Pour une substance librement filtrée et complètement éliminée par le rein, la clairance de cette substance (celle-ci est habituellement définie comme le volume de plasma virtuellement épuré de cette substance par unité de temps) est égale au débit de filtration glomérulaire. La clairance et donc le débit de filtration glomérulaire sont exprimés en ml/min.
Mesure de la filtration glomérulaire
La filtration glomérulaire peut être mesurée par la clairance dun marqueur (endogène ou exogène) à condition que celui-ci remplisse les conditions suivantes : marqueur inerte, filtré par le glomérule sans subir de retouche tubulaire et ayant une concentration plasmatique stable. Linuline (ou polyfructose, un sucre naturel atoxique de poids moléculaire 5.2 KD) est le marqueur habituel de référence.
La filtration glomérulaire mesurée par la clairance de linuline est de 130 ± 20 (SD) par minute et pour 1.73 m2 de surface corporelle. La correction par la surface corporelle est particulièrement utile chez l'enfant ou chez le sujet obèse.
Chez environ 2/3 des individus la filtration glomérulaire varie avec lâge et diminue progressivement de 1 ml/mn/année dâge après 40 ans. Ceci signifie en pratique que chez le sujet âgé de 80 ans, la filtration glomérulaire est de 60 ml/mn en moyenne ; cette valeur est souvent considérée comme "physiologique" pour lâge mais doit être considérée comme une véritable insuffisance rénale avec les conséquences classiques (nécessité dadapter la posologie des médicaments à élimination rénale, précautions demploi liées à la grande susceptibilité à la néphrotoxicité).
En pratique, la détermination de la filtration glomérulaire par la clairance de linuline nest pas réalisée facilement (mesures longues, techniques de dosages difficiles et coûteuses) et lon fait appel à la mesure de la clairance de la créatinine endogène.
La créatinine (PM 113 D) est un déchet métabolique azoté produit terminal du catabolisme de la créatine musculaire. Pour un individu donné, la production de créatinine est stable et dépend essentiellement de sa masse musculaire. La production et donc la concentration plasmatique de créatinine sont relativement constantes au cours du nycthémère (la fluctuation de concentration plasmatique est inférieure à 10 % sur 24 heures).
La clairance de la créatinine chez un sujet normal est denviron 120 ± 20 ml/mn et donc proche de la filtration glomérulaire mesurée par les techniques de référence. En fait, la clairance de la créatinine et la filtration glomérulaire par la clairance de linuline ne sont pas strictement identiques et le rapport Ccr/Cin est denviron 1,10 à 1,20 chez les sujets à fonction rénale normale.
Cette égalité approximative de la clairance de la créatinine et de celle de linuline résulte de 2 erreurs systématiques qui se corrigent mutuellement :
- la plupart des techniques de dosage colorimétrique de la créatinine plasmatique surestiment celle-ci en raison de la présence de substances chromogènes présentes dans le plasma (surestimation de 10 à 20 %)(voir le tableau "Facteurs influant la créatinine plasmatique").
- la créatinine excrétée dans lurine provient à la fois de la créatinine filtrée par le glomérulaire et de la créatinine sécrétée par le tube proximal (selon un processus de transport actif non spécifique et en compétition avec d'autres acides faibles organiques).
Cette surestimation à la fois du numérateur (U) et du dénominateur (P) explique que la clairance de la créatinine soit numériquement proche de la filtration glomérulaire chez le sujet à fonction rénale normale. Cette égalité nest pas plus vraie lorsque la fonction rénale est altérée et au cours de linsuffisance rénale car la fraction de créatinine sécrétée par le tube proximal augmente si bien que la clairance de la créatinine surestime systématiquement la filtration glomérulaire ; cette surestimation peut aller jusquà un facteur 2 lorsque la filtration glomérulaire est réduite à 10 à 20 % de la valeur normale (voir le tableau "Sécrétion tubulaire de la créatinine"). .
La clairance de la créatinine peut être facilement déterminée directement par la mesure de la concentration plasmatique et urinaire de créatinine ainsi que le débit précis urinaire sur 24 heures.
Technique de recueil correct des urines de 24 heures
- Vider la vessie à 8 h du matin et jeter les urines
- A partir de cette heure jusqu'au lendemain à 8 heures, recueillir toutes les urines dans le bocal.
- Pendant la période de collection, vider la vessie avant d'aller à la selle.
- Le lendemain à 8 h, vider la vessie et conserver les urines avec l'ensemble de la collection ; selon le cas, apporter la totalité des urines, ou seulement un échantillon (mais après avoir noté le volume total des urines émises).
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En fait, la principale cause derreur de cette mesure est liée au caractère incomplet du recueil urinaire ; un recueil urinaire incomplet peut être facilement détecté car la quantité de créatinine excrétée dans lurine est à peu près constante et équivalente à environ 0,2 mmol/jour/kg de masse maigre.
Ainsi chez un homme de 70 kg, la quantité urinaire de créatinine excrétée dans lurine est
Ucr x V = 0,2 x 70, soit environ 14 ml/jour.
Pour une femme de 60 kg, la valeur est de
Ucr x V = 0,2 x 60 x 0,85, cest-à-dire environ 10,2 ml/jour.
Le coefficient 0,85 est utilisé pour tenir compte des variations constitutionnelles de masse maigre entre les sexes.
Intérêts et limites de la créatinine plasmatique comme marqueur de la filtration glomérulaire
En raison de cette relative constance dexcrétion de la quantité excrétée de créatinine urinaire (UV), la créatinine plasmatique et la filtration glomérulaire sont inversement reliées selon une courbe hyperbolique inverse et la simple mesure de la créatinine plasmatique est utilisée comme un reflet de la filtration glomérulaire.
Les valeurs considérées comme normales de la créatinine plasmatique sont de 80 à 110 µmol/l chez lhomme (9 à 13 mg/l) et 60 à 90 µmol/l chez la femme (7 à 10 mg/l). Il faut retenir que la notion de "fourchettes de valeurs normales" est conceptuellement erronée. En effet pour un individu donné et en fonction de son sexe et de sa masse musculaire, il nexiste quune seule valeur de créatinine plasmatique normale. Par exemple chez une femme à poids constant, une créatinine plasmatique passant de 60 µmol à 90 µmol correspond à une réduction denviron 50 % de la fonction rénale.
En raison de cette relation hyperbole inverse entre la créatinine plasmatique et la filtration glomérulaire, la créatinine plasmatique représente un marqueur extrêment peu sensible dinsuffisance rénale débutante. On peut facilement observer sur la figure 1 quune créatinine plasmatique de 110 µmol/l, (valeur considérée comme la limite supérieure de la normale chez lhomme), peut correspondre à des filtrations glomérulaires variant entre 100 et 20 ml/mn selon les individus (et leur masse musculaire).
Par contre, en cas d'insuffisance rénale avancée, le créatinine plasmatique est un marqueur sensible de modification de la filtration glomérulaire. Dans ce cas en effet, si le DFG diminue de 50 %, la Pcr est multiplié par 2. Par exemple si le DFG diminue de 50 à 25 ml/min, Pcr augmente de 200 à 400 µmol/l et reste stable à ce niveau. Un nouvel état d'équilibre est atteint pour lequel, l'excrétion urinaire de créatinine (UCr x V) est inchangée. Il faut noter que 3 jours environ sont nécessaires à l'obtention d'un nouvel état d'équilibre (une Pcr stable). Dans une condition de variation rapide de la fonction rénale (insuffisance rénale aiguë), les modifications de Pcr peuvent survenir à distance de la lésion rénale.
Pour mieux rendre compte de la relation créatinine plasmatique-filtration glomérulaire et pour dautre part tenir compte de la masse musculaire et éviter les erreurs liées à un recueil urinaire, il a été proposé destimer la clairance de la créatinine à partir de formules. La plus utilisée et la mieux validée de toutes ces formules est celle proposée par Cockcroft et Gault en 1976. La clairance de la créatinine estimée selon la formule de Cockcroft et Gault est :
COcr = a x 140 - âge) x PDC / Pcr
Lâge est exprimé en année, le poids du corps (PDC) en kg et Pcr (créatinine plasmatique) en µmol/l, a est un coefficient = 1,05 chez la femme et 1,25 chez lhomme pour tenir compte des différences de masse musculaire.
Par exemple, un homme de 40 ans, pesant 75 kg, une Pcr de 100 µmol/l correspond à un DFG de 100 ml/min. La même Pcr chez une femme de 60 ans pesant 60 kg correspond à un DFG de 48 ml/min, soit une fonction rénale réduite de moitié.
Cette formule a l'avantage essentiel de ne pas nécessiter de recueil urinaire. Cette formule a été validée dans un grand nombre de circonstances cliniques. Elle nest pas utilisable chez lenfant, la femme enceinte, la cirrhose décompensée (ascite) et probablement les obésités monstrueuses. Les valeurs normales de clairance de la créatinine estimées sont en cours dévaluation mais une valeur inférieure à 80 ml/mn traduit une insuffisance rénale avec une grande sensibilité.
Dautre limitations à lutilisation de la créatinine plasmatique doivent être soulignées. Il sagit essentiellement de situations où la créatinine plasmatique augmente sans variation concomitante de la filtration glomérulaire, situation appelée "pseudo-insuffisance rénale". Cette situation se rencontre dans au moins 3 circonstances (voir le tableau "Facteurs influant la créatinine plasmatique") :
- production augmentée de créatinine (rhabdomyolyse massive, ingestion de viandes bouillies riches en créatine),
- substances diminuant la sécrétion tubulaire de créatinine (cimétidine, Tagamet® et trimethoprime, Bactrim®).
- substances interférant avec le dosage de la créatinine plasmatique: acide acéto-acétique au cours de lacidocétose ; acide ascorbique (vitamine C) ; certains antibiotiques, comme la céphoxitine (Mefoxin®) ou la flucytosine (Ancotil ®).
Place du dosage de lurée sanguine pour lévaluation de la fonction rénale :
L'urée est un catabolite azoté terminal de petit PM (60 D) qui traverse librement les membranes cellulaires. L'urée diffuse passivement depuis le liquide tubulaire vers les capillaires péritubulaires, si bien que la clairance de l'urée est inférieure au DFG. La réabsorption d'urée dépend étroitement du débit intratubulaire d'eau ; quand le débit urinaire est faible, la réabsorption passive augmente et la clairance diminue en conséquence. La concentration plasmatique d'urée est de 3-7 mmol/l. La concentration plasmatique d'urée dépend de trois facteurs : 1) la fonction rénale (le DFG) ; 2) le débit urinaire ; 3) la production d'urée qui varie elle-même selon l'apport protidique alimentaire et le catabolisme protéique.
Lurée plasmatique est inversement reliée à la filtration glomérulaire. Cependant, la fonction rénale ne représente quun parmi plusieurs déterminants de la concentration plasmatique durée. Il existe un grand nombre de situations dans lesquelles lurée plasmatique varie sans changement notable de filtration glomérulaire :
- Hyperproduction durée lors dun régime riche en protide ou lors des catabolismes tissulaires (traumatisme musculaire, saignement digestif, traitement glucocorticoïde, etc&).
- Réabsorption passive durée (débit urinaire faible, déshydratation et contraction volémique).
- En l'absence de ces différents facteurs, il est par contre possible d'estimer l'apport protidique alimentaire à partir de la quantité d'urée excrétée dans l'urine (Uurée x V).
En pratique clinique, lurée plasmatique ou sanguine constitue un marqueur à la fois trop peu sensible et trop peu spécifique pour dépister une insuffisance rénale ou suivre lévolution de celle-ci. Le dosage isolé de lurée sanguine na aucun intérêt et doit être remplacé systématiquement par celui de la créatinine qui a une meilleure valeur.
Le dosage de lurée en pratique clinique na dintérêt quassocié à celui de la créatinine dans le cas dune insuffisance rénale dont on souhaite savoir si elle est fonctionnelle ou organique. En effet, le rapport urée/créatinine plasmatique molaire normal est denviron 50. Lorsque ce rapport U/C plasmatique devient supérieur à 100, lélévation disproportionnée de lurée sanguine par rapport à celle de la créatinine doit faire rechercher soit une hyperproduction durée, soit une insuffisance rénale fonctionnelle (lurée, petite molécule facilement diffusible est réabsorbée passivement dans la médullaire rénale dans toutes les situations à débit urinaire faible).