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Généralités
Le myélome est une prolifération d'un seul clone de cellules plasmocytaires malignes qui s'accumulent dans la moelle osseuse et produisent une immunoglobuline monoclonale. La cause en est inconnue. Sur le plan épidémiologique environ 40 nouveaux cas par million d'habitants et par an sont rapportés. Le myélome représente environ 1 % de toute la mortalité liée aux cancers dans les pays occidentaux. C'est une maladie du sujet âgé avec un âge médian de 65 ans à la découverte de la maladie.
Le diagnostic de myélome repose sur la présence de 2 parmi les 3 signes suivants :
- une plasmocytose médullaire pathologique,
- une protéine monoclonale, soit immunoglobuline complète soit plasmatique soit chaînes légères d'immunoglobuline urinaire,
- des lésions ostéolytiques sur les radios du squelette.
L'atteinte rénale est fréquente au cours du myélome, mais un grand nombre de mécanismes peuvent être impliqués. Dans une étude 43 % de 998 patients ont une augmentation de la créatinine plasmatique au-dessus de 130 µmol/l (mesurée après 48 heures de réhydratation). Il y a aussi une corrélation entre la présence et la sévérité de l'atteinte rénale et la survie à 1 an 80 % chez les patients dont la créatinine plasmatique est inférieure à 130 µmol/l contre 50 % chez ceux dont la créatinine plasmatique est supérieure à 200 µmol/l.
L'hypercalcémie est présente dans 20 à 30 % des myélomes au moment du diagnostic. L'hypercalcémie provient de l'augmentation de la résorbtion osseuse, elle-même liée en partie à une sécrétion augmentée d'interleukine 6.
L'hypercalcémie favorise l'insuffisance rénale en favorisant la déshydratation, une vasoconstriction rénale et les dépôts intra-tubulaires de calcium et peut être en augmentant la toxicité des chaînes légères filtrées. L'insuffisance rénale est le plus souvent fonctionnelle et peut être associée à une syndrome polyuro-polydipsique lié à un diabète insipide néphrogénique ADH résistant. L'insuffisance rénale et la résistance à l'ADH induites par l'hypercalcémie sont généralement réversibles grâce à une réhydratation et à l'utilisation de biphosphonates (Pamidronate, Arédia®).
Les autres manifestations du myélome sont essentiellement liées à l'hyperproduction d'une chaîne légère d'immunoglobuline monoclonale. Les formes suivantes d'atteinte rénale sont directement liées à la toxicité de la chaîne légère et ne sont donc observées que chez les patients qui produisent un excès de chaînes légères libres. Les chaînes légères d'immunoglobuline ont un poids moléculaire d'environ 22 kilodaltons. Elles sont librement filtrées par les glomérules et apparaissent dans la lumière tubulaire. Une protéinurie composée de chaînes légères n'est pas détectée par les bandelettes urinaires qui ne sont sensibles qu'à l'albumine.
La recherche de chaînes légères d'immunoglobuline doit se faire en utilisant des techniques de recherche de protéinurie par colorant (par exemple rouge de pyrogallol). L'identification de l'isotype de la chaîne légère (kappa ou lambda) et la quantification, nécessitent le recours à l'immunoélectrophorèse ou mieux l'immunofixation urinaire.
La survenue du type de l'atteinte rénale dépend fortement des caractéristiques biochimiques individuelles de la chaîne légère en cause. Les études in vitro montrent que pratiquement toutes les chaînes légères toxiques et très peu de celles qui n'ont pas d'effets rénaux sont capables de s'auto-aggréger en dimères ou polymères de poids moléculaire plus élevé. L'injection des chaînes légères monoclonales provenant de malades myélomateux chez des souris reproduit chez celles-ci la même forme de maladie rénale que celle observée chez le patient (néphropathie du myélome, dépôt d'amyloïdose ou absence d'atteinte). L'isotype de la chaîne légère est également important puisque la plupart des chaînes légères induisant une amyloïdose sont des chaînes légères lambda, alors que les chaînes légères kappa sont plus souvent responsables de maladies des dépôts de chaînes légères.
Néphropathie (tubulopathie) du myélome
La néphropathie du myélome encore appelée néphropathie des cylindres myélomateux est responsable d'une insuffisance rénale aiguë ou rapidement progressive résultant de la formation de cylindres myélomateux dans les tubules intra-rénaux. Cette précipitation de chaînes légères sous forme de cylindres a lieu dans les tubules distaux et collecteurs, provoque une obstruction tubulaire et initie une réaction giganto-cellulaire.
La formation et la précipitation des cylindres nécessitent la liaison de la chaîne légère à une mucoprotéine de Tamm-Horsfall, protéine sous sécrétée spécifiquement par les cellules de la branche ascendante large de l'anse de Henle et qui constituent la matrice de tous les cylindres urinaires. Seules certaines chaînes légères se lient avec une haute affinité à la mucoprotéine de Tamm-Horsfall et cette liaison dépend d'une séquence linéaire de 9 acides aminés. D'autres facteurs interviennent également : le point isoélectrique de la chaîne légère lorsqu'il est supérieur à 5.1, c'est-à-dire au-dessus du pH du fluide tubulaire du néphron distal, ont une charge positive ce qui favorise la liaison à la mucoprotéine de Tamm-Horsfall. La présence de calcium, la haute concentration en chlore dans le tube distal semblent également favoriser la précipitation des chaînes légères. Un facteur très important est la concentration des chaînes légères en sous-segment du tubule, concentration qui dépend elle-même du débit des chaînes légères et de la filtration glomérulaire. Lorsque la filtration glomérulaire diminue (déplétion et volémique, co-prescription d'anti-inflammatoires non stéroïdiens, produits de contraste iodé), le ralentissement du débit tubulaire et l'augmentation de concentrations intra-tubulaires favorisent la précipitation.
Traitement de la tubulopathie
Le traitement de cette forme d'atteinte rénale fait appel à une réhydratation vigoureuse, l'éviction des diurétique de l'anse en l'absence d'hyercalcémie sévère, la mise en route d'une chimiothérapie mais dont l'action ne se manifeste pas avant plusieurs semaines, des échanges plasmatiques pour éliminer rapidement les chaînes légères circulantes et enfin la dialyse lorsque celle-ci est nécessaire. L'indication de la dialyse doit être relativement précoce compte tenu de l'état hyper-catabolique (corticoïdes).
L'ensemble de ces mesures permet une amélioration de la fonction rénale 50 à 80 % des cas, même chez les malades initialement dialyse-dépendants. Une insuffisance rénale résiduelle modérée est cependant fréquente. La récupération est généralement meilleure chez les patients ayant une insuffisance rénale liée à l'hypercalcémie et l'hypovolémie que ceux ayant une protéinurie de chaînes légères et des cylindres myélomateux.
Les malades progressant vers l'insuffisance rénale terminale doivent être traités par dialyse. Hormis les patients survivants aux deux premiers mois, la survie actuarielle est d'environ 45 % à 1 an et 25 % à 2-3 ans. Les patients répondeurs à la chimiothérapie ont un taux de survie médian de 47 mois contre seulement 17 mois chez les non répondeurs. Il faut noter que sous l'influence du traitement, la récupération de la fonction rénale et la possibilité d'arrêter les dialyses, peut survenir jusqu'à plusieurs mois après l'épisode initial. Il est cependant nécessaire de mettre rapidement en place un accès permanent de dialyse pour éviter les complications infectieuses. L'histologie rénale a une valeur informative importante pour prédire la récupération. La récupération de la fonction rénale survient essentiellement chez les patients ayant une néphropathie de cylindres typiques et/ou une nécrose tubulaire, mais en l'absence de lésions interstitielles. L'atrophie tubulaire et la fibrose interstitielle sont en revanche associées à une insuffisance rénale partiellement ou totalement irréversible.
Dysfonction tubulaire
Chez certains patients l'effet toxique des chaînes légères filtrées est limité à une dysfonction tubulaire avec une filtration glomérulaire relativement normale. Les tubes proximaux sont principalement atteints liés en raison de la réabsorption des chaînes légères filtrées et de leur accumulation dans les cellules proximales. Les chaînes légères induisant ces lésions ont des propriétés biochimiques particulières avec un domaine variable résistant à la dégradation par les protéases des lysosomes des cellules tubulaires. L'accumulation de ces fragments de domaine variable est présumée responsable de l'altération de la fonction tubulaire. Les principales manifestations cliniques comportent un syndrome de Fanconi, une acidose tubulaire proximale et une glycosurie, une aminosidurie, un diabète phosphaté avec hypophosphatémie....
La dysfonction proximale peut également exacerber la néphropathie myélomateuse en diminuant la réabsorption des chaînes légères proximales et en augmentant le débit de chaînes légères et leur précipitation au niveau du néphron distal. Histologiquement, des inclusions cristallines cytoplasmiques sont volontiers retrouvées dans les cellules plasmocytaires de la moelle osseuse et dans les cellules tubulaires rénales. Ces inclusions cristallines sont pratiquement toujours constituées de fragments de chaînes légères kappa. L'intérêt de reconnaitre ce syndrome est qu'il peut révéler parfois plusieurs mois à l'avance la survenue du myélome.
Amylose et maladie de dépôts de chaînes légères :
Les patients produisant un excès de chaînes légères monoclonales ou rarement un excès de chaînes lourdes peuvent développer trois types d'anomalies au cours desquelles les fragments d'immunoglobulines se déposent dans le rein et les autres tissus : l'amylose AL (encore appelée improprement amylose primitive), la maladie des dépôts de chaînes légères et enfin la maladie des dépôts de chaînes lourdes. Ces malades se présentent typiquement avec un syndrome néphrotique et une insuffisance rénale d'installation relativement lente. Au cours de l'amylose AL, les chaînes légères circulantes sont captées et partiellement métabolisées par les macrophages. Les fragments peuvent précipiter en formant une structure fibrillaire béta-plissée ayant les affinités tinctoriales, rouge congo positive caractéristique de l'amylose.
Dans la maladie de dépôts des chaînes légères, des fragments d'immunoglobulines ne forment pas des fibrilles et les dépôts ne prennent pas la coloration rouge congo.
Dans un tiers des cas, les dépôts rénaux peuvent prendre un aspect de glomérulosclérose nodulaire (le principal diagnostic différentiel étant le diabète, de diagnostic généralement facile car dans un contexte très différent).
Cryoglobulinémie de type II
La cryoglobulinémie de type II (IgM monoclonale et IgG polyclonale) peut donner une glomérulonéphrite survenant relativement rarement au cours du myélome. Dans ce cas, l'immunoglobuline monoclonale forme des cryo-précipités qui peuvent aboutir à une glomérulonéphrite membrano-proliférative avec des thrombies intra-luminaux sur la biopsie rénale.
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