L'alcalose métabolique est observée dans les situations cliniques qui favorisent à la fois la génération et la maintenance de l'alcalose métabolique. Ces situations cliniques peuvent être divisées en quatre grandes catégories :
En cas d'insuffisance rénale significative, la clairance du bicarbonate est diminuée et une alcalose métabolique sévère peut survenir après l'administration de bicarbonate exogène. Dans ce cas, il existe souvent la conjonction de plusieurs facteurs comme par exemple l'administration d'acétate ou de carbonate de calcium, voire une supplémentation en bicarbonate de sodium et une contraction volémique par les diurétiques.
L'insuffisance rénale joue également un rôle important dans la survenue de lalcalose métabolique par association dantacides et de résines échangeuses dion.
Une alcalose métabolique peut survenir lorsque de très grandes quantités de bicarbonate ou de n'importe quel anion organique sont administrées très rapidement ou lorsqu'il existe une diminution de la capacité d'excrétion du bicarbonate.
Une alcalose métabolique peut être ainsi induite par l'administration de larges quantités de bicarbonate de sodium, de citrate (transfusions de plus de 8 unités sanguines anticoagulées avec du citrate), ou encore l'administration de plasma frais congelé citraté, comme liquide de substitution pendant des échanges plasmatiques.
Ces situations sont caractérisées par une contraction du volume artériel efficace, une circonstance habituellement associée à une diminution de l'apport distal de sodium et une stimulation du système rénine-angiotensine par l'hypovolémie. Si en même temps l'apport distal de sodium est augmenté de façon inappropriée, comme par exemple avec un traitement diurétique, au cours du syndrome de Bartter et au cours des déficits en magnésium ou en raison de la présence dans le tube collecteur d'un anion faiblement réabsorbable, alors l'excrétion nette d'acide est stimulée et l'alcalose peut survenir.
L'alcalose métabolique post-hypercapnique est une situation au cours de laquelle l'hypercapnie chronique entraîne une alcalose métabolique compensatoire. Pendant cette période d'hypercapnie, la rétention rénale de bicarbonate s'associe à une chlorurèse qui est secondaire à la rétention de bicarbonate et à l'expansion volémique.
Plusieurs situations entraînent une alcalose métabolique avec contraction volémique d'origine extrarénale. Il s'agit essentiellement des pertes digestives, tels que les vomissements, l'aspiration naso-gastrique, l'adénome villeux du rectum, lachlorhydrie congénitale et une contraction volémique sévère. Dans toutes ces situations, l'alcalose aboutit à une fuite rénale de potassium et cette déplétion potassique contribue à la maintenance de l'alcalose métabolique.
2.4. Expansion volémique, hypertension artérielle et excès de minéralocorticoïdes
Ces situations cliniques sont caractérisées par une augmentation de l'activité minéralocorticoïde dite "primitive", c'est-à-dire persistant malgré une expansion du volume extracellulaire.
Sur une base clinique, trois sous-groupes peuvent être distingués selon le niveau de rénine et d'aldostérone circulante.
- Patients avec un hyperaldostéronisme secondaire à une rénine élevée. Ces conditions comportent la sténose de l'artère rénale, l'hypertension artérielle maligne et la tumeur sécrétant de la rénine (réninome).
- L'hypersécrétion d'aldostérone peut être primitive et associée à une suppression de la rénine plasmatique. Il s'agit de toutes les formes d'hyperaldostéronisme primaire lié à un adénome surrénalien (syndrome de Conn, une hyperplasie surrénale bilatérale, un cancer surrénal ou encore l'hyperaldostéronisme sensible à la dexaméthasone.
- Un troisième groupe de patients présente des signes d'activité excessive des minéralocorticoïdes mais liée à un agent autre que l'aldostérone. Dans ce cas, la rénine et l'aldostérone plasmatiques sont effondrées.
Il sagit des syndromes adrénogénitaux (hypersécrétion de désoxycorticostérone) et des syndromes de Cushing (hypersécrétion de cortisol), de toutes les situations s'accompagnant d'une diminution d'activité de la 11-béta-hydroxystéroïde déshydrogénase (syndrome d'excès apparent en minéralocorticoïdes). La diminution de l'activité 11-béta-HSD peut être soit génétique soit acquis notamment en présence d'un inhibiteur comme l'acide glycérrhétinique présent dans la réglisse, le zan, l'antésite.
Le syndrome de Liddle (ou "pseudo-hyperaldostéronisme") est une maladie génétique rare à transmission autosomique dominante liée à une mutation activatrice d'une sous-unité du canal épithélial sodium dans le tube cortical augmentant la réabsorption de sodium en échange de la sécrétion de potassium et de proton.
3. Evaluation du patient ayant une alcalose métabolique
L'étape initiale consiste en la réalisation des gaz du sang artériel pour vérifier l'existence d'une alcalose métabolique primitive plutôt que de la compensation d'une acidose respiratoire.
La deuxième étape consiste à évaluer les facteurs responsables de la maintenance de cette alcalose métabolique : insuffisance rénale, contraction volémique, hyperminéralocorticisme et augmentation du débit distal de sodium.
Cette étape nécessite donc l'évaluation du volume circulant efficace sur la base de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque et de leurs modifications au cours de l'orthostatisme. L'élévation de l'uricémie et du rapport urée/créatinine plasmatique sont également suggestifs de contraction volémique.
L'interprétation des électrolytes urinaires est très contributive. Les patients ayant une contraction volémique ont généralement une concentration urinaire abaissée de sodium et de chlore. Cependant la bicarbonaturie ou l'excrétion d'autres anions non réabsorbables peut augmenter la natriurèse même en présence d'une contraction volémique. Dans ce cas, la concentration urinaire de chlore est un indice plus spécifique.
Une concentration urinaire de chlore < 25 mmol/l, est fortement suggestive de contraction volémique. Lorsque la concentration de sodium est dissociée et élevée, il s'agit probablement d'une bicarbonaturie ou de l'excrétion urinaire d'un excès d'anions non réabsorbables. Un pH urinaire supérieur à 7 suggère une bicarbonaturie significative (génération extrarénale de bicarbonate liée à des vomissements, une aspiration naso-gastrique, une perte de chlore, une diarrhée dans un contexte clinique généralement évident). Un pH urinaire inférieur à 6,5 suggère au contraire la présence d'un anion non réabsorbable comme de l'hydroxybutyrate ou un antibiotique.
Une concentration urinaire de chlore élevée chez un patient ayant une contraction volémique suggère le rôle des diurétiques, d'un syndrome de Bartter ou de Gitelman, ou une déplétion en magnésium.
Si le patient a une hypertension artérielle et apparaît euvolémique ou en expansion volémique, une augmentation primitive des minéralocorticoïdes est plus vraisemblable. La détermination de la rénine et de l'adostérone plasmatique représente l'étape diagnostique suivante
4. Conséquences cliniques de l'alcalose métabolique
L'alcalose métabolique est généralement perçue à tort comme une condition bénigne alors quelle contribue significativement à la mortalité. L'alcalose déprime la respiration par un effet à la fois central et périphérique sur les chémorécepteurs. L'alcalose diminue loxygènation tissulaire par l'effet Bohr (qui déplace la courbe de dissociation en oxygène de l'hémoglobine en diminuant la capacité à relarguer l'oxygène dans les tissus périphériques).
De plus, l'alcalose est un vasoconstricteur puissant, diminuant la perfusion dans de nombreux organes tels que le cerveau, le rein, le coeur et la circulation périphérique. La vasoconstriction et l'hypoxémie induite par l'alcalose peuvent aboutir à une hypoxémie tissulaire critique et provoquer un angor même en l'absence de maladie coronaire sténosante. L'alcalose favorise la survenue d'arythmies cardiaques réfractaires aux anti-arythmiques usuels et ne répondant qu'à la correction de l'alcalose.
5. Traitement de l'alcalose métabolique
Le traitement de l'alcalose métabolique fait appel essentiellement à la correction du facteur responsable du maintien de lalcalose. Il est de plus souvent utile de corriger le facteur qui a généré cette alcalose.
En cas d'alcalose métabolique maintenue par la contraction volémique, l'administration de chlorure de sodium est efficace. Il est généralement souhaitable de corriger une carence en magnésium, une carence sévère en potassium (par du KCl), de supprimer lorsque c'est possible la source de l'excès en minéralocorticoïdes, d'arrêter un traitement diurétique ou une aspiration naso-gastrique.
Une alcalémie sévère définie par un pH sanguin > 7,60 et une bicarbonatémie > 45 mmol/l en présence dune réponse ventilatoire adaptée nécessite une intervention immédiate ayant pour but une correction au moins partielle de lalcalémie, les cibles étant une bicarbonatémie de 35-40 mmol/l correspondant à un pH sanguin de 7,50-7,55. Les alcalémies métaboliques les plus sévères sont généralement les formes associées à une contraction du volume extracellulaire par un déficit en chlore (pertes dacide gastrique et traitements diurétiques).
Lorsque la vitesse de correction de lalcalémie doit être accélérée, lexcès dalcalin peut être titré par ladministration IV dacide chlorhydrique. La perfusion par voie intraveineuse d'acide chlorhydrique (habituellement dilué dans une solution salée isotonique par ex. 100 à 200 mmol dhydrogène par litre) sur 8 à 24 heures représente une méthode sûre et très efficace de correction de lalcalémie métabolique. La solution doit être injectée par voie veineuse centrale car l'HCl est très corrosif. La quantité d'HCl nécessaire en mmol peut être estimée à partir de l'espace de distribution du bicarbonate que multiplie l'excès de bicarbonate (HCl en mmol = 0,5 x poids du corps x (delta concentration plasmatique de bicarbonate observée souhaitée).
Les précurseurs de lHCl ne devraient pus être utilisés en raison des risques importants : hyperkaliémie sévère avec lhydrochloride d'arginine ; hyperammoniémie et encéphalopathie hépatique avec le chlorure d'ammonium chez les patients avec une insuffisance hépatique.
Chez certains patients, avec une insuffisance cardiaque ou rénale ne permettant pas l'administration de chlorure de sodium ou dHCl le traitement est particulièrement délicat. Chez les patients en bilan sodé positif et dont l'alcalose de contraction se majore sous traitement diurétique par diurétique de l'anse, on peut recourir à un inhibiteur de l'anhydrase carbonique (acétazolamide, Diamox®). Le risque est l'aggravation de l'hypercapnie, en particulier chez des patients ayant une acidose respiratoire chronique. En cas de surcharge hydrosodée associée à une alcalose de contraction réfractaire il est souvent nécessaire de recourir à des techniques dépuration extrea-rénales pour corriger à la fois lalcalémie et la surcharge hydro-sodée.
Chez les patients avec une alcalose métabolique et une expansion volémique liée à un excès primitif de minéralocorticoïdes, il est nécessaire d'intervenir sur la cause de cette hyperactivité minéralocorticoïde. Quand cela n'est pas possible le traitement symptomatique fait appel à la spironolactone (Aldactone®) qui bloque compétitivement le récepteur aux minéralocorticoïdes, ou à un diurétique dit "épargneur du potassium" (amiloride, Modamide®) qui bloque le canal sodium épithélial dans le tube collecteur cortical