|
Définition
L'amylose n'est pas une maladie unique mais un terme regroupant un ensemble de maladies partageant en commun une caractéristique histologique : le dépôt extra-cellulaire de protéine fibrillaire pathologique insoluble dans les organes et tissus.
La nature fibrillaire de la substance amyloïde et sa configuration dite en feuillet béta-plissé est responsable des propriétes tinctoriales caractéristiques : fixation et coloration du rouge congo donnant une coloration vert pomme en lumière polarisée.
Les fibrilles amyloïdes sont également capables de lier avec une très forte affinité au composant P (une protéine circulante normale de rôle physiologique inconnu mais qui appartient à la famille des pentraxines qui inclut notamment la C réactive protéine).
La classification actuelle des amyloses est basée sur la nature de la protéine plasmatique précurseur des fibrilles déposées. Ces protéines plasmatiques sont très diverses et non liées biochimiquement mais elles produisent toutes des dépôts amyloïdes avec une structure commune béta-fibrillaire. Au moins, une quinzaine de protéines de petit poids moléculaire distinctes sont maintenant reconnues comme précurseurs des fibrilles amyloïdes. Les plus fréquentes sont les chaînes légères d'immunoglobulines monoclonales, la transthyrétine mutée et la protéine amyloïde A. En raison d'une présentation clinique spécifique, de problèmes diagnostics et thérapeutiques différents, seront abordées les trois formes suivantes d'amylose : l'amylose AL, l'amylose AA puis les amyloses génétiques.
Amylose AL (amylose "primitive")
L'amylose AA a une incidence estimée entre 6 et 13 nouveaux cas par million et par an. Dans l'amylose AL, une prolifération clonale de plasmocytes médullaires produit des immunoglobulines qui sont amyloïdogéniques. Chez les sujets atteints, 5 à 10 % des plasmocytes médullaires (normale < 4 %) ont une dominance clonale pour un isotype de chaînes légères. Cette production de chaînes légères monoclonales est responsable d'une protéinurie de l'ordre de 1 g/24h ou moins. Le principal constituant des dépôts AL est la région variable des chaînes légères. C'est le sous-groupe lambda 6 et plus rarement kappa 1 qui sont responsables de pratiquement tous les cas de protéine amylogène AL (les chaînes légères lambda 6 représentent moins de 5 % des immunoglobulines normales). Les dépôts de la région variable des chaînes légères expliquent pourquoi à l'immunofluorescence avec des anticorps anti-lambda ou anti-kappa sont généralement seulement faiblement positifs.
La présentation clinique est très variable et reflète les organes atteints de façon prédominante. Les organes les plus souvent atteints sont les reins et le coeur soit individuellement, soit ensemble. L'atteinte rénale se manifeste différemment selon le site prédominant des dépôts amyloïdes. La plupart des patients ont des dépôts prédominant dans le glomérule et se présentent avec une protéinurie habituellement de rang néphrotique et souvent accompagnée par des oedèmes importants. Le sédiment urinaire est habituellement normal et l'augmentation de créatinine plasmatique très progressive. L'examen histologique rénal retrouve des dépôts glomérulaires diffus, extracellulaires de matériel hyalin et amorphe initialement dans le mésangium puis diffusant dans les anse capillaires.
La présentation rénale est différente lorsque les dépôts d'amylose se limitent aux vaisseaux aboutissant à l'oblitération des lumières vasculaires. Dans ce contexte, il y a peu ou pas de protéinurie mais une insuffisance rénale liée à la diminution de la perfusion glomérulaire. Les dépôts histologiques sont alors observés dans les petites artères, artérioles.
Une présentation encore moins habituelle est liée à des dépôts tubulaires importants responsables préférentiellement d'une dysfonction tubulaire (acidose tubulaire distale ou polyurie par diabète insipide néphrogénique).
L'atteinte cardiaque se traduit habituellement par une insuffisance cardiaque congestive souvent progressive. Les signes droits peuvent être prédominants. L'échographie cardiaque retrouve une hypertrophie concentrique du ventricule gauche et souvent du ventricule droit avec une fraction d'éjection normale ou modérément abaissée.
L'échocardiographie doppler montre des pressions de remplissage gauche élevées (aspect de remplissage restrictif) avec une onde A mitrale de petite amplitude liée à la combinaison d'une infiltration auriculaire et de la restriction du remplissage diastolique. Des thrombus auriculaires peuvent être présents même en rythme sinusal et la survenue d'une fibrillation auriculaire est associée à un très haut risque embolique. A noter l'aggravation marquée de l'insuffisance cardiaque avec les antagonistes calciques parfois utilisés pour essayer de traiter la dysfonction diastolique.
Une neuropathie autonomique et sensorielle est relativement fréquente avec par exemple un syndrome du canal carpien. La dysautonomie peut être responsable d'hypotension orthostatique symptomatique, d'impuissance et d'anomalies du transit gastro-intestinal.
L'infiltration gastro-intestinale est fréquente parfois associée à une malabsorption, l'hépatomégalie est fréquente. La macroglossie classique est observée chez 20 % des patients.
Une infiltration vasculaire est responsable de la fragilité cutanée aux traumatismes minimes (purpura péri-orbital spontané).
Une diathèse hémorragique est rare et doit faire rechercher un inhibiteur de la thrombine ou un déficit en facteur X (liaison des facteurs de coagulation calcium dépendant aux fibres amyloïdes).
L'atteinte pulmonaire clinique est rare, les épanchements pleuraux sont par contre fréquents et souvent disproportionnés avec le degré d'insuffisance cardiaque.
L'infiltration des glandes surrénales résulte en hypocortisolisme en partie responsable de l'hypotension et de l'hyponatrémie. L'infiltration de la thyroïde est responsable d'hypothyroïdie dans 10 à 20 % des cas.
Le diagnostic d'amylose suspecté sur des éléments cliniques doit être établi sur une biopsie tissulaire d'un organe atteint. La biopsie rénale ou hépatique est positive dans plus de 90 % des cas. Un rendement satisfaisant peut être obtenu également par des biopsies moins invasives comme l'aspiration de graisse sous-cutanée abdominale 60 à 85 %, une biopsie rectale sous-muqueuse 50 à 80 %, une biopsie de moelle osseuse 30 à 50 %, de gencives (60 %) ou de peau (50 %). La distinction entre les formes d'amylose se fait par démonstration en immunofluorescence ou immuno-peroxydase de dépôts monoclonaux de chaînes légères, qui sont disotype lambda dans 75 % des cas.
Dans 85 à 90 % des cas, une immunoglobuline monoclonale peut être détectée par immunofixation du sérum ou de l'urine.
Chez les 10-15 % de patients avec une amylose AL confirmée et qui n'ont pas de chaînes légères monoclonales, il est nécessaire d'obtenir la confirmation d'une prolifération clonale de plasmocytes médullaires par immuno-histo-chimie d'un échantillon biopsique de moelle osseuse.
Pronostic et traitement :
Le pronostic de l'amylose AL est médiocre avec une survie médiane de 1 à 2 ans. L'insuffisance cardiaque, rénale, hépatique et les infections représentent les principales causes de mortalité.
Le traitement est d'une part symptomatique, dialyse en cas d'insuffisance rénale, et diurétiques en cas d'insuffisance cardiaque congestive (de très fortes doses sont souvent nécessaires). Les calcium-bloqueurs et les béta-bloqueurs sont contre-indiqués en cas d'amylose cardiaque de même que les digitaliques qui peuvent être toxiques même à taux thérapeutique. Un pace-maker est souvent nécessaire en cas de bradycardie symptomatique et l'utilisation d'un pace-maker à double chambre est souhaitable pour maintenir une contraction auriculaire et optimiser le remplissage diastolique.
Le traitement de fond de l'amylose AL fait appel essentiellement à une chimiothérapie par prednisone et alkéran (melphalan) oral. Deux grands essais ont confirmés l'efficacité de ce traitement par rapport à l'absence de traitement ou un traitement par colchicine seul. Le taux de réponse reste cependant faible avec une augmentation globale de la survie médiane d'environ six mois. L'amélioration de survie est la meilleure chez les patients répondeurs avec une diminution d'au moins 50 % de la protéine monoclonale circulante ou urinaire. Ce traitement est en pratique assez difficile en raison de la toxicité du melphalan qui en limite la posologie et donc l'efficacité.
Le traitement par haute dose de melfalan intra-veineux (200 mg/m2 de surface corporelle) avec auto- ou allo-greffe médullaire permet d'obtenir une rémission complète de la prolifération plasmocytaire et une disparition complète des chaînes légères monoclonales. Ces résultats sont obtenus chez environ 65 % des patients avec une fonction ventriculaire gauche préservée et un âge inférieur à 60 ans. La durée de la rémission ainsi que l'efficacité de ce type de traitement sur la résorption des dépôts amyloïdes et la survie encore doit être confirmée.
Très récemment, l'utilisation d'une nouvelle antracycline iodée, la 4-iodo-4-déoxydoxorubicine a été proposée sur la base que ce produit se fixe sur les fibrilles amyloïdes bloquant les dépôts de nouvelles fibrilles et favorisant la résorption des dépôts amyloïdes. Ces constatations demandent à être confirmées à plus large échelle.
Amylose "secondaire" ou amylose AA :
L'amylose AA est liée à la formation de substances amyloïdes à partir d'une protéine sérique amyloïde A (SAA), une protéine réactive aigüe de l'inflammation. Plusieurs formes de SAA ont été identifiées notamment des isoformes allèliques constitutives impliquées dans la réaction inflammatoire aigüe. Toutes ces formes sont des apolipoprotéines associées à des lipoprotéines de haute densité. SAA 1 et SAA 2 sont les principales de ces protéines inflammatoires et sont inductibles par l'interleukine 1, l'interleukine 6 et le TNF.
Les dépôts d'amylose AA sont constitués de fragments d'au moins 5 formes moléculaires différentes et surviennent après protéolyse de la SAA. Toutes les formes d'amylose AA sont associées à une production augmentée par les hépatocytes de SAA captés par les monocytes et dégradés en petits fragments qui se déposent dans les tissus. Les concentrations sériques de SAA sont cependant équivalentes chez les patients atteints de maladie inflammatoire chronique qui développent ou non une amylose suggérant l'implication d'autres facteurs pour l'amyloïdogénèse.
Cliniquement, l'amyloïdose AA comporte une atteinte rénale chez la plupart des patients. Une hépatomégalie et/ou splénomégalie surviennent chez 10%. L'atteinte cardiaque est rare, le plus souvent détectée par échocardiographie et n'aboutit pratiquement jamais à une insuffisance cardiaque. La macroglossie est classiquement absente dans cette forme.
Le diagnostic repose sur l'histoire clinique et la notion d'une maladie inflammatoire chronique. L'arthrite rhumatoïde de forme adulte ou juvénile représente environ 40 % des cas. Les autres causes sont la pelvi-spondylite rhumatismale, l'arthrite psoriasique, les infections chroniques à pyogène (dilatation des bronches, ostéomyélite, infection cutanée chronique chez le paraplégiques), la tuberculose, les inflammations intestinales (essentiellement la maladie de Crohn), la mucoviscidose et certains cancers (en particulier l'adénocarcinome rénal et la maladie de Hodgkin) et enfin la fièvre méditerranéenne familiale FMF classée également dans les amyloses héréditaires. L'amylose AA est rare au cours du lupus.
La confirmation histologique reste indispensable dans tous les cas par la biopsie d'un organe atteint. La confirmation de l'amylose AA est faite par coloration immuno-histo-chimique pour la protéine AA dans les tissus.
Le pronostic est globalement meilleur que celui de l'amylose AL car l'atteinte cardiaque est moins symptomatique. La principale cause de mortalité est liée à l'insuffisance rénale. Le traitement fait appel à léradications de la source d'inflammation lorsque celle-ci est possible. La colchicine est souvent employée par analogie avec son efficacité dans la FMF. Cette approche n'est cependant pas validée dans les autres formes d'amylose AA. La modalité thérapeutique la plus importante est le traitement du processus inflammatoire sous-jacent qui peut être obtenu par des agents cytotoxiques dans l'arthrite rhumatoïde et des antibiotiques dans les infections chroniques. Ceci peut aboutir à la stabilisation de la fonction rénale et à une résolution partielle des dépôts amyloïdes.
L'amylose héréditaire :
Les amyloses familiales ou héréditaires constituent un groupe de maladies autosomales dominantes au cours desquelles une protéine mutée constitue le précurseur des fibrilles amyloïdes.
Les deux formes les plus fréquentes d'amylose héréditaire sont causées par une mutation ponctuelle sur la transthyrétine (amylose ATTR) et sur le gène de la marenostrine (fièvre familiale méditerranéenne ou FMF responsible dune amylose de type AA). Des mutations plus rares ont été également rapportées sur l'apolipoprotéine A1, l'agelsoline, le fibrinogène A alpha et le lysosyme. Toutes ces formes (à l'exception de l'amylose liée à une mutation sur l'agelsoline) sont responsables d'une atteinte rénale liée à l'amylose.
La transthyrétine est une protéine de transport de la thyroxine essentiellement synthétisée au niveau du foie. Plus de 50 mutations (substitution d'un seul acide aminé) sur le gène de la transthyrétine sont responsables d'une amylose avec polyneuropathie. Les mutations les plus fréquentes sont une substitution de la méthionine en valine en position 30 (Met 30) survenant dans pratiquement tous les groupes raciaux et une substitution d'une alanine en thréonine en position 60 (Ala 60) survenant chez les personnes d'ascendance anglaise ou irlandaise. Une mutation isoleucine en valine en position 122 (Ile 122) présente chez 4 % de la population noire (fréquence allélique 0.02) est responsable d'une amylose cardiaque.
Cliniquement, l'amylose ATTR a une présentation différente de celle de l'amylose AL avec une neuropathie autonomique périphérique au premier plan. L'atteinte rénale est moins fréquente et la macroglossie virtuellement absente. L'atteinte cardiaque est très variable selon la mutation en cause. Dans la mutation Met 30, l'échocardiogramme est habituellement normal mais on peut observer des dysfonctions sinusales ou des troubles de la conduction auriculo-ventriculaire. Dans la mutation Ala 60, l'atteinte cardiaque est sévère avec une infiltration tout à fait similaire à celle observée au cours de l'amylose AL à l'échocardiographie. Cependant, l'insuffisance cardiaque est moins fréquente et le pronostic est meilleur que celui de l'amylose AL.
Le diagnostic repose là encore sur la démonstration histologique de l'amylose même s'il existe une histoire suggestive d'amylose ou de neuropathie progressive. Après exclusion d'une amylose AL ou AA par les examens appropriés, le variant de la transthyrétine doit être recherché par isoélectrofocalisation du sérum qui sépare la transthyrétine mutée de la forme normale et complétée par les tests génétiques spécifiques pour identifier le site de la mutation.
Le pronostic de l'amylose ATTR est très variable selon la mutation spécifique en cause et l'âge au moment du diagnostic. Les mutations associées à un âge plus jeune au moment du diagnostic ont une évolution plus rapidement progressive de la neuropathie et de la cardiopathie et donc une survie diminuée. Le rythme évolutif tend à être conservé au sein des familles.
Le traitement est basé sur le fait que la transthyrétine est essentiellement synthétisée au niveau du foie. La transplantation hépatique amène la disparition totale de la transtiretine mutante du sang et améliore la neuropathie. La transplantation hépatique constitue donc le traitement radical de la maladie mais elle ne doit pas être effectuée avant l'apparition de symptomes et l'analyse précise de la mutation et du phénotype familial permet de déterminer le meilleur moment pour sa réalisation.
|