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5.12 Hypernatrémie - Déshydratation intra-cellulaire
(Q 219)
mardi 16 mai 2000
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L’hypernatrémie est définie par une augmentation de la concentration plasmatique de sodium au-dessus de 145 mmol/l. Le sodium est un soluté imperméable, qui contribue à la tonicité et induit des mouvements d’eau à travers les membranes cellulaires. L’hypernatrémie implique constamment une hyperosmolalité hypertonique toujours responsable de déshydratation intracellulaire. L’hypernatrémie est fréquente chez des patients hospitalisés, souvent de cause iatrogène. La gravité, liée à la déshydratation cérébrale et/ou au collapsus circulatoire, peut engager le pronostic vital. Certaines des complications les plus graves ne sont pas liées à l’hypernatrémie elle-même mais à son traitement inapproprié. 1. Signes cliniques Les manifestations cliniques sont essentiellement neurologiques et d’autant plus sévères que l’augmentation de la natrémie est importante ou rapide (sur qq heures)
Chez l’enfant les symptômes consistent en polypnée, faiblesse musculaire, agitation, des pleurs avec une tonalité aiguë caractéristique, insommnie, léthargie et même coma. Les convulsions sont typiquement absentes sauf dans le cas d’une surcharge sodée inadvertente ou de réhydratation aggressive. Les sujets âgés ont généralement peu de symptômes tant que la natrémie reste < 160 mmol/l. Une soif intense peut être présente initialement mais se dissipe rapidement avec la progression de l’hypernatrémie (elle est absente chez les patients avec hypodipsie). Le degré d’altération de la conscience est corrélé avec la sévérité de l’hypernatrémie. Faiblesse musculaire, irritabilité, confusion et coma sont parfois les manifestations de maladies associées plutôt que liées à l’hypernatrémie elle-même
La diminution du volume cérébral induite par l’hypernatrémie peut causer une rupture des veines cérébrales avec la constitution d’hémorragie focale intracérébrale et méningée et la survenue de lésions neurologiques irréversibles. Chez les patients ayant une hyperosmolalité prolongée, un traitement agressif avec des solutés hypotoniques peut causer un oedème cérébral responsable de coma, convulsions et décès. La mortalité de l’hypernatrémie dépend beaucoup de la vitesse de survenue et du terrain sous-jacent. Chez l’enfant la mortalité de l’hypernatrémie chronique est d’environ 10% mais augmente considérablement dans les formes aiguës avec des séquelles neurologiques chez 2/3 des survivants. Chez l’adulte la mortalité au cours de l’hypernatrémie chronique > 160 mmol/l est d’environ 60% et augmente à 75 % en cas d’hypernatrémie aiguë. 2. Causes des hypernatrémies Une hypernatrémie prolongée peut difficilement survenir chez des sujets normaux parce que l’augmentation de la tonicité plasmatique stimule à la fois la libération d’hormone antidiurétique et la soif. Ce système de régulation est si efficace que l’osmolalité plasmatique est maintenue dans des valeurs très étroites de 1 à 2 % malgré des variations très larges de l’apport en sel et en eau. L’hypernatrémie survient donc essentiellement chez des patients qui n’ont pas d’accès à de l’eau libre ou dont les reins sont incapables de conserver l’eau. Schématiquement les hypernatrémies peuvent être classées en 3 catégories selon le mécanisme et le contenu en sodium de l’organisme (tableau 1).
Tableau 1 : Principales causes des hypernatrémies
2.1. Pertes de fluides hypotoniques La perte d’eau sans solutés, si elle n’est pas compensée, aboutit à l’élévation de la concentration plasmatique de sodium. C’est essentiellement la composition en sodium + potassium du fluide perdu qui détermine l’effet final sur la natrémie. Ainsi une perte de liquide dont la concentration de sodium + potassium et l’osmolalité sont proches de celles du plasma, entraîne une déplétion volémique et en potassium mais n’a pas d’effet direct important sur la concentration plasmatique de sodium. En revanche une perte de liquide très hypotonique est responsable d ’une perte d’eau et sodium avec une perte d’eau relativement plus importante et peut alors entraîner une hypernatrémie et une hypovolémie (déhydratation extracellulaire associée). Les principales causes d’hypernatrémie par pertes hypotoniques sont :
2.2. Surcharges en soluté salé hypertonique Ce sont les moins fréquentes. Une hypernatrémie aiguë et souvent marquée ( 175 - 200 mmol/l) peut être induite par l’administration de solutés salés hypertoniques. Ceci survient : au cours des intoxications, accidentelles ou non, chez l’enfant (biberons salés), au cours de la perfusion de bicarbonate de sodium hypertonique pour traiter une acidose métabolique ou un arrêt cardio-respiratoire lors de l’ingestion massive de sel chez des sujets ingérant des solutés émétiques très richement concentrés en sel.
L’hypernatrémie dans ce cas se corrige spontanément si la fonction rénale est normale car l’excès en sodium est rapidement éliminé dans l’urine. Ceci peut être facilité en induisant une diurèse hydrosodée par un diurétique de l’anse et en remplaçant le volume urinaire uniquement avec de l’eau. Une correction trop rapide doit cependant être évitée si les patients sont asymptomatiques. Le risque de développer un oedème cérébral pendant la correction est cependant limité car l’hypernatrémie est généralement extrêmement aiguë et laisse peu de temps pour une adaptation cérébrale. Même avec un traitement optimal, le taux de mortalité est extrêmement élevé chez l’adulte ayant une natrémie qui a augmenté de façon aiguë au-delà de 180 mmol/l. L’hypernatrémie semble par contre mieux tolérée chez les jeunes enfants. 2.3. Pertes d’eau pure ( diabètes insipides) La plupart des patients ayant une hypernatrémie secondaire à une perte d’eau pure apparaissent plutot normovolémiques parce que la perte d’eau sans sodium n’induit pas une hypovolémie marquée. [1]
2.4. Diabètes insipides 2.4.1. Diabète insipide central (DIC) Le DIC est lié à un déficit de sécrétion en hormone antidiurétique. Cette affection le plus souvent idiopathique (50%), est probablement liée à des lésions auto-immunes des cellules produisant l’ADH ou peut être induite par un traumatisme, une chirurgie hypophysaire ou une encéphalopathie hypoxémique ou ischémique. Une rare forme de DIC héréditaire autosomique dominante est liée à des mutations inactivatrices du gène de la vasopressine. Une forme autosomique recessive encore plus rare est associée à une diabète, une atrophie optique et une surdité (syndrome de Wolfram). 2.4.2. Diabètes insipides néphrogéniques (DIN) héréditaires Le diabète insipide néphrogénique héréditaire est une maladie rare aboutissant à une résistance variable à l’effet de l’ADH. Il y a deux récepteurs différents à l’ADH, les récepteurs V1 et V2. L’activation des récepteurs V1 induit une vasoconstriction et une stimulation de la production de prostaglandines alors que les récepteurs V2 sont responsables de l’effet antidiurétique, de la vasodilatation périphérique et de la libération du facteur VIII et du facteur Von Willebrand à partir des cellules endothéliales.
Le diabète insipide néphrogénique héréditaire est dans sa forme habituelle (90% des cas) transmis selon un mode lié à l’X. Les anomalies génétiques sont représentées par des mutations ou délétions du gène du récepteur V2 aboutissant généralement à une réponse défectueuse. En raison de l’atteinte spécifique sur le récepteur V2, c’est la réponse antidiurétique, vasodilatatrice et des facteurs de la coagulation qui est anormale dans cette affection alors que la vasoconstriction et la libération de prostaglandines sont inaltérées. En raison du caractère de transmission lié à l’X, les jeunes garçons tendent à avoir une polyurie plus marquée. La présentation clinique est celle d’une déshydratation sévère avec hypernatrémie, vomissements, fièvre et une urine qui reste hypo-osmolaire. Ces jeunes garçons ont habituellement un retard de croissance ainsi qu’un retard mental. Une hydronéphrose et une dilatation de l’ensemble de l’appareil urinaire sont relativement fréquentes. Les femmes porteuses sont habituellement asymptomatiques mais peuvent occasionnellement manifester une polyurie sévère. Ces femmes symptomatiques sont hétérozygotes pour la mutation et l’expression clinique est liée à une activation aléatoire dans certaines cellules ou tissus du chromosome X normal permettant l’expression du gène mutant. Les différentes mutations ont un effet variable sur le degré de résistance à l’ADH. Certaines femmes avec une résistance partielle à l’ADH peuvent être asymptomatiques la plupart du temps mais développer un syndrome polyurique à l’occasion d’une grossesse lorsque les vasopressinases placentaires augmentent significativement la clairance de l’ADH endogène.
Cette forme de DIN beaucoup plus rare (10% des DIN héréditaires) est transmise selon un mode autosomique récessif et correspond à des mutations du gène de l’aquaporine 2 qui affectent le fonctionnement de la réabsorption de l’eau. Les effets extrarénaux médiés par le récepteur V2 (vasodilatation et libération du facteur VIII et du facteur von Willebrand à partir des cellules endothéliales) restent normaux chez ces patients, ce qui permet de faire une distinction clinique relativement simple avec les formes plus habituelles de mutation sur le gène du récepteur V2. Pour les deux formes de DIN héréditaires, les traitements pharmacologiques ou hormonaux sont inefficaces. L’apport en osmoles alimentaires doit être maintenu le plus faible possible (régime sans sel). Les diurétiques thiazidiques diminuent le volume urinaire par le biais d’une contraction des volumes extracellulaires et d’une augmentation de la réabsorption proximale tubulaire de sodium et d’eau. L’addition d’amiloride à l’hydrochlorothiazide est habituellement utile pour corriger l’hypokaliémie. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont généralement efficaces et bien tolérés. Une augmentation de l’osmolalité urinaire de 50 à 200 mosmol/kg est très importante en pratique car cela permet une réduction substantielle du débit urinaire de 10 - 12 litres à seulement 3 - 4 litres par jour. 2.4.3. Diabètes insipides acquis Les DIN acquis sont beaucoup plus fréquents que les formes héréditaires.
Un diabète insipide néphrogénique modéré est relativement fréquent dans la mesure où presque tous les patients âgés ou avec une insuffisance rénale chronique ou aiguë ont une réduction de la capacité maximale de concentration des urines. Cette anomalie n’est pas suffisamment sévère pour induire une polyurie même si certains patients peuvent se plaindre de nycturie.
Une polyurie survient chez environ 20 % des patients traités de façon chronique par le lithium et 30 % supplémentaires ont des anomalies infracliniques de la concentration des urines.
Des anomalies de la concentration peuvent devenir cliniquement apparentes lorsque la calcémie reste constamment au-dessus de 2,75 mmol/l (110 mg/l). Le défaut de concentration induit par l’hypercalcémie est généralement réversible avec la restauration d’une concentration plasmatique normale de calcium. Cependant le défaut peut persister chez les patients ayant une néphropathie interstitielle induite par une néphrocalcinose.
La capacité de concentration peut être altérée par une hypokaliémie sévère persistante (kaliémie inférieure à 3 mmol/l). Cependant le défaut de concentration est généralement moins sévère qu’au cours de l’hypercalcémie ou de l’intoxication par le lithium et une polyurie et une polydypsie symptomatiques sont relativement rares.
Un diabète insipide néphrogénique symptomatique est une manifestation relativement peu fréquente de plusieurs maladies interstitielles rénales (drépanocytose, l’amylose et le syndrome de Sjögren). Certains médicaments autres que le lithium sont des causes peu fréquentes de diabète insipide néphrogénique. Ces médicaments comprennent notamment le sidofovir et le foscarnet (Foscavir®) qui sont utilisés pour traiter les infections à cytomégalovirus chez les patients HIV. 3. Diagnostic étiologique La cause de l’hypernatrémie est habituellement évidente à partir de l’histoire clinique. Si cependant l’étiologie est peu claire, le diagnostic peut être habituellement établi par l’évaluation du volume extracellulaire, complété par une simple mesure de l’osmolalité urinaire pour apprécier l’intégrité de l’axe rein hormone anti-diurétique.
Une diurèse osmotique liée à l’augmentation d’excrétion de solutés urinaires (glucose ou urée dans la plupart des cas) est responsable de polyurie. Outre la recherche de glucose et d’urée dans les urines, la diurèse osmotique peut être confirmée par la mesure de l’excrétion totale de solutés (Uosm x volume urinaire). La valeur normale en régime habituel est de 600 à 900 mosmol/jour, composée essentiellement de sodium, de potassium, de sels d’ammonium et d’urée. Une valeur supérieure à 1000 mosmol/jour suggère une contribution ou la responsabilité d’une augmentation de l’excrétion de solutés urinaires. Les patients avec une diurèse osmotique et une hypernatrémie ne répondent pas à l’ADH exogène dans la mesure où la réponse endogène est déjà maximale.
Chez un patient hypernatrémique, l’épreuve de restriction hydrique est inutile et dangereuse. [2]L’évolution de l’osmolalité urinaire après injection d’ADH exogène (DDAVP 10 µg par inhalation, Minirin ®) est suffisante pour assurer le diagnostic. Schématiquement :
Les différentes caractéristiques cliniques et biologiques de la diurèse osmotique, des DI et de la polydipsie primitive sont représentées dans le Tableau 2. Tableau 2 : Principales caractéristiques diagnostiques des polyuries
4. Traitement des hypernatrémies Les 2 principes généraux du traitement des hypernatrémies sont :
La voie d’administration préférée est orale ou par sonde nasogastrique. Les liquides hypotoniques doivent être privilégiés (eau pure, glucosé 5 %, soluté salé quart- (2,25 ‰) ou semi-isotonique (4,5 ‰). Plus le liquide est hypotonique plus les volumes administrés sont limités ce qui réduit le risque d’oedème cérébral. Le déficit en eau peut être estimé par la formule suivante : déficit en eau = contenu en eau de l’organisme x [(natrémie observée /140) - 1] Le contenu en eau représente habituellement 60 et 50 % du poids total respectivement chez l’homme et la femme. Chez les patients hypernatrémiques déplétés en eau, il est préférable de choisir des valeurs diminuées de 10 %. Cette formule estime seulement la quantité d’eau à ajouter pour permettre le retour à une natrémie de 140 mmol/l. Ceci ne tient pas compte des pertes supplémentaires hypotoniques qui peuvent perpétuer l’hypernatrémie.
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T. Hannedouche
[1] Déshydratation et hypovolémie sont souvent confondues mais ne sont pourtant pas synonymes stricto sensu. La déshydratation extracellulaire est une perte iso-osmotique d’eau et de sel qui représente la principale cause d’hypovolémie. Les pertes iso-osmotiques d’eau et de sel proviennent essentiellement du compartiment extracellulaire alors que les pertes d’eau pure (déshydratation) proviennent de l’eau totale de l’organisme dont seulement 40 % est extracellulaire. Ainsi pour qu’une déshydratation par perte d’eau pure (avec hypernatrémie) produise le même degré de déplétion volumique extracellulaire qu’une perte iso-osmotique d’eau et de sel, il faut qu’une quantité 2 fois et demi plus importante de fluide ait été perdue. [2] Le test de restriction hydrique en mileu spécialisé et sous stricte surveillance peut s’avérer utile dans le diagnostic d’un syndrome polyuro-polydipsique sans hypernatrémie ou avec une hypernatrémie très modeste. Outre le diagnostic différentiel des 2 formes de diabète insipide central ou néphrogénique, ce test permet d’éliminer un autre diagnostic différentiel important : la polydipsie primitive avec polyurie d’entrainement. Au cours de la polydipsie primitive, la polyurie est une réponse appropriée à l’augmentation de l’apport en eau. |
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