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Revue critique des essais prospectifs rénaux et cardiovasculaires
Interventions ciblées sur le risque rénal (néphropathies non diabétiques)
vendredi 12 mars 2004
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Les années passées ont été particulièrement fertiles en publications concernant la progression de l’insuffisance rénale. Une analyse intérimaire de l’étude AASK est parue récemment en raison des implications pratiques importantes qui en découlaient dans la prise en charge des patients de la communauté noire nord-américaine (9). L’étude AASK (pour Afro-American Study of Kidney Disease and Hypertension) a pour objectif de comparer l’effet de 2 niveaux tensionnels cibles (très bas versus usuels) et de 3 types de traitement antihypertenseur initial (bétabloqueur, dihydropyridine et inhibiteur de l’enzyme de conversion) sur l’évolution et la progression de la maladie rénale hypertensive (néphropathie hypertensive) chez les sujets noirs. Cette étude inclut 1094 sujets afro-américains, hypertendus, âgés de 18 à 70 ans avec une filtration glomérulaire entre 20 et 65 ml/mn/1.73m2 (clairance du iothalamate) et pas d’autres causes identifiées d’insuffisance rénale. Les critères d’exclusion étaient une pression artérielle systolique inférieure à 95 mmHg, une notion de diabète, une protéinurie abondante (rapport protéine/créatinine urinaire supérieur à 2,5), une hypertension maligne ou secondaire, une insuffisance cardiaque congestive. Une branche de l’essai a été interrompue prématurément après 36 mois d’étude, celle comparant la dihydropyridine amlodipine 5 à 10 mg par jour au ramipril 2,5 à 10 mg par jour. Les comparaisons ont été effectuées sans tenir compte de la randomisation dans les 2 niveaux tensionnels, c’est-à-dire que les données prises en compte sont les valeurs tensionnelles moyennes des 2 groupes. En pratique 436 patients ont été randomisés pour recevoir du ramipril contre 217 pour recevoir de l’amlodipine. Les caractéristiques basales étaient une pression artérielle de 150/96 mmHg, une créatinine plasmatique de 22 mg/l ou une filtration glomérulaire de 42 ml/mn et une protéinurie en moyenne de 0,6 ± 1,0 g/jour. Plus de la moitié (53 %) des patients avaient déjà développé un épisode d’insuffisance cardiaque. Environ 1/3 des patients avaient une protéinurie beaucoup plus importante et dans le tertile supérieur de protéinurie, la valeur moyenne est de 1,50 ± 1,25 g/24 h avec une corrélation inverse très forte entre l’abondance de la protéinurie et le débit de filtration glomérulaire initial. Environ 65 % des patients ont été traités avec la dose maximale du médicament dans leur groupe respectif et plus de 80 -85 % étaient adhérents au traitement à la fin de l’étude. La pression artérielle a baissé de façon comparable dans les 2 groupes pour atteindre 134,5/82,2 mmHg dans le groupe ramipril et 132,9/81,4 mmHg dans le groupe amlodipine. Le critère de jugement principal était la pente de décroissance de la filtration glomérulaire dans sa phase chronique, c’est-à-dire à partir du 3ème mois. Le ramipril diminue significativement la pente de décroissance de la filtration glomérulaire comparée à l’amlodipine avec une réduction relative du risque de -41 % (p < 0.03), ce bénéfice étant essentiellement confiné aux patients ayant une filtration glomérulaire initiale inférieure à 40 ml/mn c’est-à-dire aussi ceux ayant la protéinurie initiale la plus abondante. Dans le sous-groupe des patients avec une filtration glomérulaire initiale supérieure à 40 ml/mn, l’amlodipine induit au cours des 3 premiers mois une augmentation significative de la filtration glomérulaire d’environ 6 ml/mn. Dans ce même groupe de patients, les pentes de décroissance de la filtration glomérulaire ne diminuent pas de façon significative entre les 2 groupes de traitement. L’interprétation des pentes de décroissance est cependant limitée par le grand nombre de patients chez lesquels ces pentes n’ont pu être analysées en raison du début du traitement par dialyse. Dans le sous-groupe à protéinurie initiale basse et filtration glomérulaire supérieure à 40 ml/mn, l’amlodipine induit une augmentation de la protéinurie même si celle-ci reste modeste ( ? 125 %) alors que cette augmentation est beaucoup plus modeste avec le ramipril ( ? 25 %). Dans le groupe défini par le tertile de protéinurie supérieure, l’amlodipine induit une augmentation progressive de la protéinurie alors que cette protéinurie diminue de façon importante et soutenue sous ramipril. Le critère secondaire était un critère combiné "dur" associant incidence d’une réduction de 50 % de la filtration glomérulaire, incidence de l’insuffisance rénale terminale (mise en dialyse), et incidence de la mortalité. L’incidence de ce critère combiné est de 77 pour 1000 patients/année dans le groupe amlodipine contre 58 pour 1000 patients/année dans le groupe ramipril, réduction relative de risque de -38 %, p < 0.005. Le critère combiné réduction de filtration glomérulaire de moitié ou insuffisance rénale terminale est également réduit de façon significative dans le groupe ramipril : 59 évènements pour 1000 patients/année dans le groupe amlodipine contre 47 événements pour 1000 patients/année dans le groupe ramipril, diminution relative de risque - 38 %, p < 0.01. Il faut traiter 83 patients pendant 1 an par ramipril pour éviter une mise en dialyse ou un doublement de la créatinine plasmatique. En conclusion, chez les afro-américains, la progression vers l’insuffisance rénale terminale de la néphropathie hypertensive est fortement dépendante du niveau initial de protéinurie. Malgré une réduction tensionnelle identique, les effets rénaux d’une dihydropyridine et d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion sur l’évolution de cette néphropathie hypertensive sont différents. Le ramipril diminue d’environ 40 % le risque de progression mais ce bénéfice est essentiellement confiné aux groupes de patients ayant une protéinurie abondante initiale. Chez les patients sans protéinurie initiale, l’amlodipine induit une augmentation significative de la filtration glomérulaire initialement qui s’accompagne également d’une augmentation significative de la protéinurie. Cette observation est compatible avec les données expérimentales qui montrent que les dihydropyridines augmentent de façon aiguë la filtration glomérulaire en favorisant la vasodilatation artériolaire afférente et la perte de l’autorégulation rénale 10. Il en résulte une augmentation de la pression capillaire intraglomérulaire, même lorsque la pression artérielle systémique diminue. Ces résultats montrent que les IEC exercent un effet rénoprotecteur même dans des populations de sujet afro-américains, une population jusqu’à présent présumée comme peu sensible à ce type de médicament. L’étude ne permet pas de conclure un effet rénoprotecteur de l’IEC et/ou un effet délétère de l’amlodipine en l’absence de point comparateur (branche placebo). Cependant indirectement, la poursuite de l’essai dans la branche metoprolol suggère un effet délétère de l’amlodipine. Les effets du traitement IEC sur la progression des maladies rénales ont été largement rapportés au cours des dernières années et ces principaux essais ne seront donc pas analysés de façon détaillée dans cette revue. Cependant la publication d’une méta-analyse récente apporte quelques informations supplémentaires sur l’interprétation générales des résultats de ces grandes études d’intervention. A la différence d’une méta-analyse précédente (11), la méta-analyse de Jafar est basée sur une analyse poolée des données individuelles de 11 grands essais ayant comparé l’effet des inhibiteurs de l’enzyme de conversion versus un traitement conventionnel (placebo ou autre antihypertenseurs) sur la progression des maladies rénales 12. Cette analyse porte sur 1860 patients insuffisants rénaux non diabétiques dont 92 % sont hypertendus. L’âge moyen est de 52 ans ± 13 et la proportion d’hommes de 65 %. Ces patients ont été sélectionnés sur l’absence de maladie cardiovasculaire associée. Ils ont à l’entrée dans l’étude une protéinurie moyenne de 1,5 ± 2,3 g/jour, une créatinine plasmatique de 203 ± 106 µmol/l et une pression artérielle moyenne de 148 ± 22/91 ± 11 mmHg. Le suivi moyen est de 2,2 ± 1,1 ans. La baisse de pression artérielle observée avec les 2 types de traitement est significative mais la baisse de la pression artérielle est plus importante (4,5 mmHg pour la systolique et 2,3 mmHg pour la diastolique) dans le groupe IEC. Ceci est lié à l’utilisation d’un placebo dans la plupart des études comparatives. Sur les critères de jugement, l’insuffisance rénale terminale survient chez 11,6 % des sujets témoins et 7,4 % chez les patients sous IEC (-réduction relative de risque - 37 %, p < 0.002). Le doublement de la créatinine plasmatique survient chez 14,7 % des sujets témoins et 9,5 % des sujets sous IEC (réduction relative de risque - 35 %, p < 0.001). Il faut traiter pendant 2,2 ans 24 patients avec néphropathie pour éviter une insuffisance rénale terminale (dialyse) et 19 patients pour éviter un doublement de la créatinine plasmatique. Le décès survient chez 1,2 % des patients témoins et 2,1 % des patients sous IEC (différence non significative). Une affection ou complication cardiovasculaire survient chez 2 % des sujets témoins et 1,9 % des sujets traités par IEC (différence non significative) (ceci correspond à un risque cardiovasculaire d’environ 10 % à 10 ans, très inférieur à celui des patients inclus dans HOPE). D’une façon générale, le risque d’insuffisance rénale terminale augmente parallèlement avec l’augmentation de la pression artérielle systolique et le degré de protéinurie. L’effet bénéfique des IEC sur la progression n’est que partiellement dépendant de la réduction tensionnelle puisque ce bénéfice persiste de la même façon après ajustement pour la pression artérielle systolique et la protéinurie. Ceci suggère des mécanismes d’action additionnels au simple effet hypotenseur des IEC pour réduire la vitesse de progression. L’effet des IEC est plus marqué en terme de réduction du risque relatif lorsque la protéinurie est abondante. Cette réduction du risque relatif sous IEC augmente proportionnellement au degré de la protéinurie initiale. L’effet est significatif pour une protéinurie supérieure à 0,5 g par jour, il est probable mais de puissance insuffisante pour une protéinurie inférieure à 0,5 g par jour. Cette relation entre le bénéfice du traitement et le degré de protéinurie est une notion importante. Il signifie que le bénéfice absolu du traitement IEC est important chez les malades très protéinuriques (> 4,5 g/jour) ceci même si la réduction de protéinurie obtenue sous IEC reste modeste en apparence. Cela signifie qu’un bénéfice peut être démontré même en cas de protéinurie résiduelle abondante. Même si le bénéfice individuel est très important chez les patients ayant une protéinurie initiale très abondante et plus modeste chez les malades avec une protéinurie modérée il convient de souligner qu’en terme de santé publique, ce bénéfice du traitement IEC pour les valeurs modérées de protéinurie est très important car ces malades sont les plus nombreux et contribuent davantage au nombre total d’insuffisance rénale terminale. L’analyse des variables de suivi, en particulier la protéinurie, a été étendue dans un autre article à partir de la même base de données (13). Après ajustement pour les variables de départ, trois facteurs : traitement par IEC, baisse de la pression artérielle systolique et baisse de la pression artérielle diastolique, sont indépendamment associés à une réduction plus forte de la protéinurie. L’analyse suggère de plus que l’effet bénéfique des IEC est médié par des effets additionnels à l’effet antiprotéinurique. Enfin la protéinurie résiduelle sous traitement est un meilleur prédicteur évolutif que la protéinurie initiale. Une protéinurie résiduelle basse sous traitement prédit un risque évolutif faible. Cependant à toute valeur de protéinurie résiduelle, le risque de progression est plus faible chez les patients traités par IEC. De ces observations importantes on peut conclure que la baisse tensionnelle, la baisse de la protéinurie et le traitement par IEC représentent des objectifs thérapeutiques indépendants et additifs. La protéinurie résiduelle sous traitement doit donc faire l’objet de mesures thérapeutiques ciblées. Ces analyses ne permettent cependant pas d’établir si le bénéfice des IEC sur l’effet anti-protéinurique est dose-dépendant et quel est le degré optimal de protéinurie résiduelle à obtenir sous traitement. La réponse définitive à ces questions devrait faire l’objet d’un essai randomisé contrôlé spécifique comparant deux niveaux cibles de réduction protéinurique. Enfin, l’absence d’effet sur la mortalité-morbidité cardiovasculaire doit être rapportée à la population étudiée, âge moyen jeune, l’absence d’atteinte cardiovasculaire associée (critère d’exclusion dans toutes ces études). Le risque cardiovasculaire observé à 10 ans est de l’ordre de 10 %, c’est-à-dire faible et les effectifs même poolés ont une puissance insuffisante pour répondre à cette question. Enfin, il est à noter une limitation concernant un nombre important de perdus de vue et en particulier l’absence de donnée informative sur l’hyperkaliémie.
Post-scriptum :
9. Agodoa LY, Appel L, Bakris GL, et al. Effect of ramipril vs amlodipine on renal outcomes in hypertensive nephrosclerosis : a randomized controlled trial. Jama 2001 ; 285:2719-28. 10. Griffin KA, Picken MM, Bakris GL, Bidani AK. Class differences in the effects of calcium channel blockers in the rat remnant kidney model. Kidney Int 1999 ; 55:1849-60. 11. Giatras I, Lau J, Levey AS. Effect of angiotensin-converting enzyme inhibitors on the progression of nondiabetic renal disease : a meta-analysis of randomized trials. Angiotensin-Converting-Enzyme Inhibition and Progressive Renal Disease Study Group. Ann Intern Med 1997 ; 127:337-45. 12. Jafar TH, Schmid CH, Landa M, et al. Angiotensin-converting enzyme inhibitors and progression of nondiabetic renal disease. A meta-analysis of patient-level data. Ann Intern Med 2001 ; 135:73-87. 13. Jafar TH, Stark PC, Schmid CH, et al. Proteinuria as a modifiable risk factor for the progression of non-diabetic renal disease. Kidney Int 2001 ; 60:1131-40. |
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