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OBJECTIFS
  • Connaître les limitations de la protéinurie pour quantifier les anomalies fonctionnelles de la barrière de filtration
  • Comprendre les différents facteurs qui interviennent dans la filtration des macromolécules

 
NephroHUS Online PLAN DU CHAPITRE
 

1. Rappels sur la filtration glomérulaire

La paroi capillaire glomérulaire se comporte comme une membrane d'ultrafiltration de haute capacité. Chez l'homme, une ultrafiltration considérable de 150 litres /24 h est obtenue avec une pression d'ultrafiltration moyenne (Puf) inférieure à 10 mm Hg. En dépit d'une résistance très basse au passage de l'eau, la paroi capillaire glomérulaire constitue une barrière très efficace pour restreindre le passage de protéines de la taille de l'albumine et au-delà.

L'urine primitive obtenue par microponction du tube proximal initial a une composition proche de celle d'un ultrafiltrat idéal. La concentration dans l'espace de Bowman de substances ayant un rayon moléculaire (Stokes radius, rs) de la taille de l'inuline ou en-dessous (<1.6 nm), est pratiquement identique à celle du plasma. Par contre, la concentration de l'albumine dans la chambre urinaire est < 10 mg/l, une valeur 103 à 104 plus faible que la concentration plasmatique (40 g/l).

voir figure "Restriction à la filtration des protéines"

Le rapport de la concentration espace de Bowman sur plasma d'une macromolécule définit le coefficient de tamisage (CT) et représente le seul moyen adéquat de déterminer la perméabilité du capillaire glomérulaire à une macromolécule.

De nombreuses études ont permis de caractériser le CT de différentes protéines en échantillonant la partie la plus initiale du tube proximal et en corrigeant la concentration par la réabsorption d'eau obtenue à ce site. Ces études ont globalement permis d'établir deux notions importantes. D'une part, les protéines quelle que soit leur charge, ont un passage restreint (hindrance) directement proportionnel à leur taille, c'est-à-dire, que CT varie inversement avec rs. D'autre part, les protéines anioniques sont davantage restreintes que les protéines cationiques de rs équivalent.

voir la figure "Sélectivité de taille"
voir la figure "Sélectivité de charge"

Cette restriction à la fois de taille et de charge de la paroi capillaire glomérulaire vis-à-vis des protéines, s'explique par la structure physico-chimique de la barrière de filtration glomérulaire. Anatomiquement, la paroi capillaire glomérulaire est composée de 3 couches :

voir la photo "Anse capillaire"
voir la photo "Barrière de filtration"

  • un endothélium non-jointif, avec des fenestrations d'environ 70 nm,
  • une membrane basale constituée d'un gel glycoprotéique,
  • un épithélium formé de cellules podocytaires qui étendent des ramifications ("pédicelles"). Les digitations des pédicelles s'entrecroisent à la manière d'une fermeture-éclair et sont recouvertes d'une membrane de filtration elle-même perforée par des fentes rectangulaires d'environ 4 x 14 nm ce qui représente approximativement la dimension d'une molécule d'albumine en solution.
    voir la photo "podocytes"
    voir la photo "membrane de filtration"

La restriction de taille au passage des protéines se fait essentiellement au niveau de la membrane basale glomérulaire et de la membrane de filtration épithéliale. Par contre, la restriction de charge semble essentiellement liée à la présence de glycoprotéines polyanioniques de surface qui recouvrent l'ensemble des structures de la barière capillaire glomérulaire.

2. Limitations des protéines comme marqueur de la filtration glomérulaire

En pratique clinique, les microponctions ne sont évidemment pas possibles et seuls les prélèvements sanguins et urinaires sont accessibles. Le rapport urine/plasma des protéines est souvent utilisé par simplicité mais il ne permet pas une évaluation adéquate du coefficient de tamisage. Outre les erreurs déjà mentionnées, liées à leur charge anionique ou cationique, les protéines filtrées subissent un métabolisme tubulaire extensif.

La réabsorption tubulaire proximale des protéines se fait schématiquement selon deux mécanismes complémentaires. L'endocytose absorptive est un système à faible capacité, saturable par des concentrations luminales physiologiques d'albumine. Ce système est à haute affinité pour les protéines car les liaisons sont en partie dépendantes de la charge ; la réabsorption est ainsi facilitée pour les polypeptides de faible poids moléculaire et cationiques.

Inversement, l'endocytose dite de phase liquide est un système de haute capacité, pratiquement pas saturable mais de faible affinité. Ce type de réabsorption tubulaire des protéines filtrées est largement dépendant de la concentration ambiante des protéines dans le liquide tubulaire. Dans les deux systèmes, les protéines sont internalisées et subissent une dégradation lysosomiale.

Il est important de noter que c'est en raison cette faible sélectivité de la réabsoption tubulaire des protéines qu'il est possible d'évaluer approximativement la sélectivité glomérulaire par l'analyse de l'excrétion urinaire des protéines. La composition relative des protéines filtrées est en effet relativement conservée dans l'urine finale. Cependant, sur un plan quantitatif, la mesure du débit de protéine dans l'urine finale sous-estime systématiquement la quantité réelle des protéines filtrées. Cette erreur est d'autant plus nette lorsque la charge filtrée de protéines reste modeste par rapport aux capacités de réabsorption-dégradation du tube.

3. Marqueurs exogènes de la barrière de filtration glomérulaire

La clairance fractionnelle d'une macromolécule M est définie comme la clairance de M divisée par le débit de filtration glomérulaire de l'eau, celui-ci étant apprécié par la clairance de l'inuline. La clairance fractionnelle de M est donc :

CFM = CM/Cin = (U/P)M x (P/U)in

Si, et comme l'inuline, cette macromolécule n'est ni réabsorbée ni secrétée par le tube, la clairance fractionnelle de M est identique au rapport des concentrations de l'espace de Bowman sur plasma, c'est-à-dire le coefficient de tamisage CT. Trois macromolécules polymériques non protéiques ont été largement utilisées comme marqueurs d'étude de la barrière capillaire glomérulaire. Ces 3 macromolécules, la polyvinyl-pyrrolidone, le dextran (un polymère de glycopyranose) et le ficoll (un polymère de sucrose) ne sont ni réabsorbées ni secrétées par le tube. Ces macromolécules peuvent être polymérisées et chargées selon les besoins, ce qui permet d'étudier l'influence soit du poids moléculaire, soit de la charge nette sur la restriction au passage (hindrance) de la barrière glomérulaire.

Le recours à des solutions polydispersées de macromolécules non-chargées permet d'évaluer CT sur une variété étendue de poids moléculaires et en éliminant les conséquences d'interactions électrostatiques avec les polyanions de la paroi glomérulaire. La sélectivité de taille d'une macromolécule est ainsi étudiée par la relation entre CT et le rayon (rs) ou le poids moléculaire de cette macromolécule.

Cette relation a été étudiée chez l'homme essentielement avec des solutions de dextrans neutres polydispersés et dans de nombreuses situations physiologiques ou pathologiques. Une valeur de CT <1.0 signifie une restriction au passage transpariétal glomérulaire du dextran, ce qui survient à partir d'un rs de 2.8 nm et au-delà. Au fur et à mesure que rs augmente, CT décroît de façon monotone pour atteindre une valeur proche de 0 pour des rs d'environ 6.0 nm. Cette relation est profondément altérée au cours de diverses maladies rénales notamment glomérulaires.

voir la figure "Sélectivité de taille"

Au cours du syndrome néphrotique lié à une glomérulonéphrite extramembraneuse, le CT de dextran relativement perméant (rs < 4.6 nm) est nettement déprimé. Inversement, le coefficient de tamisage des dextrans volumineux faiblement perméant (rs > 5.0 nm) est augmenté. Il est intéressant de noter que chez les mêmes sujets reétudiés plusieurs mois plus tard en rémission partielle (protéinurie sans syndrome néphrotique), les anomalies du CT persistent : le CT des dextrans volumineux diminue sans se normaliser, le CT des dextrans perméants reste déprimé et inférieur à la normale. Ceci démontre que les propriétés fondamentales de la membrane restent perturbées malgré une apparente amélioration clinique.

4. Théorie des pores et sélectivité de taille

En terme biophysique, le transport de macromolécule à travers la barrière capillaire glomérulaire peut être décrit par un modèle hydrodynamique de transport de soluté restreint par des pores de contenu aqueux. Cette analyse élaborée par W. Deen et coll. permet, en utilisant une technique classique de modélisation de courbe, de rechercher la meilleure distribution de pore reproduisant les variations observées de CT.

Selon cette analyse théorique, la barrière capillaire glomérulaire est représentée le plus fidèlement par deux modèles de membrane hétéropore. Dans le modèle isopore + shunt, la majeure partie du capillaire glomérulaire est perforée par des pores cylindriques restrictifs de rayon uniforme. La surface totale de ces pores représente environ 10 % de la surface totale du capillaire glomérulaire. Une seconde population de pores de grande taille non-discriminants au passage de dextran volumineux jusqu'au rs de 6.0 nm constitue une voie de passage parallèle ("shunt") mais ne représente qu'une infime proportion des pores. Un autre modèle décrit de façon adéquate la barrière glomérulaire, comme une membrane perforée par une population de pores cylindriques dont le rayon est défini par une distribution lognormale continue. Pour expliquer le passage de dextran volumineux jusqu'à 6.0 nm, ce modèle doit aussi faire intervenir une voie de shunt à travers des pores non restrictifs et sans dimension.

En pratique, le modèle isopore + shunt est décrit par 2 paramètres : ro le rayon uniforme de pores restrictifs et wo un paramètre qui gouverne la fraction de filtrat empruntant la voie de shunt. Le modèle lognormal + shunt est caractérisé par r'o le rayon moyen et s la déviation standard de la distribution lognormale des pores restrictifs. En plus de ro et wo, ou ro', s et wo, la filtration de macromolécule est caractérisée par un coefficient d'ultrafiltration (Kf) et le rapport de la surface totale des pores sur la longueur de ces pores (S'/l). Si on admet que la variation de longueur des pores est négligeable au cours des maladies rénales, les variations de S'/l reflètent le nombre total des pores opérant dans tous les capillaires glomérulaires des 2 reins. Une approche du calcul des paramètres caractérisant la membrane permet en outre de séparer leurs effets sur CT de ceux des modifications purement hémodynamiques. Il est important de noter que ces modèles représentent une description "fonctionnelle" de la barrière de filtration. En raison des limitations actuelles de la microscopie électronique, il n'a pas été possible jusqu'à maintenant de mettre en évidence une correspondance anatomique à ces pores.

En reprenant l'analyse, selon le modèle hydrodynamique, du syndrome néphrotique compliquant une glomérulonéphrite extramembraneuse, on peut calculer que la dépression de CT des dextrans relativement perméants traduit une réduction d'environ 75 % de Kf, de la densité des pores (S'/l) et du rayon moyen des pores ro qui diminue de 5.3 à 3.9 nm.

Par contre, la fraction wo de filtrat par la voie de shunt augmente d'un facteur 8. Il est intéressant de noter que cette augmentation de wo permet d'expliquer quantitativement toute l'augmentation de la clairance fractionnelle de l'IgG chez ces patients néphrotiques. La CFIgG est en effet toujours inférieure à CT° (la clairance fractionnelle imputable à la voie de shunt). Puisque l'IgG est une grosse molécule (rs = 5.5 nm,), ceci suggère que l'IgG passe dans l'espace de Bowman quasi-exclusivement par la voie de shunt. En revanche, la clairance fractionnelle de l'albumine (CFalb) excède souvent CT°. L'albumine est une plus petite molécule (rs = 3.6 nm) probablement capable de traverser les pores restrictifs (ro = 5.4 nm). Le passage normal de l'albumine qui est une protéine anionique est normalement prévenu par la répulsion électrostatique de la barrière glomérulaire. Cependant à l'occasion d'une perte des charges négatives du glycocalix, il est vraisemblable qu'une quantité importante d'albumine peut traverser les pores restritifs.

Une autre constatation intéressante peut être faite chez les sujets ayant une glomérulonéphrite extra-membraneuse et en rémission partielle de syndrome néphrotique. Comme cela a été signalé plus haut, les CT ne sont pas normalisés chez ces patients en particulier pour les dextrans relativement perméants. Le modèle hydrodynamique indique dans cette condition la diminution de la densité de pore et la réduction du rayon des pores restrictifs, deux facteurs qui augmentent la résistance membranaire au passage de l'eau. Cette réduction persistante de Kf explique pourquoi ces patients gardent, malgré la rémission partielle, un débit de filtration glomérulaire effondré, à 50 % de la normale. Cette constatation est à rapprocher de la notion classique que les dépots extramembraneux persistent indéfiniment quelque soit l'évolution clinique apparente.

Par contre, l'abondance de la protéinurie chez ces malades dépend de la sévérité de l'altération de la voie de shunt. L'augmentation de la fraction de filtrat empruntant la voie de shunt explique l'accroissement massif de la charge filtrée et donc de l'excrétion urinaire de protéines. 

5. Conclusion

En conclusion, la sélectivité de la barrière de filtration glomérulaire et le coefficient de tamisage CT ne peuvent être correctement analysés par la clairance fractionnelle des protéines car celles-ci subissent des modifications tubulaires importantes. Inversement, l'utilisation de macromolécules exogènes non-chargées permet chez l'homme, d'évaluer la sélectivité de taille. L'application d'un modèle hydrodynamique permet en outre de décomposer le rôle respectif des altérations intrinsèques de membrane et des facteurs hémodynamiques dans les variations du coefficient de tamisage de macromolécules de poids moléculaire dispersé.

Pr T. Hannedouche


LECTURES RECOMMANDÉES
  1. Kanwar YS: Biophysiology of glomerular filtration and proteinuria. Lab Invest 51: 7-21, 1984
  2. Deen WM, Bridges CR, Brenner BM and Myers BD: Heteroporous model of glomerular size selectivity: application to normal and nephrotic humans. Am J Physiol 249: F374-F389, 1985

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Mise-à-jour :  Ven 5 mai 2000

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