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Obésité et risque cardiovasculaire et rénal
mardi 16 septembre 2003
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L’excès de morbidité et de mortalité associé au surpoids et à l’obésité est connu depuis l’antiquité. Le surpoids se réfère à un poids supérieur aux valeurs « normales », ceci étant déterminé à partir des tables des compagnies d’assurances ou en calculant l’index de masse corporelle (IMC, défini comme le poids en kg divisé par la taille en mètre au carré). Le surpoids est défini par un IMC de 25 à 29.9 kg/m2, et l’obésité par un IMC supérieur à 30 kg/m2. Globalement l’excès de mortalité et de morbidité est proportionnel au degré de surpoids et de l’obésité. Nous étudierons les conséquences médicales du surpoids et de l’obésité en milieu néphrologique. Seront abordés successivement les conséquences dans la population générale, puis l’interaction entre obésité et certaines maladies rénales et enfin l’impact de l’obésité sur la survie en dialyse et en transplantation rénale. Surpoids, obésité et risques de santé dans la population généraleAux Etats-Unis, environ 300 000 morts par an sont attribuées à l’obésité. Plus de 80 % de ces décès surviennent chez des individus avec un IMC supérieur à 30 kg/m2. A noter également une interaction entre la mortalité et l’obésité, l’exercice physique et le contenu graisseux de l’organisme. Ainsi la diminution de l’exercice physique qui est présente chez environ 50 % des hommes obèses est un prédicteur indépendant de mortalité dans toutes les tranches d’IMC. La réduction de l’exercice physique augmente le risque relatif de mortalité avec la même amplitude que le diabète ou d’autres facteurs de risque cardiovasculaire, comme le tabagisme et l’hypertension artérielle. L’obésité et la distribution centrale des graisses sont associées à une augmentation de la morbidité outre celle de la mortalité. Une liste non exhaustive de ces complications attribuées à l’obésité est représentée dans le tableau 1.
Le diabète de type 2 est fortement associé à l’obésité dans tous les groupes ethniques. Plus de 80 % des cas de diabète de type 2 peuvent être attribués à l’obésité, ce qui signifie que l’obésité pourrait aussi être directement responsable de nombreux cas de mortalité survenant au cours du diabète. Le risque de diabète augmente avec le degré et la durée de l’obésité mais aussi le régime et la distribution centrale de la graisse. Le risque est maximal avec une combinaison d’obésité et de régime alimentaire de type occidental, c’est-à-dire riche en produits carnés et laitiers : le risque de diabète est multiplié par 10 à 12 avec un IMC supérieur à 30 par rapport à un IMC inférieur à 25. Inversement, la réduction pondérale s’associe à une diminution du risque de survenue d’un diabète de type 2. L’hypertension artérielle est souvent augmentée chez les sujets obèses avec une prévalence estimée de l’ordre de 50 %. On estime que le contrôle de l’obésité éliminerait environ 50 % des hypertendus chez des sujets de race blanche. Le risque d’hypertension artérielle est le plus important chez les sujets ayant une obésité centrale se traduisant typiquement par un rapport taille/hanches supérieur à 0,95 chez l’homme et 0,85 chez la femme. Le mécanisme reliant l’hypertension artérielle et l’obésité centrale n’est pas complètement établi. Un des mécanismes généralement avancé est l’insulino-résistance avec intolérance au glucose et augmentation des concentrations circulantes d’insuline. L’hyperinsulinémie pourrait augmenter la pression artérielle en favorisant l’activité sympathique, la réabsorption rénale de sodium et le tonus vasculo-constricteur. L’obésité est associée à de nombreux facteurs de risque d’athérosclérose et de maladies cardiovasculaires. Ces dernières comprennent notamment l’hypertension artérielle, l’insulino-résistance, l’intolérance au glucose, l’hypertriglycéridémie, les concentrations abaissées de cholestérol HDL et une hyperfibrinogénémie. L’obésité s’associe également à un risque augmenté d’insuffisance coronaire, d’insuffisance cardiaque et de mortalité cardiovasculaire. Le risque coronaire de l’obésité est indépendant de celui du diabète même si les deux conditions sont souvent associées. L’obésité centrale est davantage prédictive du risque coronarien que l’index de masse corporelle. Il existe une association importante entre l’obésité et l’insuffisance cardiaque. Dans l’étude Framingham Heart Study, le risque d’insuffisance cardiaque est augmenté d’un facteur 2 chez l’obèse (IMC > 30). Après ajustement pour les facteurs de risque établis, le risque d’insuffisance cardiaque augmente de 5 % en moyenne pour chaque augmentation de 1 kg/m2 d’IMC. Environ 11 % des cas d’insuffisance cardiaque chez l’homme et 14 % chez la femme peuvent être attribués à l’obésité isolée. Le mécanisme liant l’obésité et l’insuffisance cardiaque n’est pas connu mais pourrait passer par une augmentation du travail cardiaque et de la consommation d’oxygène. L’obésité et l’augmentation de poids corporel total sont associées à une augmentation parallèle du poids du cœur et à une hypertrophie ventriculaire gauche de type excentrique. Ces anomalies morphologiques et fonctionnelles cardiaques sont partiellement réversibles lors de la perte de poids et ceci indépendamment des variations tensionnelles associées à la réduction pondérale (Krauss, 1998). Enfin, l’obésité augmente le risque d’accident vasculaire cérébral d’origine ischémique (mais pas hémorragique). Cet effet est proportionnel à l’augmentation de l’IMC et indépendant des valeurs tensionnelles. Le risque relatif d’AVC chez les patients obèses est estimé de 2 à 2,5 fois plus important lorsque l’IMC dépasse 30 kg/m2. Le coût de l’obésité pour la santé publique est monstrueux. Le surcoût moyen chez les sujets obèses avec un IMC supérieur à 30 kg/m2 est de 25 % environ par rapport aux sujets ayant un IMC inférieur à 25. Le surcoût est essentiellement lié aux dépenses engendrées par les prises en charge de l’insuffisance coronaire, de l’hypertension et du diabète. Obésité et atteinte glomérulaireDepuis plusieurs décennies ont été rapportés des cas de syndrome néphrotique survenant chez des sujets obèses. Le plus souvent, il s’agit de patients avec une obésité morbide ayant une protéinurie abondante mais curieusement sans hypoalbuminémie, sans hyperlipidémie, sans œdème et une hypertension modérée (Praga, 1999). La biopsie rénale retrouve soit une glomérulosclérose focale, soit des lésions plus minimes sous forme d’hyperplasie mésangiale ou fusion des pédicelles. La réduction pondérale isolément, sans aucune autre intervention médicale, diminue habituellement la protéinurie. Cependant quelques patients développent une insuffisance rénale chronique parfois terminale. Ces observations ont été complétées par plusieurs publications récentes. Dans une série de plus de 6800 biopsies rénales comparées entre 1986 et 2000, la fréquence des glomérulopathies associées à l’obésité augmente de 10 fois de 0.2 à 2 % (Kambhan, 2001). L’indication de la biopsie dans ces cas était une protéinurie avec ou sans insuffisance rénale. La glomérulosclérose segmentaire et focale et une augmentation de volume du glomérule sont présentes dans 80 % des cas mais dans 20 % il n’existe qu’une augmentation isolée du volume glomérulaire. Des modifications "diabétoïdes" sont parfois rapportées, notamment une sclérose mésangiale focale modérée ou un épaississement focal des membranes basales glomérulaires et tubulaires. Dans une série cas-témoins de patients avec une glomérulosclérose segmentaire et focale, soit idiopathique chez des patients sans obésité, soit survenant chez des patients obèses, les différences principales notées sont les suivantes (Praga, 2001) : • les patients obèses ont une protéinurie en moyenne de 3,1 g/jour mais aucun n’a d’œdème, d’hypoalbuminémie ou d’hyperlipidémie sévère. • 40 % des patients obèses ont un syndrome d’apnée du sommeil et 26 % ont des anomalies de développement des reins sous la forme d’une agénésie ou d’une hypoplasie rénale unilatérale. • Après un suivi en moyenne de 6 ans, 50 % des patients ayant une glomérulosclérose associée à l’obésité ont développé une insuffisance rénale terminale. Le risque de progression est prédit par la valeur de créatinine plasmatique à la présentation. • Plusieurs patients ont été traités par des inhibiteurs de l’enzyme de conversion avec une baisse de la protéinurie au cours des 6 premiers mois, mais une remontée ultérieure jusqu’aux valeurs initiales après 12 mois de traitement, le plus souvent en parallèle avec une reprise du poids. Dans ces cas, le traitement IEC apparaît relativement peu réno-protecteur. Des cas de glomérulosclérose segmentaire et focale liée à l’obésité ont maintenant été rapportés dans des populations pédiatriques, chez des adolescents afro-américains avec une obésité majeure (IMC moyen 46). Parmi ces cas isolés, l’un d’entre-eux, un jeune patient de 15 ans a développé une insuffisance rénale terminale. Bien que la plupart des patients ayant une atteinte glomérulaire associée à l’obésité n’ont pas d’autres comorbidités, en revanche l’obésité pourrait représenter un facteur de risque additionnel chez des patients ayant des maladies rénales d’autre nature. Dans une série de 73 patients ayant eu une néphrectomie unilatérale, 92 % des 14 patients obèses (IMC supérieur à 30), développent une protéinurie ou une insuffisance rénale contre seulement 12 % des individus sans obésité. Ceci suggère que l’obésité est un facteur de risque important de développer une protéinurie et une insuffisance rénale après une réduction de la masse rénale fonctionnelle. Dans une autre série de 162 patients avec une néphropathie glomérulaire à dépôts mésangiaux d’IgA, les patients en surpoids (IMC > 25) ont plus de protéinurie, d’hypertension et des lésions histologiques plus avancées que les patients sans excès de poids. De même les patients en surpoids ont une survie plus défavorable qu’en l’absence d’un tel surpoids. L’IMC est un facteur de risque indépendant d’insuffisance rénale de même que l’hypertension artérielle et le score initial sur la biopsie rénale. Dans une autre série, il apparaît que le risque rénal associé à l’augmentation de l’IMC est surtout observé en cas d’obésité centrale par rapport aux obésités périphériques. Les mécanismes sous-tendant les modifications de l’atteinte glomérulaire au cours de l’obésité sont encore mal appréciés dans leur nature et surtout leur contribution respective. Il est vraisemblable que des facteurs hémodynamiques interviennent et en particulier il a été montré que les sujets obèses ont en moyenne une augmentation d’environ 50 % de la filtration glomérulaire et de 30 % du débit plasmatique rénal par rapport à des sujets sans obésité. La modélisation des clairances fractionnelles de dextrans polydispersés suggère une augmentation du gradient de pression hydraulique trans-capillaire et donc une transmission anormale de l’augmentation de la pression artérielle jusqu’aux capillaires glomérulaires à travers une artériole afférente dilatée. L’hypertension artérielle et l’hyperfiltration glomérulaire pourraient être favorisées par l’augmentation du volume plasmatique lui-même conséquence d’une augmentation de la réabsorption hydrosodée. L’hyperinsulinémie pourrait jouer un rôle important dans les mécanismes tubulaires sous-tendant cette augmentation de la réabsorption sodée. L’augmentation de volume glomérulaire est une caractéristique précoce de la glomérulosclérose segmentaire et focale associée à l’obésité, retrouvée dans un très grand nombre de cas. L’augmentation conjointe du diamètre glomérulaire et de la pression capillaire glomérulaire pourrait majorer la tension pariétale aboutissant à ces lésions de glomérulosclérose (loi de Laplace). Ces paramètres morphologiques et fonctionnels sont donc assez proches de ceux qui sont habituellement observés au cours du diabète de type 2. L’intervention de différents facteurs de croissance a été postulée dans ces lésions glomérulaires dont notamment l’angiotensine 2, l’insuline, la leptine, le TGF ? et même les estrogènes. La contribution respective, directe ou indirecte de ces différents facteurs de croissance reste pour le moment imprécise mais pourrait ouvrir des développements intéressants en terme de perspectives thérapeutiques. Enfin rappelons que, de façon un peu étonnante, l’obésité a été également associée à un risque augmenté de carcinome rénal. Dans plusieurs cohortes observationnelles de grande envergure, il existe une relation entre l’augmentation de l’IMC et le risque de survenue d’un cancer du rein, ceci indépendamment de l’augmentation de la pression artérielle (Chow, 2000). Bien que le mécanisme de cette association soit très incertain, la plausabilité épidémiologique de l’association semble être supportée par l’augmentation proportionnelle de l’IMC et de l’augmentation du risque. Obésité et survie en dialyseAlors que toutes les données épidémiologiques indiquent que l’obésité constitue un facteur de surmortalité et de surmorbidité dans la population générale, des constatations inverses ont été rapportées dans la population des patients dialysés. Ce paradoxe, parfois appelé "risque paradoxal en dialyse" ou "épidémiologie inverse", a également été rapporté pour d’autres facteurs de risque traditionnels, comme l’hypertension artérielle, l’hypercholestérolémie, ou l’augmentation des concentrations plasmatiques de la créatinine ou de l’homocystéine (Hakim, 1999). Les patients traités par hémodialyse ont habituellement un IMC plus bas que les sujets témoins appariés pour l’âge et le sexe de la population générale. L’absence d’augmentation du risque de mortalité chez les patients obèses, voire même une diminution du risque a été retrouvée dans de nombreuses études épidémiologiques mais pas toutes. Par exemple, une étude du groupe de Salahudeen a étudié une cohorte de 1300 patients hémodialysés pendant 12 mois et a montré que les patients en surpoids et/ou obèses avaient un taux de survie à 12 mois significativement plus élevé que les sujets avec un IMC normal ou abaissé (Fleischmann 1999). Dans cette étude, les patients en surpoids ont également un taux d’admission hospitalier inférieur et une durée plus courte des séjours. Cette étude est cependant limitée par son caractère observationnel et une forte prédominance d’afro-américains dans cette population. Dans une étude groupe de Kopple, l’influence des paramètres nutritionnels sur la survie a été déterminée chez près de 13 000 patients hémodialysés (Kopple, 1999). Cette étude rapporte également une diminution du taux de mortalité chez les patients ayant les poids les plus élevés et vice-versa. L’étude DOPPS (pour Dialysis Outcomes Practice Patterns Study) a comparé les pratiques de suivi chez près de 10 000 patients hémodialysés en Europe et aux Etats-Unis. Dans cette étude, le risque relatif de mortalité est significativement plus bas chez les patients en surpoids par rapport aux patients de poids normal et ceci à la fois dans les cohortes américaines et européennes (Leavey, 2001). Cet effet est globalement proportionnel aux variations de l’IMC avec le risque le plus important de mortalité pour des IMC inférieurs à 18 et les taux de mortalité les plus faibles pour un IMC supérieur à 33. Dans une autre large population de patients hémodialysés, Port et coll. ont retrouvé cette association entre l’IMC et le taux de survie : les patients avec l’IMC le plus bas ont un risque de mortalité plus important de 42 % que les patients dans le tertile supérieur d’IMC ce qui inclut à la fois les patients en surpoids et les obèses (Port, 2002). Si cette association inverse entre mortalité et obésité a été retrouvée dans plusieurs études, notamment nord-américaines, ce point n’est pas retrouvé de façon constante dans toutes les études. Dans une étude japonaise chez seulement 116 patients non diabétique mais avec un suivi pendant 12 ans, les patients ayant un IMC supérieur à 23 ont un taux de survie diminué par rapport aux patients avec un IMC de 17 à 19 (Kaizu 1998). De façon plus intéressante, le taux de survie en dialyse était également associé avec une diminution significative et progressive de l’IMC. Cette étude ne comporte qu’une petite cohorte mais le suivi est un des plus longs. Il est donc possible que les patients obèses aient un meilleur taux de survie à court terme mais pas forcément à plus long terme. D’autre part, l’effet de la race chez les asiatiques pourrait modifier les effets de l’obésité sur la survie telle que constatée dans d’autres populations. En France, Combes et coll. n’ont pas trouvé d’influence positive de l’IMC sur la survie à 2 ans dans une cohorte de plus de 1600 patients hémodialysés (Combe, 2001). Cependant, l’IMC moyen de la population était de 23, donc inférieur à celui rapporté dans la population américaine dialytique ou dans la population européenne de DOPPS. En dialyse péritonéale des constatations similaires ont été faites. Par exemple dans l’étude CANUSA, les index de malnutrition abaissés et un IMC bas sont fortement associés à une augmentation de la mortalité. Cependant, l’association d’un meilleur taux de survie et d’une augmentation de poids ou de l’IMC au dessus des valeurs normales n’est pas formellement établi dans cette population. Il est intéressant de noter que plusieurs facteurs confondants peuvent avoir influencer ces résultats et notamment la dose de dialyse et la race. Plusieurs études ont ainsi montré que la dose délivrée de dialyse habituellement évaluée par le KT/V est reliée de façon inverse à la taille corporelle, ce qui n’est pas surprenant étant donné que V, le volume de distribution des déchets azotés, est proportionnel à la surface corporelle est aussi le dénominateur du KT/V. Ainsi les sujets en surpoids ont-ils tendance à recevoir des doses de dialyse proportionnellement plus basses que les sujets de poids plus faible (Salahudeen, 1999). Le problème est encore compliqué par le fait que la validité de l’IMC comme index d’obésité n’a pas été formellement établie dans la population dialytique. Par exemple, une augmentation de l’IMC peut être associée aussi à la surcharge hydrosodée. D’autre part, chez les sujets véritablement obèses, le volume de distribution de l’urée pourrait être abaissé proportionnellement compte-tenu de l’augmentation de la masse graisseuse. L’effet de la race doit être également considéré. Les afro-américains ont paradoxalement une survie en dialyse généralement meilleure, malgré des doses de dialyse plus basses. Dans les études américaines comportant souvent une forte proportion d’afro-américains, ces patients qui ont en général un IMC plus élevé que les sujets "caucasiens" pourrait être un des facteurs confondants expliquant une meilleure survie. D’autres hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ce paradoxe. L’une d’entre elles fait intervenir la liaison entre l’état nutritionnel en général et l’obésité. Dans certaines études, les marqueurs biologiques de meilleur état nutritionnel sont plus souvent associés avec un IMC augmenté mais cette notion n’est pas retrouvée de façon constante dans toutes les études, notamment dans l’étude DOPPS (Leavey, 2001). D’autre part dans l’association meilleure survie et obésité, il n’apparaît pas clairement si cette association signifie que l’obésité est un facteur causal de protection chez les patients dialysés ou si elle ne constitue en réalité qu’un marqueur de relative bonne santé (non aggravation). Ainsi le syndrome MIA (Malnutrition, Inflammation, Athérosclérose) pourrait expliquer l’augmentation de mortalité chez les patients ayant un IMC très bas. Cependant l’explication inverse est moins claire pour rendre compte de la meilleure survie observée chez les sujets obèses. En tout état de cause, l’absence de diminution de l’IMC pendant le traitement dialytique pourrait représenter un facteur de non aggravation et expliquer l’association épidémiologique à un meilleur taux de survie. Notons également que ces différentes études n’ont pas pris en compte la mortalité précoce, ce qui peut avoir sous-estimé la mortalité associée à l’obésité ni l’effet du tabagisme qui est plus fréquent chez des sujets ayant un IMC abaissé. Enfin, l’obésité pourrait constituer un frein à la transplantation effective chez des patients inscrits sur la liste et augmenter artificiellement le nombre de malades dialysés obèses et en relativement bon état. Enfin toutes les études sur lesquelles repose ce paradoxe apparent sont des études par définition observationnelles. Il est peu vraisemblable qu’une étude d’intervention soit jamais réalisée pour démontrer l’effet de l’induction volontaire de surpoids ou d’obésité chez les patients dialysés et tester formellement la relation causale entre l’obésité et l’amélioration de la survie. Obésité et transplantation rénaleAu stade de la transplantation rénale, la relation paradoxale entre obésité et survie disparaît complètement et rejoint celle de la population générale. Une étude récente note que 60 % des sujets au moment de la transplantation sont en surpoids ou obèses avec une proportion qui est augmentée de 1997 à 2001 de 116 % (Friedman, 2003). Cette augmentation du taux d’incidence est grossièrement similaire à celle de la population générale et augmente avec l’âge, chez les femmes, chez les sujets diabétique de type 2, chez les sujets de race noire et au cours des dernières années. Les patients initialement en surpoids ou obèses sont ceux qui sont les plus à risque d’augmenter leur poids pendant la première année post-transplantation. Par ailleurs, l’augmentation de l’IMC est associée à un risque augmenté de perte du greffon et de néphropathie chronique d’allogreffe (Meier-Kriesche, 2002). Les perturbations associées à l’obésité comme l’hypertension et la dyslipidémie, de même que les altérations de la pharmacocinétique des médicaments immunosuppresseurs pourraient induire ou favoriser une insuffisance rénale progressive. Il existe par ailleurs probablement une interaction avec la masse adipeuse et l’efficacité de l’immunosuppression : l’obésité augmente ainsi le risque de rejet aigu après interruption sélective de la ciclosporine. Enfin, une inadéquation ("mismatch") entre le poids du donneur et celui du receveur pourrait jouer un rôle. Il a été ainsi récemment montré que la greffe de petit rein chez des patients avec une surface corporelle augmentée, en particulier des sujets en obésité morbide, augmente le risque de rejet d’allogreffe jusqu’à 5 ans après la transplantation (Kasiske 1997). Enfin, comme cela a été vu précédemment, l’obésité chez ces patients pourrait provoquer une atteinte glomérulaire associée à l’obésité. Les patients transplantés obèses ont une augmentation très significative du risque de mortalité morbidité cardiovasculaire. La mortalité cardiovasculaire est la cause la plus fréquente de décès chez les patients transplantés rénaux et l’obésité est habituellement associée à une constellation de complications cardiovasculaires : insuffisance coronaire, hypertension, diabète, dyslipidémie et accident vasculaire cérébral. Dans une étude nord-américaine, les receveurs d’un transplant rénal ayant un IMC supérieur à 30 kg/m2 au moment de la transplantation ont un risque relatif plus élevé de mortalité cardiovasculaire et de mortalité de toutes causes (Meier-Kriesche, 2002). La tendance au surpoids et à l’obésité ne doit pas être minimisée dans cette population parce que les taux de survie des greffons se sont améliorés au cours des dernières années. Si cette tendance épidémiologique se poursuit ceci pourrait conduire à une stagnation de la durée de survie des greffons, voire à une augmentation de la mortalité cardiovasculaire globale en transplantation. ConclusionL’obésité et le surpoids sont associés à un excès de morbi-mortalité essentiellement d’origine cardiovasculaire dans la plupart des populations (population générale, patients avec une néphropathie ou en transplantation rénale). La relation paradoxale retrouvée chez les patients dialysés entre l’obésité et une meilleure survie apparente traduit probablement des artéfacts épidémiologiques. Le combat contre le surpoids et l’obésité dans la population générale, chez les patients insuffisants rénaux et les transplantés doit rester un objectif prioritaire pour limiter les conséquences rénales et cardiovasculaires graves associées à un apport nutritionnel trop riche.
Post-scriptum :
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