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L'insuffisance rénale aiguë (IRA) est caractérisée par une détérioration de la fonction rénale survenant sur une période de quelques heures ou quelques jours et aboutissant à l'incapacité par le rein à éliminer des déchets métaboliques terminaux, notamment azotés et à maintenir l'homéostasie hydroélectolytique.
Traitements de l'insuffisance rénale aiguë
Lanalyse critique de leffet des différentes thérapeutiques employées au cours de lIRA, est très difficile étant donné la diversité des étiologies, des circonstances de survenue, des situations cliniques rencontrées au cours des nécroses tubulaires aiguës, des comorbidités, etc.... Deux notions capitales doivent cependant être retenus :
- la récupération de la fonction rénale est meilleure lorsque la diurèse est conservée, témoin de lésions rénales moins sévères ;
- le moment de lintervention thérapeutique est fondamental : plus cette action est précoce, meilleur est le pronostic rénal en distinguant, les interventions prophylactiques (les plus efficaces), les interventions à la phase initiale (48 premières heures) et celles effectuées lorsque linsuffisance rénale aiguë est constituée (peu ou pas deffet).
Au cours de lIRA, trois types daction thérapeutiques sont utilisées : pharmacologique, nutritionnel et dialytique. Dans ce chapitre sera principalement laspect pharmacologique.
1) Expansion volémique
Au cours de lIRA, avant toute intervention thérapeutique, la volémie doit être appréciée et toute hypovolémie doit être corrigée. Lappréciation du volume extra-cellulaire nest pas toujours aisée cliniquement et peut nécessiter le recours à des explorations hémodynamiques invasives (pression veineuse centrale voire artérielle pulmonaire). Tout retard à la correction dune déplétion volémique peut conduire à la constitution dune insuffisance rénale aiguë organique.
Dans la plupart des études cliniques, la correction dune déplétion volémique et même une hyperhydratation lorsque ceci est possible, est la mesure la plus efficace pour prévenir une nécrose tubulaire aiguë. En phase pré-opératoire, notamment au cours de la chirurgie aortique et des pathologies biliaires obstructives, la réhydratation adéquate diminue lincidence de l'oligurie et de lIRA. Au cours des écrasements musculaires, une hydratation massive avec du soluté salé, associé à une diurèse alcaline forcée induite par du mannitol et du bicarbonate, réduit la toxicité rénale de la myoglobine, lorsque ce traitement est débuté avant la décompression des membres écrasés. La baisse du débit sanguin rénal que lon observe au cours des états septiques nécessite également une restitution volémique.
Lhydratation seule est plus efficace que lassociation de celle-ci avec du mannitol ou du furosémide pour prévenir lIRA à liode chez les malades en insuffisance rénale chronique. Enfin, au cours de la transplantation rénale, plusieurs études montrent quune expansion volémique adéquate avant lacte opératoire, diminue lincidence des nécroses tubulaires aiguës post-ischémiques.
Cette expansion volémique est obtenue avec du soluté salé à 9 0 associé ou non à des solutés de remplissage vasculaire. Les solutés de remplissage à base d'amidon substitué sont moins bien tolérés sur le plan rénal que les gélatines modifiées au moins en post-transplantation rénale. Le débit de perfusion est variable, fonction de la clinique et de la pression veineuse centrale et notamment de la reprise ou non de la diurèse. La reprise dune excrétion sodée urinaire sans développement doedèmes (surveillance du poids) constitue un critère de bonne évolution.
2) Mannitol
Le mannitol est un agent osmotique qui inhibe la réabsorption tubulaire deau et de sel et diminue les capacités de concentration et de dilution du rein. Par son effet diurétique, il pourrait prévenir lobstruction tubulaire et par son effet osmotique limiter loedème et la destruction cellulaire.
En clinique, le mannitol a été proposé dans diverses situations. Au cours de la chirurgie cardiaque et vasculaire et de la chirurgie biliaire, le mannitol a souvent été utilisé, mais lincidence de lIRA nest pas réduite. En transplantation rénale, le mannitol semble diminuer lincidence de lIRA post-ischémique. Enfin, bien que le mannitol employé seul nai pas defficacité prouvé dans ces conditions, il est souvent préconisé avec dautres agents pharmacologiques dans le traitement du crush-syndrome et pour prévenir l'effet néphrotoxique du cisplatine. Dans tous ces cas il est cependant difficile de séparer l'effet lié au mannitol de celui propre de l'hydratation.
Pour traiter une oligurie, les doses recommandées sont de 50 à 200 g par jour sous la forme de solutions à 15 ou 20 % perfusées sur 24 heures. Pour induire une diurèse, des doses uniques de 12,5 g sont préconisées.
Plusieurs complications sont décrites au cours de lutilisation de ce produit : linsuffisance cardiaque avec oedème aigu pulmonaire notamment chez les malades anuriques, la déplétion volémique et lhypernatrémie. Des concentrations plasmatiques de mannitol supérieures à 10 g/l ou une dose administrée supérieure à 200 g par jour, exposent les malades à une IRA.
Cette dernière est rapidement réversible après hémodialyse qui permet dépurer le mannitol. L'IRA aux produits de contraste iodés chez les diabétiques insuffisants rénaux chroniques est aggravée lorsque le mannitol est utilisé préventivement. Enfin, des hyperkaliémies ont été décrites conséquences de lhyperosmolalité plasmatique.
3) Diurétiques de lanse
Les diurétiques de l'anse augmentent le débit sanguin rénal et le débit urinaire et préviennent lobstruction tubulaire, inhibent la réabsorption tubulaire active au niveau de lanse de Henle et diminuent ainsi la consommation d'oxygène dans les cellules tubulaires médullaires.
Les diurétiques de lanse sont utilisés depuis plus de 30 ans mais il nexiste toujours pas de preuve de leur efficacité prophylactique au cours de lIRA. Dans les deux seules études disponibles concernant la prévention de l'IRA secondaire aux produits de contraste iodés, lemploi du furosémide est délétère.
A la phase précoce de linsuffisance rénale aiguë, le furosémide a peu ou pas deffet sur lévolution de lIRA, mais il peut, lorsquil est employé dans les 24 heures qui suivent linstallation de linsuffisance rénale, permettre le passage dune IRA anurique à une IRA à diurèse conservée. Une méta-analyse suggère ainsi que la survie des patients est plus élevée lorsque ceux-ci ont une réponse initiale aux diurétiques. Cependant la réponse au diurétique prédit seulement un meilleur pronostic en rapport avec une forme moins sévère d'IRA et il nest pas démontré que la conversion d'une forme oligurique en une forme non-oligurique diminue en soit la mortalité. Dans l'état actuel des connaissances, l'utilisation des diurétique de l'anse est seulement justifiée à la phase initiale de l'IRA pour augmenter le débit urinaire et faciliter la balance hydrique. Aucun bénéfice n'est démontré en terme de recours à l'hémodialyse, de durée de l'IRA et de mortalité.
Le mode dadministration du furosémide en bolus ou en continu est toujours débattu. Après une hydratation adéquate, laction des diurétiques de lanse étant dose-dépendante, nous préconisons une titration progressive. Nous débutons à la dose de 2 mg/kg en intra-veineux pour une durée de 60 minutes, en labsence deffet les doses sont augmentées à 5 mg/kg au cours de la deuxième heure. A lissue de cette augmentation progressive et en cas d'échec, le traitement est interrompu après un essai dassociation avec la dopamine à la dose de 1,0-2,0 µg/kg/minute (compte tenu de la synergie possible de ces deux produits)
Les effets secondaires de ces traitements diurétiques sont peu nombreux. Utilisés à haute dose et/ou en association avec les aminoglycosides, ils exposent à une ototoxicité (0,2 %) qui semble dépendante du débit de perfusion en particulier lorsque celui-ci est supérieur à 4 mg/minute. Il est possible également que le furosémide augmente le risque de nécrose tubulaire secondaire aux aminoglycosides ou aux céphalosporines.
4) Dopamine "à dose rénale"
A faible dose (0,5-2,0 µg/kg/min.) la dopamine active les récepteurs dopaminergiques des vaisseaux rénaux et mésentériques et augmente le débit sanguin rénal ainsi que la filtration glomérulaire chez les sujets sains. Leffet natriurétique est essentiellement tubulaire. A la dose de 2,0-5,0 µg/kg/min. la dopamine active également les récepteurs adrénergiques beta et pour des doses supérieures à 5,0 µg/kg/min. l'effet adrénergiques alpha apparait. Une partie de l'effet rénal de la dopamine est expliqué par son effet inotrope sur le débit cardiaque et la pression artérielle. Cependant, les effets vasodilatateurs de la dopamine n'ont jamais été rigoureusement démontrés chez les patients en IRA chez lesquels l'autorégulation circulatoire rénale est perturbée et la vasodilatation rénale déjà maximale. La notion de dose rénale reste mal définie car il existe de grandes variations inter-individuelles de réponse et un chevauchement important et variable entre les doses utilisées et les récepteurs activés. Il n'y a pas vraiment de concentration seuil en-dessous de laquelle seuls les récepteurs dopaminergiques sont activés si bien aucune dose de dopamine n'est spécifiquement une "dose rénale".
Aucune étude clinique contrôlée n'a démontré le bénéfice de l'utilisation de la dopamine "à dose rénale" dans le cadre de lIRA. Par contre des risques bien réels liés à l'emploi de dopamine sont rapportés, notamment tachyarythmie, shunt pulmonaire et nécrose digitale ou intestinale.
Dans l'état actuel des connaissances, le recours à la dopamine (à la dose de 0,5-2,0 µg/kg/min.) doit être limité aux patients qui restent oliguriques après un remplissage vasculaire approprié et une absence de réponse au traitement diurétique. En cas d'échec de cette association, la dopamine et le diurétique doivent être arrétés rapidement. En cas de réponse à l'association, la dopamine peut généralement être arrétée après 24 heures d'utilisation.
5) Bloqueurs des canaux calciques
L'augmentation du calcium libre intracellulaire peut contribuer à la vasoconstriction dans les cellules musculaires lisses vasculaires et pourrait également contribuer à la toxicité épithéliale et à l'ischémie cellulaire. Les bloqueurs des canaux calciques semblent utiles dans certaines variétés dIRA, notamment après transplantation rénale où ces bloqueurs réduisent l'incidence de la nécrose tubulaire et l'incidence de la reprise retardée de fonction rénale. Il n'est pas certain que ces bénéfices puissent être extrapolée à d'autres formes d'IRA car les calcium-bloqueurs diminuent l'effet vasoconstricteur de la cyclosporine et du tacrolimus tout en favorisant leurs effets immunologiques favorables. Dans la mesure où les bloqueurs de canaux calciques favorisent également l'hypotension et donc la diminution de la perfusion rénale, leur utilisation n'est pas justifiée dans la plupart des formes dIRA post-ischémique.
6) Les peptides natriurétiques
A la suite d'études expérimentales favorables, le recours aux peptides natriurétiques dérivés de l'ANP (peptide natriurétique atrial) a été étudié dans les IRA ischémiques ou toxiques. La plupart des études cliniques ne retrouvent pas d'effet favorable de l'utilisation de l'ANP à l'exclusion peut-être du sous-groupe de patients oliguriques. A la suite de ces études négatives, le développement de l'Anaritide, un analogue de lANP, a été récemment abandonné.
Prise en charge de l'insuffisance rénale aiguë
1) Principes généraux
Les soins initiaux des patients ayant une IRA sont centrés sur la correction des causes sous jacentes et la correction des anomalies hydro-électrolytiques. Tous les efforts doivent être faits pour prévenir des lésions rénales supplémentaires et assurer des mesures symptomatiques jusqu'à la récupération de la fonction rénale. L'administration de substances néphrotoxiques doit être interrompue ou évitée. L'hyperkaliémie peut être traitée par des résines échangeuses d'ions, du glucose-insuline, la correction de l'acidose et lorsque l'hyperkaliémie est réfractaire au traitement médical ou menaçante par dialyse. Lorsque l'acidose métabolique est liée à lIRA, l'administration de bicarbonate de sodium est le plus souvent utile. Les doses des médicaments éliminés par le rein ou par la dialyse doivent être ajustées selon les besoins. L'anémie doit être corrigée mais la réponse à l'érythropoïétine est souvent différée. Les anomalies de la fonction plaquettaire liées à l'urémie prédisposent au saignement. Ces anomalies hémorragiques peuvent être corrigées par la transfusion érythrocytaire, les analogues de la vasopressine, les estrogènes conjugués et la dialyse. L'efficacité de ces interventions est cependant variable. En dehors de la maladie sous-jacente, la cause la plus fréquente de mortalité au cours de lIRA est actuellement le sepsis, si bien que des efforts importants doivent être faits pour prévenir et traiter les complications infectieuses.
2) Traitement dialytique
Le traitement dialytique reste l'essentiel du traitement symptomatique de lIRA sévère. Les indications classiques de la dialyse aiguë sont représentées par la surcharge volumique, l'hyperkaliémie, l'acidose métabolique ainsi que des signes d'urémie sévère. Le traitement dialytique a été pendant longtemps assuré sous la forme d'hémodialyse intermittente et depuis quelques années, par des techniques de dialyse dites continues. Les avantages allégués de la dialyse continue par rapport à la dialyse intermittente sont représentés par une meilleure stabilité hémodynamique et peut-être chez les patients dans un contexte de sepsis ou de défaillance multiviscérale une déplétion des cytokines potentiellement délétères. Un autre avantage potentiel des techniques continues est la possibilité d'administrer des apports nutritionnels sans limitation de volume. Les inconvénients des techniques continues sont représentés par le besoin en anticoagulation prolongée et une surveillance constante et sophistiquée. Il n'existe pas pour le moment d'essai prospectif randomisé validant la supériorité des techniques de dialyse continue par rapport à la dialyse intermittente.
La dialyse péritonéale peut s'avérer une alternative intéressante pour le traitement de lIRA notamment chez des patients en instabilité hémodynamique ou lorsque le matériel d'hémodialyse fait défaut. Le choix de ces différentes techniques est basé actuellement essentiellement sur des préférences individuelles, la disponibilité des matériels et la stabilité hémodynamique du patient.
Il n'y a actuellement pas de consensus sur le moment optimal et la fréquence avec laquelle il est nécessaire de dialyser les patients en IRA. Les résultats des études proposant une dialyse précoce et/ou intensive sont encore divergents.
IRA prolongée ou persistante
La récupération de la fonction rénale peut être retardée chez certains patients qui restent infectés et hypercataboliques ou qui subissent des épisodes répétés dischémie rénale et/ou dadministration de néphrotoxiques. Dans ces situations, lIRA est liée à une nécrose tubulaire mais la régénération des cellules tubulaires et donc la guérison ne peut avoir lieu.
Les épisodes dhypotension notamment per-dialytiques doivent être soigneusement prévenus. Les biopsies rénales répétées ont montré que les chutes tensionnelles per-dialytiques pouvaient pérenniser les lésions de nécrose tubulaire et donc prolonger la durée de lIRA.
L'effet du choix de la membrane de dialyse sur la morbidité et la mortalité au cours de lIRA continue à être débattu. Les membranes de dialyse à base de cellulose sont utilisées depuis de nombreuses années mais leur interaction avec le sang produit une activation intense du système complémentaire et la libération de cytokines. Celles-ci favorisent la sur-expression de certaines molécules d'adhésion aux leucocytes qui sont responsables d'une séquestration pulmonaire, d'une hypoxémie et d'une neutropénie transitoire et peut être dune inflammation rénale. Deux études prospectives chez des malades en IRA suggèrent que lhémodialyse intermittente avec des membranes synthétiques "biocompatibles" est associée à une meilleure récupération de la fonction rénale et une diminution de la mortalité par comparaison avec lutilisation de membranes en cuprophane. Bien que ce point ne soit pas définitivement établi, il est vraisemblablement préférable d'utiliser des membranes synthétiques lorsque l'hémodialyse s'avère nécessaire chez des patients en IRA.
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