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7.1 Epidémiologie et Causes de L’insuffisance Rénale Aiguë
(Q 252)
vendredi 24 mai 2002
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L’insuffisance rénale aiguë (IRA) est caractérisée par une détérioration de la fonction rénale survenant sur une période de quelques heures ou quelques jours et aboutissant à l’incapacité par le rein à éliminer des déchets métaboliques terminaux, notamment azotés et à maintenir l’homéostasie hydro-électolytique. L’IRA est caractérisée par l’augmentation aiguë des concentrations plasmatiques d’urée et de créatinine, par contre l’oligurie n’est observée que dans 60 % des cas. L’IRA est une affection gravissime avec un taux de mortalité qui reste élevé autours de 50-70 % selon la cause et les comorbidités associées, sans amélioration notable au cours des dernières décennies. Cependant le pronostic fonctionnel rénal à distance est relativement bon chez les patients survivants. 1. EpidémiologieParmi les définitions de l’IRA les plus souvent utilisées, on retient une augmentation de plus de 50 % de la créatinine plasmatique par rapport à la valeur de base ou une réduction de la clairance de la créatinine calculée de 50 % ou encore une dégradation de la fonction rénale nécessitant le traitement dialytique. Même cette dernière définition est insuffisante car les indications de la dialyse diffèrent très largement en fonction de la cause de l’insuffisance rénale des services où le patient est traité et d’autre part des possibilités d’accès à un traitement dialytique. De plus, les causes et les mécanismes de l’IRA sont extrêmement variables, le terme de nécrose aiguë tubulaire devrait être réservé aux cas où il existe une confirmation histologique. Dans l’étude prospective Madrilène, la plus exhaustive disponible à ce jour, l’incidence de l’IRA est évaluée à 210 nouveaux cas par an et par million d’habitants (pmh). L’incidence annuelle de l’IRA dépend considérablement de l’âge et varie de 13 pmh chez les sujets de moins de 50 ans jusqu’à 778 pmh chez les sujets de plus de 80 ans. L’incidence annuelle des malades nécessitant une épuration extra-rénale est de 59 pmh (soit 28 % des cas). Globalement, la fréquence de l’IRA est estimée à 1% des admissions hospitalières, 2 à 5 % surviennent pendant une hospitalisation et jusqu’à 4 à 15 % dans certaines circonstances "à risque" telle qu’une chirurgie cardiaque ou aortique avec circulation extracorporelle. 2. Causes d’insuffisance rénale aiguëL’IRA peut résulter d’une diminution de la perfusion rénale sans lésion cellulaire, d’une agression ischémique ou toxique du tube rénal, d’un processus inflammatoire avec oedème tubulo-interstitiel, ou encore d’une réduction primitive de la capacité de filtration du glomérule. Lorsque il n’y a pas d’atteinte parenchymateuse anatomique mais que la fonction rénale est limitée par des facteurs compromettants la perfusion rénale, l’IRA est dite "prérénale" ou "fonctionnelle". Si l’anomalie de fonction rénale est liée à une obstruction sur la voie urinaire, l’IRA est dite "postrénale" ou "obstructive". Lorsque l’IRA est liée à une anomalie intrarénale primitive, celle-ci est appelée IRA "intrinsèque" ou "organique". Les causes d’IRA prérénale et organique liées à l’ischémie et aux toxines rénales sont responsables de la plupart des épisodes d’IRA. Les principaux types d’IRA sont résumés dans le Tableau 1 et la Figure 2 avec leur fréquence estimée.
La répartition des causes d’IRA varie avec l’âge de survenue : l’incidence de l’IRA fonctionnelle, de l’IRA par obstacle et de l’IRA organique autre que la nécrose tubulaire augmente significativement avec l’age (Figure 3). L’IRA fonctionnelle représente environ 70 % des cas d’IRA survenant en ville et 40 % des cas survenant à l’hôpital. La prolongation dans le temps de l’IRA fonctionnelle est le facteur prédisposant le plus habituel à la survenue d’une nécrose tubulaire ischémique. La survenue d’une IRA en milieu hospitalier est le plus souvent liée à une association de plusieurs agressions (60 % des cas). Parmi les combinaisons les plus fréquemment rencontrées on note l’association de traitements aminoglycosides dans un contexte de sepsis, l’administration de produits de contraste iodés chez des patients recevant un traitement par inhibiteur de l’enzyme de conversion ou encore un traitement par anti-inflammatoire non stéroïdien chez des patients ayant une insuffisance cardiaque. 2.1. Facteurs favorisants De nombreux facteurs prédisposent à la survenue d’une IRA (Tableau 2), certains d’entre eux agissant en synergie lorsqu’ils surviennent chez le même patient. L’âge avancé et la déplétion volémique représentent les deux facteurs les plus importants.
Chez les patients ayant une IRA fonctionnelle, l’atteinte rénale est très souvent causée ou favorisée par des médicaments qui peuvent modifier l’hémodynamique intrarénale tels que les anti-inflammatoires non stéroïdiens ou atteindre de très hautes concentrations dans le tissu rénal, comme les aminoglycosides. Les patients ayant une insuffisance rénale chronique préexistante sont prédisposés à une aggravation aiguë par les produits de contraste iodé, les aminoglycosides, les athéro-embolies de cristaux de cholestérol et la chirurgie cardiovasculaire en général. Les patients ayant à la fois une insuffisance rénale préexistante et un diabète ont un risque particulièrement élevé de développer une aggravation fonctionnelle rénale liée aux produits de contraste iodés. Les patients avec une hyperbilirubinémie quelle qu’en soit la cause semblent aussi prédisposés à l’IRA. Les sujets âgés sont susceptibles à de nombreuses formes d’IRA en raison de la perte de la réserve fonctionnelle du rein âgé et de son incapacité à subir des agressions aiguës 2.2. Insuffisance rénale fonctionnelle ou prérénale L’IRA fonctionnelle est rapidement réversible lorsque la cause sous-jacente est corrigée. Chez le patient non hospitalisé, les vomissements, la diarrhée, la limitation ou la réduction des apports liquidiens, la fièvre, l’utilisation aggressive de traitement diurétique et une insuffisance cardiaque sont des causes très habituelles. Les patients âgés sont particulièrement susceptibles à l’IRA fonctionnelle en raison de leur prédisposition à l’hypovolémie et de la très haute prévalence de maladie rénale artérielle athérosclérotique. L’association d’un traitement inhibiteur de l’enzyme de conversion et diurétique peut induire une IRA fonctionnelle chez des patients ayant une maladie réno-vasculaire atteignant soit les artères rénales tronculaires, soit les petits vaisseaux intra-rénaux. Chez les patients ayant une diminution de la pression de perfusion rénale, les anti-inflammatoires non stéroïdiens peuvent précipiter l’IRA fonctionnelle. Des médicaments, comme la cyclosporine ou le tacrolimus peuvent également induire une IRA fonctionnelle par un effet direct vasoconstricteur sur les petits vaisseaux préglomérulaires. Chez les patients hospitalisés, l’IRA fonctionnelle est souvent liée à une insuffisance cardiaque à une insuffisance hépatique ou à un choc septique. Dans un contexte post-opératoire, l’IRA fonctionnelle est la cause la plus fréquente d’altération de la fonction rénale.
2.3. Causes postrénales ou obstructives Une IRA peut survenir lorsqu’il existe un obstacle sur les voies urinaires sur les deux reins ou un obtacle unilatéral sur rein unique fonctionnel. Les principales causes d’obstacle des voies urinaires sont représentées par l’adénome de la prostate, le cancer de la prostate ou de l’utérus et les fibroses rétropéritonéales. Une vessie neurologique peut également induire une obstruction fonctionnelle. D’autres causes moins fréquentes d’IRA peuvent être liées à des obstacles intraluminaux (intra-urétéraux comme un calcul rénal bilatéral, une nécrose papillaire, des caillots sanguins, un carcinome vésical) ou extraluminaux (comme une fibrose rétropéritonéale, une tumeur colorectale ou d’autres cancers régionaux). Un obstacle intra-tubulaire peut être constitué par la précipitation de cristaux, composés notamment d’acide urique, d’oxalate de calcium, d’acyclovir, d’indanavir, de sulfonamide ou de méthotréxate ainsi que par des cylindres myélomateux constitués de chaines légères d’immunoglobulines et d’une matrice constituée de protéine de Tamm-Horsfall. L’IRA liée à un obstacle est une cause importante à reconnaître car la possibilité de récupération de la fonction rénale est généralement inversement liée à la durée de l’obstruction. D’autre part chez des patients avec des cancers avancés, la mise en place d’une néphrostomie percutanée ou de prothèse endo-urétérale permet de corriger l’obstruction et améliore le pronostic à court terme.
2.4. Insuffisance rénale aiguë organique L’IRA organique est classée en fonction du site primitif de l’atteinte : tube, interstitium, vaisseaux ou glomérules. L’atteinte tubulaire est le plus souvent d’origine ischémique ou toxique. 2.4.1. Nécrose tubulaire aiguë La nécrose tubulaire aiguë représente la seule forme d’atteinte rénale concernant le tubule rénal. Les lésions cellulaires sont habituellement relativement localisées à certains portions du tubule rénal (plutôt tube proximal en cas de toxine, plutôt tube distal en cas d’ischémie). Les cellules tubulaires nécrosées desquamment et sont éliminées dans l’urine mais si la membrane basale reste intacte, les cellules peuvent être régénérées après quelques semaines sous l’influence de facteurs de croissance locaux. L’IRA fonctionnelle et la nécrose tubulaire ischémique représentent un continuum, la première aboutissant à la seconde lorsque l’insuffisance de débit sanguin se prolonge et entraîne la mort cellulaire tubulaire. De nombreuses situations cliniques peuvent aboutir à une ischémie rénale. La plupart des causes d’IRA ischémique sont réversibles lorsque la cause sous-jacente est corrigée, cependant une nécrose corticale irréversible peut survenir lorsque l’ischémie est sévère notamment dans un contexte de coagulation intra-vasculaire faisant suite à des complications obstétricales, des morsures de serpent ou une microangiopathie thrombotique. Après l’ischémie, les toxines rénales représentent la cause la plus fréquente d’IRA. Les aminoglycosides, les produits de contraste iodés sont parmi les principaux néphrotoxiques en cause mais les pigments héminiques (hémoglobine, myoglobine), les agents chimiothérapeutiques, les chaînes légères d’immunoglobulines et d’autres médicaments peuvent également être responsables. L’ischémie et les néphrotoxines sont souvent associées pour induire une IRA, notamment chez des patients en état critique dans des situations de sepsis, d’hémopathies ou de SIDA.
* = causes les plus fréquentes 2.4.2. Néphropathies interstitielles aiguës (voir chapitre 7.4) La NIA est une cause d’incidence grandissante d’IRA. L’IRA associée à une néphropathie interstitielle aiguë est le plus souvent causée par une réaction allergique à un médicament. Des causes moins fréquentes peuvent être représentées par des maladies autoimmunes (lupus), des granulomatoses (sarcoïdose) et des infections (légionnellose, hantavirose). L’IRA due à une néphropathie interstitielle aiguë est le plus souvent réversible après l’arrêt du médicament en cause ou le traitement de la cause sous-jacente. Les glucocorticoïdes sont souvent prescrits pour favoriser la récupération de la fonction rénale dans ce contexte mais leur rôle n’est actuellement pas formellement démontré en raison de l’absence d’essai contrôlé.
2.4.3. Vascularites et glomérulonéphrites aiguës ou rapidement progressives (voir aussi les chapitres 2.7 et 4.1) Les glomérulonéphrites rapidement progressives peuvent se présenter également sous la forme d’une IRA. Il est essentiel de faire rapidement le diagnostic de glomérulonéphrite rapidement progressive car l’institution urgente d’un traitement immunosuppresseur et/ou d’échanges plasmatiques permet de réduire la survenue des complications compromettant le pronostic vital et le risque d’insuffisance rénale terminale définitive
Plusieurs formes de néphropathies vasculaires aiguës peuvent être responsable d’une altération rapide la fonction rénale évoluant comme une insuffisance rénale aiguë. Le diagnostic est souvent facilité par un contexte évocateur, la présence d’une HTA sévère ou d’une hémolyse mécanique. Certaines de ces formes nécessitent un diagnostic précis urgent éventuellement par biospie rénale pour mettre en route des traitement spécifiques seule chance de récupération de la fonction rénale.
3. Pronostic3.1. Pronostic à court terme L’IRA peut être oligurique (débit urinaire inférieur à 400 ml/jour) ou non-oligurique (débit urinaire supérieur ou égal à 400 ml/jour). Dans ces deux formes, le débit urinaire corrèle avec la filtration glomérulaire résiduelle. Les patients avec une IRA non oligurique ont un meilleur pronostic que ceux avec une IRA oligurique mais ceci résulte d’une atteinte rénale et générale moins sévère. Chez les malades non-oliguriques, les indices de gravité sont moins élevés, le degré d’insuffisance rénale est moins sévère et la cause est de pronostic plus favorable (toxicité médicamenteuse ou néphropathie interstitielle aiguë immunoallergique). L’influence de l’âge reste très débattue. L’âge moyen des patients traités pour insuffisance rénale aiguë en milieu médical et chirurgical a augmenté au cours de la dernière décennie. Il n’y a pas de doute que les patients âgés sont plus susceptibles de développer une insuffisance rénale aiguë à l’occasion d’hypovolémie ou après l’usage intempestif de médicaments néphrotoxiques. Malgré cela, l’influence de l’âge sur le pronostic semble assez modeste ce qui signifie que l’age ne représente pas une limite pour proposer un traitement dialytique à ces malades lorsque leur état le nécessite. Une insuffisance rénale chronique préalable n’influence que de façon mineure le pronostic vital chez les patients avec une insuffisance rénale aiguë. Par contre, l’insuffisance cardiaque chronique et la cirrhose du foie doublent le taux de mortalité. De façon générale, les co-morbidités associées aggravent le pronostic chez les patients avec une insuffisance rénale aiguë. Les facteurs de risque les plus importants sont le sepsis et le choc septique, l’insuffisance respiratoire aiguë nécessitant une ventilation mécanique, le coma et les troubles neurologiques aigus, l’insuffisance cardiaque, l’infarctus myocardique aigu et le cancer. La mortalité augmente avec le nombre d’organes défaillants : 10 % environ lorsque seul le rein est atteint jusqu’à plus de 65 % si une atteinte pulmonaire, cardiaque, hépatique ou un sepsis non contrôlé sont associés. La mortalité atteint 90% ou plus lorsqu’au moins trois organes sont défaillants. Les principales causes de décès chez les patients avec une insuffisance rénale aiguë sont le sepsis qu’il soit induit ou résultant de l’insuffisance rénale et l’insuffisance cardiaque et respiratoire. Les arrêts de traitement représentent une cause croissante de mortalité chez ces patients, 15 % environ dans les pays anglo-saxons. Le taux de survie est également fortement influencé par les circonstances de survenue au cours desquelles l’insuffisance rénale se développe. La survie dépasse 90 % au cours des insuffisances rénales aiguës communautaires et chute à 42-75 % au cours des insuffisances rénales aiguës acquises en milieu hospitalier. 3.2. Pronostic à long terme Contrairement à une idée fortement répandue, le pronostic rénal après une IRA n’est pas bon. Seulement la moitié à deux tiers des patients survivant d’une nécrose tubulaire aiguë ont une récupération complète de la fonction rénale. Le risque d’insuffisance rénale chronique résiduelle nécessitant éventuellement le recours ultérieur à l’hémodialyse itérative est plus fréquent chez les sujets âgés, les sujets diabétiques, ceux ayant une insuffisance rénale préalable, lorsque la période de traitement dialytique à la phase aiguë a été prolongée et enfin lorsqu’une néphropathie parenchymateuse glomérulaire ou vasculaire est en cause plutôt qu’une nécrose tubulaire aiguë. Dans une étude avec un recul de 5 ans, seulement 45 % des patients avec une insuffisance rénale aiguë récupèrent une fonction rénale totalement normale et 27 % des patients en moyenne nécessitent une hémodialyse chronique 5 ans après l’épisode aigu. Ce pourcentage est beaucoup plus important chez les patients ayant développé une IRA en rapport avec une cause glomérulaire ou vasculaire : 47 % en cas de néphropathie glomérulaire aiguë, jusqu’à 90 % en cas de néphropathie vasculaire aiguë.
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