement par les facteurs de risque traditionnels tels que l'hypertension, le tabac, le diabète ou les anomalies lipidiques. Les augmentations modérées de la concentration d'homocystéine observées au cours de l'insuffisance rénale pourraient contribuer à l'excès de maladies vasculaires observées chez ces patients.
Chez 79 patients ayant une insuffisance rénale chronique mais non dialysés, Chauveau & al. retrouvent une concentration d'homocystéine significativement plus élevée chez les 20 patients ayant des antécédents de maladie artérielle occlusive par comparaison aux 59 patients qui n'avaient pas de tels antécédents (Chauveau, Chadefaux et al. 1993).
Chez les malades hémodialysés, une série allemande de 50 patients, dont 24 avaient une maladie vasculaire occlusive, retrouve après régression logistique, une association significative avec les concentrations d'homocystéine. Cette association est également retrouvée pour l'hypertension mais pas pour les anomalies lipidiques, le diabète, le tabagisme ou la concentration de fibrinogène (Bachmann, Tepel et al. 1995).
Chez 173 malades dialysés, l'étude de la Cleveland Clinic retrouve une hyperhomocystéinémie plus importante chez les patients ayant developpé au moins une complication thrombotique ou athéro-sclérotique indépendamment des autres facteurs de risque "traditionnels" et de la durée en dialyse. L'odds ratio pour l'association entre les événements vasculaires et l'homocystéine était de 2,9 (IC 95% : 1,4-5,8 pour les deux quintiles supérieurs de concentration d'homocystéine comparés aux trois quintiles inférieurs). Cette association persiste après ajustement pour l'âge, le sexe, l'âge, l'hypertension artérielle, le diabète, l'hypercholestérolémie, le tabac et la durée de dialyse (Robinson, Gupta et al. 1996).
Dans un groupe de 76 malades hémodialysés, une augmentation significative de l'homocystéine a été observée chez les patients ayant développé des complications cardio-vasculaires avec un odds ratio de 12.6 (IC 1,15-144) entre le quintile supérieur et le quintile inférieur de concentration d'homocystéine (Kunz, Petitjean et al. 1996). Après regression logistique, les deux seuls facteurs indépendants après ajustement pour l'âge, le sexe, le diabète, le cholestérol, le tabagisme, la durée en dialyse sont l'élévation de la concentration d'homocystéine ainsi que celle du fibrinogène.
La valeur prédictive de l'homocystéinémie sur les complications cardio-vasculaire en dialyse n'est cependant pas retrouvée dans toutes les séries. Dans une cohorte de 75 malades hémodialysés, Bostom et al. ne retrouvent pas de liaison entre tHcy à jeûn et les complications coronariennes prévalentes (Bostom, Shemin et al. 1996). Ces mêmes auteurs ne retrouvent pas non plus d'association entre tHcy et les antécédents d'infarctus du myocarde dans une étude transversale portant sur 445 patients traités par dialyse péritonéale (CANUSA) (Canada-USA Peritoneal Dialysis Study Group 1996).
En transplantation rénale, deux études relient la concentration d'homocystéine et la survenue de complications cardiovasculaires. Massy & al. retrouvent une homocystéinémie, mesurée avant l'accident vasculaire, significativement plus élevée chez les malades compliqués, relation qui persiste après ajustement pour les autre facteurs de risque vasculaire (Massy, Chadefaux-Vekemans et al. 1994). L'étude de Arnadottir et al. retrouve rétrospectivement chez 120 patients une tHcy non ajustée plus élevée chez ceux ayant developpé une complication cardiovasculaire antérieurement (avant ou pendant la transplantation) (Arnadottir, Hultberg et al. 1996).
La plupart de ces études épidémiologiques observationnelles ont comme inconvénients leur caractère retrospectif et le risque possible de biais liés à "l'effet survivants" comme cela est le cas dans les populations caractérisées par une mortalité élevée. D'autre part en raison de la durée de survie moyenne généralement courte chez les patients en dialyse, les lésions cardio-vasculaires se constituent le plus souvent antérieurement, au stade d'insuffisance rénale chronique pré-dialyse. Jungers & al. rapportent ainsi, dans une population de 147 sujets insuffisants rénaux non dialysés et suivis prospectivement pendant 6 ans en moyenne, l'augmentation progressive des concentrations plasmatiques d'homocystéine avec la dégradation de la fonction rénale (Jungers, Massy et al. 1997). De plus, les concentrations d'homocystéine sont significativement plus élevées chez les patients qui vont développer une complication cardio-vasculaire. Après régression logistique, les facteurs indépendants prédictifs de la survenue d'une complication cardio-vasculaire sont le tabac, la pression artérielle systolique, le HDL-cholestérol (valeur prédictive négative), le fibrinogène et l'hyperhomocystéinémie. Dans cette population de sujets pré-dialytiques, l'odds ratio de développer une complication cardiovasculaire est de 1,17 (IC 95% : 1,13-1,20) pour chaque augmentation de 1 µmol/l de l 'homocystéinémie ce qui représente une association très forte. Ces résultats illustrent l'importance et la nécessité d'études prospectives s'intéressant aux stades initiaux de l'hyperhomocystéinémie et prennant en compte la durée totale d'exposition au risque
Globalement ces prémières études épidémiologiques chez l'urémique, comme celles réalisées dans les populations non-rénales de sujets ayant developpés des complications cardio-vasculaires (voir la page "Homocystéine et complications cardio-vasculaires"), permettent de conclure qu'une augmentation même modérée de l'homocystéine représente un facteur de risque vasculaire indépendant. Cette association hyperhomocystéminémie-risque vasculaire est d'autant plus vraisemblable qu'elle est plausible (compte tenu des interactions connues de l'homocystéine avec la fonction endothéliale et la thrombose), concordante (retrouvée dans la quasi-totalité des études) et dose-dépendante (le risque augmente avec les concentrations les plus élevées d'homocystéine). Les données disponibles actuellement ne permettent pas d'établir définitivement le rôle causal de l'hyperhomocystéinémie dans la génèse des lésions vasculaires, même si celui-ci est vraisemblable. Comme cela a été le cas récemment pour l'hypercholestérolémie, cette preuve ne peut-être obtenue que par la démonstration d'une diminution de l'incidence des complications cardio-vasculaires dans des études prospectives d'intervention.
6.Mécanismes de l'angiotoxicité de l'homocystéine :
L'homocystéine exerce des propriétés athérogènes et prothrombotiques qui pourraient expliquer l'augmentation du risque vasculaire chez les patients hyperhomocystéinémiques.
Sur le plan histologique, les anomalies vasculaires observées au cours des hyperhomocystéinémies génétiques (déficit en CBS) associent un épaississement intimal, une rupture de la limitante élastique, une hypertrophie musculaire lisse, et des thrombi plaquettaires occlusifs (McCully 1969; Rolland, Friggi et al. 1995). Une particularité des ces lésions est la présence fréquente de calcifications diffuses situées dans la media et la limitante élastique interne, sans cellules spumeuses ou macrophagiques associées. Ces lésions vasculaires calcifiées rappellent celles observées chez l'urémique dialysé (Ibels, Stewart et al. 1977).
Les mécanismes, encore spéculatifs, par lesquels les concentrations élevées d'homocystéine pourraient favoriser l'athérosclérose et/ou la thrombose sont les suivants :
- effet cytotoxique direct sur les cellules endothéliales, en partie lié à la formation de radicaux libres lors de l'oxydation de l'homocystéine réduite (Berman and Martin 1993; Mansoor, Bergmark et al. 1995).
- stimulation de la prolifération des cellules musculaires vasculaires lisses comme en témoignent l'augmentation de la synthèse d'ADN et l'augmentation de l'expression de l'ARNm de la cycline A, de la transcription de la cycline A et de l'activité de la kinase associée à la cycline A dans ce modèle cellulaire (Tsai, Wang et al. 1996). La cycline-kinase associée la cycline A est à la fois un initiateur et un marqueur de mitose.
- stimulation du stress oxidatif ; le métabolite thiolactone de l'homocystéine se combine au LDL-cholestérol et les aggrégats sont captés par les macrophages de l'intima artérielle (Loscalzo 1996; McCully 1996).
- effets prothrombotiques divers, comprenant l'atténuation des sites de liaison endothéliaux au tPA, l'activation du facteur V, l'inhibition de la protéine C, et une diminution de l'activité antithrombotique endothéliale liée à des modifications de la fonction thrombomoduline (Lentz and Sadler 1991; Hayashi, Honda et al. 1992).
- l'homocystéine modifie directement l'expression de nombreux gènes dans un modèle de cellules endothéliales humaines de cordon ombilical ; au moins six gènes sont surexprimés dont l'un codant pour la protéine de stress GRP 78/BIP et un autre codant pour un enzyme bi-fonctionnel ayant des propriétés de type MTHF-réductase (Kokame, Kato et al. 1996). La signification de ces constatations est encore imprécise mais suggère que l'homocystéine est impliquée dans un système complexe et dynamique de lésions et de réparations vasculaires.
Cependant, d'autres amino-acides soufrés qui s'accumulent en même temps que l'homocystéine sont également susceptibles d'exercer des effets prothrombotiques. Ainsi par exemple la méthionine et la cystine comme l'homocystéine sont capables d'altérer la fonction plaquettaire. La cystéine et la méthionine peuvent aussi altérer l'activation du facteur V et celle de la protéine C. Des lésions endothéliales analogues à celles constatées avec l'homocystéine sont également observées avec le mercaptoéthanol suggérant que les composés soufrés en général pourraient endommager l'endothélium.
D'autre part, la plupart de ces études ont été réalisées dans des modèles in vitro de cultures de cellules endothéliales et en présence de concentrations extra-physiologiques de formes non physiologiques d'homocystéine (D-L- homocystéine réduite à 1 000 à 1 000 000 µmol/l) (McCully 1996) alors que les concentrations d'homocystéine réduite observées en clinique ne dépassent pas 1% de tHcy, même au cours des déficits homozygotes en CBS.
Certains modèles expérimentaux, developpés récemment, semblent plus pertinents pour la compréhension physiopathologique des augmentations modérées de l'homocystéinémie observées en clinique. Ainsi, dans un modèle d'hyperhomocystéinémie induite par un régime enrichi en méthionine chez des rats soit normotendus, soit spontanément hypertendus, l'hyperhomocystéinémie exerce des effets angiotoxiques limités à l'aorte et caractérisés par une perte et une dégénération endothéliale avec une dissolution partielle de la média (Matthias, Becker et al. 1996). L'homocystéine et la cystathionine s'accumulent dans les tissus aortiques. Les effets de ce régime enrichi en méthionine sont plus prononcés chez les rats SHR et semblent de plus potentialisés par les stérols athérogéniques.
Dans un modèle d'hyperhomocystéinémie modérée induite par un régime enrichi en méthionine chez le singe, la réponse aux agents vasomoteurs est altérée (Lentz, Sobey et al. 1996). L'injection intra-artérielle de collagène réduit le débit sanguin fémoral d'environ 42 % chez les animaux alimentés par un régime enrichi en méthionine contre seulement 14 % chez les animaux témoins. La réponse à des vasodilatateurs endothélium-dépendants telle que l'acétylcholine ou l'ADP est diminuée chez les animaux hyperhomocystéinémiques et ceci sans anomalie structurale détectable.
De telles anomalies de relaxation endothélium-dépendante ont été également observées chez des sujets hyperhomocystéinémiques (Tawakol, Omland et al. 1997). La vasodilatation endothélium-dépendante est significativement diminuée chez les sujets hyperhomocystéinémiques par rapport aux sujets témoins, alors que la réponse endothélium-indépendante n'est pas différente dans les deux groupes. Ces études semblent impliquer le système NO dans les anomalies fonctionnelles vasculaires induites par l'hyperhomocystéinémie (Stamler, Osborne et al. 1993). Chez des sujets urémiques hémodialysés, des signes de dysfonction endothéliale généralisée (augmentation de la concentration plasmatique du facteur von Willebrand et du PAI-1) sont associés à l'hyperhomocystéinémie (Kunz, Petitjean et al. 1996). Cependant la baisse de l'homocystéinémie, obtenue chez ces patients par une supplémentation en folate, ne s' accompagne d'une diminution significative de la concentration de ces marqueurs indirects de fonction endothéliale.
7.Traitement de l'hypehomocystéinémie de l'IRC
Chez l'insuffisant rénal dialysé (Wilcken, Dudman et al. 1988; Arnadottir, Brattstrom et al. 1993) ou non (Chauveau, Chadefaux et al. 1996), plusieurs études non controlées, retrouvent que l'administration d'acide folique diminue les concentrations plasmatiques d'homocystéine chez les patients urémiques. Cette réponse est observée même en présence de concentrations élevées circulantes de folates et avant toute administration de vitamine B supplémentaire. Wilken & al. ont été les premiers à montrer la diminution d'environ 40% de la concentration d'homocystéine après l'administration d'acide folique avec ou sans l'adjonction de vitamine B6 ou B12 (Wilcken, Dudman et al. 1988). La concentration des autres amino-acides soufrés comme la méthionine, la cystéine ou la taurine n'est pas modifiée après l'administration de folates. La concentration de la glycine ainsi que celle de la sérine diminue suggérant que les folates favorisent la reméthylation de l'homocystéine en méthionine.
Dans une étude controlée folate (10 mg/j) versus placebo chez des patients hémodialysés chroniques vierges de tout traitement vitaminique, Kunz & al. ont montré que l'acide folique réduit la concentration d'homocystéine d'environ 30-40 % après 2 mois chez la plupart des patients, la réduction étant proportionnelle à la concentration d'homocystéine avant traitement (Kunz, Petitjean et al. 1996). L'effet du traitement est déjà maximal à 4 semaines. Malgré la baisse relativement constante de l'homocystéine sous traitement par folates, les valeurs ne se normalisent totalement que chez très peu de patients. Cette constatation n'est pas totalement surprenante car la clairance plasmatique de l'homocystéine n'est pas modifiée directement par l'administration de folate chez le sujet urémique mais il y aurait par contre une diminution de la production cellulaire chez les sujets ayant des concentrations de folates normales-basses préalablement (Guttormsen, Ueland et al. 1997).
Des résultats analogues ont été retrouvés dans d'autres groupes de patients traités par hémodialyse ou par dialyse péritonéale. L'augmentation des doses jusqu'à 15 mg/jour de folates augmente la réponse mais s'avère insuffisante pour obtenir une normalisation complète de la concentration plasmatique d'homocystéine. Par contre, un effet significatif est déjà observé pour des doses de folates de 2,5 mg/jour.
La vitamine B12 seule semble relativement inefficace à abaisser les taux d'homocystéine chez les patients urémiques, probablement parce qu'un déficit vrai en vitamine B12 est rare et que cette vitamine constitue davantage un co-facteur de la méthionine synthase qu'un co-substrat.
Un effet positif de la vitamine B6 pour diminuer la concentration d'homocystéine n'a pu être retrouvé dans plusieurs études mais il est possible que les effectifs faibles et des biais de sélection aient masqué un effet favorable. Dans l'étude de la Cleveland Clinic, 18 % des patients avaient une concentration de PLP diminuée (Robinson, Gupta et al. 1996). Dans la seule étude controlée chez le sujet transplanté rénal, la vitamine B6 ne modifie pas l'hyperhomocystéinémie à jeûn mais diminue par contre significativement l'hyperhomocystéinémie post-méthionine (Bostom, Gohh et al. 1997). La supplémentation en sérine et en bétaine est inefficace pour diminuer la concentration d'homocystéine (Bostom, Shemin et al. 1995) de même que celle de N-acétyl-cystéine (Bostom, Shemin et al. 1996). La restriction en méthionine alimentaire est envisageable mais son applicabilité apparaît hasardeuse chez ces patients déjà soumis à différentes restrictions alimentaires thérapeutiques ou spontanées.
En conclusion, l'homocystéine est une véritable toxine urémique chez les malades ayant une insuffisance rénale. De plus, l'hyperhomocystéinémie constitue un puissant facteur prédictif du risque cardiovasculaire dans la population générale et chez le sujet urémique. L'hyperhomocystéinémie devrait être prise en compte dans l'évaluation du risque cardio-vasculaire global des malades ayant une insuffisance rénale.
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