Dans un grand nombre de désordres cliniques, les pertes liquidiennes entraînent une déplétion du volume extracellulaire. Une déplétion volémique sévère peut entraîner une diminution de la perfusion tissulaire et évoluer vers le choc potentiellement fatal.
1. Etiologie
Une déplétion volémique résulte primitivement d'une perte d'eau et/ou de sodium à partir des sites anatomiques suivants :
Chaque jour environ 3 à 6 litres de fluides sont sécrétés par l'estomac, le pancréas, la vésicule biliaire et l'intestin dans la lumière du tube gastro-intestinal. Presque tout ce fluide est réabsorbé avec seulement 100 à 200 ml perdus dans les selles. Cependant une déplétion volémique peut survenir lorsque la réabsorption est diminuée, comme par exemple lors d'une aspiration digestive ou au cours de vomissements ou encore lorsque la sécrétion est augmentée.
Un saignement aigu en n'importe quel point du tube digestif est également une autre cause fréquente de déplétion volumique.
En condition normale, l'excrétion rénale de sodium et d'eau est ajustée pour équilibrer les apports. Chez un adulte normal, environ 60 litres sont filtrés dans les glomérules dont 98 à 99 % sont ensuite réabsorbés par les tubes avec un débit urinaire d'environ 1 à 2 litres par jour, égal aux apports. Il en résulte qu'une réduction minime de la réabsorption tubulaire de 1 à 2 % peut aboutir à une augmentation de 2 à 4 litres de l'excrétion d'eau et de sodium.
Les causes les plus fréquentes d'excrétion urinaire excessive de NaCl et d'eau sont l'administration de diurétiques et la présence de solutés non réabsorbés dans l'urine, comme le glucose au cours du diabète déséquilibré.
Des pertes de sodium d'importance variable sont également présentes à l'occasion de différents maladies rénales. La plupart des patients avec une insuffisance rénale (filtration glomérulaire en-dessous de 25 ml/mn) sont incapables de conserver le sodium lorsqu'ils sont placés brutalement à un régime désodé. Ces patients ont une perte obligatoire de sodium de 10 à 40 mmol/jour à l'inverse des sujets normaux qui peuvent diminuer l'excrétion urinaire de sodium jusqu'à aussi peu que 5 mmol/jour. Dans certains cas relativement peu fréquents, une perte plus importante de sodium entraîne une fuite urinaire obligée qui peut dépasser 100 mmol de sodium et 2 litres d'eau quotidiennement. Dans ce contexte, l'hypovolémie survient si les patients ne sont pas placés sous un apport sodé important. Cette situation se rencontre au cours des néphropathies avec perte de sel, généralement des néphropathies tubulo-interstitielles, notamment la néphronophtise.
Une déplétion volémique peut également survenir lors d'une augmentation sélective de l'excrétion urinaire d'eau qui n'est pas remplacée par un apport adéquat. Une augmentation des pertes d'eau libre est liée à une diminution de la réabsorption d'eau dans le tube collecteur où l'hormone antidiurétique favorise la réabsorption d'eau mais pas de sodium. Les anomalies soit de la sécrétion d'ADH (diabète insipide central) soit de la réponse rénale à l'ADH (diabète insipide néphrogénique) sont responsables de l'excrétion de quantités relativement importantes d'eau, jusqu'à 10 litres par jour dans les cas les plus sévères. Ces pertes d'eau sont habituellement balancées par une augmentation équivalente de l'apport en eau car l'élévation initiale de l'osmolalité plasmatique et de la concentration plasmatique de sodium stimule la soif. Cependant des pertes d'eau et une hypovolémie ainsi qu'une hypernatrémie persistante peuvent survenir chez des enfants, chez des patients comateux qui n'ont pas d'accès facile à l'eau ou lorsqu'il existe un mécanisme de la soif défectueux comme chez les sujets âgés.
Chaque jour environ 700 à 1000 ml d'eau sont perdus par évaporation cutanée et du tractus respiratoire. Quoique la production sudorale soit faible à l'état basal, celle-ci peut dépasser 1 à 2 litres par heure chez un sujet soumis à un exercice en climat chaud et sec. Une balance hydrique négative liée à ces pertes est habituellement prévenue par le mécanisme de la soif de façon analogue au diabète insipide. Cependant des pertes cumulées sudorales de sodium peuvent entraîner une hypovolémie. La peau intervient comme une barrière prévenant la perte de fluide interstitiel dans l'environnement extérieur. Lorsque cette barrière cutanée est interrompue par des brûlures ou des lésions cutanées exsudatives, des quantités importantes de fluide peuvent être perdues. Quoique rares, les pertes pulmonaires autres que celles liées à l'évaporation peuvent entraîner une déplétion volémique. Ceci survient essentiellement chez les patients qui sont soumis à une aspiration continue d'un épanchement pleural se reproduisant, généralement d'origine maligne ou d'un carcinome alvéolaire avec une augmentation marquée des sécrétions bronchiques.
Une déplétion volémique peut être induite par la perte de fluide interstitiel et intravasculaire dans un 3ème compartiment qui n'est en équilibre avec les fluides extracellulaires. Par exemple, un patient avec une fracture de hanche peut perdre 1500 à 2000 ml de sang dans les tissus adjacents à la fracture. Bien que ce fluide va être réabsorbé dans le liquide extracellulaire sur une période de quelques jours à semaines, la réduction aiguë du volume sanguin peut, si elle n'est pas remplacée, entraîner une déplétion volémique sévère. D'autres exemples comprennent notamment les obstructions intestinales, la pancréatite aiguë sévère, des lésions d'écrasement, des saignements, notamment rupture d'anévrysme de l'aorte abdominale ou lors de traumatisme, péritonite et obstruction d'un tronc veineux profond.
2. Manifestations cliniques de la déplétion volémique
Une anamnèse précise et l'examen clinique permettent généralement détablir à la fois la présence et la cause d'une déplétion volémique. Par exemple, une histoire de vomissements, de diarrhées, d'utilisation de diurétiques pour une polyurie peuvent identifier facilement la source de liquide perdu.
Trois ensemble de symptômes peuvent survenir chez les sujets hypovolémiques :
- ceux liés à la déplétion volémique elle-même,
- ceux reliés au type de liquide perdu,
- ceux liés aux désordres hydroélectrolytiques et acide base qui accompagnent la déplétion volémique.
Les symptômes induits par l'hypovolémie sont essentiellement liés à la diminution de la perfusion tissulaire. Les signes les plus précoces comportent lassitude, fatigabilité, soif, crampes musculaires et vertiges posturaux. Une déplétion volémique plus sévère peut entraîner des douleurs abdominales, thoraciques, une léthargie, un syndrome confusionnel lié à l'ischémie des territoires mésentériques, coronaires ou cérébraux respectivement. Tous ces symptômes sont habituellement réversibles sauf si une nécrose tissulaire se développe lorsque le bas débit est persistant.
Une hypovolémie symptomatique survient le plus souvent chez les patients ayant une déplétion iso-osmotique en sodium et en eau et chez lesquels la plupart du déficit hydrique provient du fluide extracellulaire. Par comparaison parmi les patients ayant une perte d'eau isolée liée à des pertes insensibles ou un diabète insipide. L'osmolalité plasmatique et la concentration de sodium augmentent entraînant un mouvement d'eau selon le gradient osmotique depuis l'intérieur des cellules vers le secteur extracellulaire. Le résultat est que environ 2/3 des pertes d'eau proviennent du compartiment intracellulaire. Ces patients développement donc des symptômes liés à l'hypernatrémie bien avant ceux liés à la déplétion marquée des fluides extracellulaires.
Plusieurs types d'anomalies hydroélectrolytiques et acide-bases peuvent survenir selon la composition du fluide perdu. Les symptômes les plus sérieux et anomalies associées sont les suivantes :
- faiblesse musculaire liée à l'hypokaliémie ou l'hyperkaliémie.
- polyurie et polydypsie liée à l'hyperglycémie ou une hypokaliémie sévère,
- léthargie, confusion, convulsions et coma liés à l'hyponatrémie, à l'hypernatrémie ou l'hyperglycémie.
2.2. Examen physique
Quoique relativement insensibles et non spécifiques certains éléments de l'examen clinique peuvent suggérer la déplétion volémique. Une diminution du volume interstitiel peut être détectée par l'examen cutané des membranes muqueuses. Une diminution de la volémie entraîne une réduction de la pression artérielle systémique et de la pression veineuse dans les veines jugulaires.
La diminution du liquide interstitiel diminue la turgescence et l'élasticité cutanée normale et lorsqu'elle est pincée, la peau revient plus lentement à sa position. Chez les sujets jeunes, la présence d'une diminution de la turgescence cutanée est un indicateur fiable de déplétion volémique. Chez le sujet âgé, ce n'est pas le cas, car l'élasticité cutanée diminue avec l'âge. Chez ces patients, l'élasticité cutanée est généralement mieux préservée au niveau des hanches et de la peau recouvrant le sternum. Une diminution de la turgescence à ces sites est plus suggestive de déplétion volémique. Inversement, une turgescence cutanée normale ne permet pas d'exclure une hypovolémie, notamment au cours des déplétions volémiques modérées chez les patients très jeunes dont la peau est élastique et chez les patients obèses. La sécheresse cutanée en particulier au niveau axillaire est également suggestive de déplétion volémique. Les muqueuses orales, labiales peuvent également être sèches dans la mesure où les sécrétions salivaires sont habituellement diminuées dans cette circonstance. L'examen de la peau peut également être utile au cours de l'insuffisance surrénale. L'hypersécrétion d'ACTH secondaire à l'hypocortisolisme augmente la pigmentation de la peau, notamment au niveau des creux palmaires et des muqueuses buccales.
Les modifications de la pression artérielle dépendent du degré de l'hypovolémie. La pression artérielle est pratiquement normale pour une hypovolémie modérée, inférieure à 10 %. L'hypotension démasquée initialement en position orthostatique, puis avec l'aggravation de la déplétion volémique persiste même en clinostatisme lorsque l'hypovolémie s'aggrave. Une hypotension orthostatique avec vertiges peut être la principale manifestation clinique et hautement suggestive d'hypovolémie en l'absence de neuropathie végétative ou de traitement antihypertenseur par des adrénolytiques.
Au cours d'une déplétion volémique marquée, la vasoconstriction d'origine neuro-hormonale diminue l'intensité des sondes de Korotkow lorsque la pression artérielle est mesurée avec un sphygmomanomètre ou par le pouls radial. Ainsi une pression artérielle très basse suggérée par l'auscultation ou la palpation radiale peut en fait correspondre à une pression artérielle presque normale lorsque celle-ci est mesurée directement par un cathéter intra-artériel. Il faut noter enfin que la définition d'une pression artérielle normale dans ce contexte dépend essentiellement des valeurs initiales du patient. Une valeur de pression artérielle de 120/80 mmHg est considérée comme normale mais est en réalité basse chez un patient hypertendu dont la pression artérielle est habituellement à 180/100 mmHg.
La réduction du volume vasculaire observée au cours de l'hypovolémie survient essentiellement dans la circulation veineuse qui contient normalement 70 à 80 % du volume sanguin. L'hypovolémie est donc associée à une diminution de la pression veineuse et la mesure de celle-ci est importante pour confirmer le diagnostic d'hypovolémie et pour apprécier l'efficacité du remplacement volémique. La pression veineuse peut être estimée indirectement par l'examen de la veine jugulaire externe chez des patients semi-allongés. Cette technique approximative n'est pas très fiable si bien que la pression veineuse doit être mesurée le plus souvent directement par la mise en place d'un cathéter dans la veine jugulaire interne proche de l'oreillette droite. La pression veineuse normale est de 1 à 8 cm d'eau ou 1 à 6 mmHg (1 mm de Hg = 1,36 cm d'eau) si bien qu'une valeur basse isolée peut être normale et n'établit pas nécessairement le diagnostic d'hypovolémie.
Cest la pression ventriculaire télédiastolique gauche et non pas la pression auriculaire droite qui est le principal déterminant du débit ventriculaire gauche et donc de la perfusion tissulaire. La mesure de la pression veineuse centrale est utile parce qu'il existe une relation directe entre celle-ci et la pression télédiastolique ventriculaire gauche. Il existe cependant 2 circonstances cliniques au cours desquelles la pression veineuse centrale ou auriculaire droite n'est pas un indice précis de la pression télédiastolique du ventricule gauche :
- chez les patients ayant une insuffisance cardiaque gauche isolée, la pression capillaire pulmonaire bloquée est augmentée mais la pression veineuse centrale reste inchangée si la fonction ventriculaire droite est normale. Dans ce contexte, traiter une pression veineuse centrale basse par des expanseurs volémiques peut précipiter la survenue de l'oedème pulmonaire.
- La pression veineuse centrale tend à dépasser la pression télédiastolique ventriculaire gauche et les patients ayant une insuffisance cardiaque droite isolée (par exemple coeur pulmonaire). Ces patients peuvent avoir une pression veineuse centrale élevée même en présence d'une déplétion volémique. Dans ce cas, la pression veineuse centrale ne peut être utilisée comme un guide au traitement.
3. Anomalies biologiques
L'hypovolémie peut produire un grand nombre de modifications de la composition du sang et de l'urine. Outre la confirmation de la déplétion volémique, ces modifications peuvent donner des indices étiologiques importants.
La réponse rénale à la déplétion volémique est de conserver l'eau et le sel pour essayer de maintenir le volume extracellulaire. A l'exception des désordres au cours desquels la réabsorption du sodium est altérée, la concentration urinaire de sodium au cours des états hypovolémiques est inférieure à 25 mmol/l et peut même s'abaisser jusqu'à 1 mmol/l. Les valeurs supérieures à 25 mmol/l ne permettent pas d'exclure l'hypovolémie, notamment dans les situations où la réabsorption d'eau est proportionnellement encore plus importante que celle de sel.
La concentration urinaire de chlore est habituellement parallèle à celle du sodium au cours des états hypovolémiques car le sodium et le chlore sont généralement réabsorbés ensemble. Une exception est liée à l'excrétion de sodium avec un autre anion. Ceci est généralement observé au cours des alcaloses métaboliques au cours desquelles l'excrétion du bicarbonate en excès sous forme de bicarbonate de sodium augmente la concentration urinaire de sodium malgré la déplétion volémique. Dans ce contexte, la concentration urinaire de chlore reste basse et est habituellement un meilleur indice de la volémie. Ainsi la concentration urinaire de chlore doit être mesurée chez tout patient apparemment hypovolémique avec une concentration urinaire de sodium semblant élevée de façon inappropriée.
Une alternative à l'évaluation de la concentration urinaire de sodium est de calculer la fraction d'excrétion du sodium qui évalue directement le comportement rénal du sodium et n'est pas affecté par le volume urinaire. La fraction d'excrétion du sodium est surtout utile dans le diagnostic différentiel de l'insuffisance rénale aiguë avec une filtration glomérulaire très abaissée. Dans cette situation, la fration d'excrétion du sodium est habituellement inférieure à 1 % chez les patients hypovolémiques. L'interprétation de la fraction d'excrétion du sodium est plus délicate chez les patients avec une fonction rénale normale car la charge filtrée de sodium est si importante que des valeurs différentes de fraction d'excrétion du sodium, inférieures à 0,1 - 0,2 % doivent être utilisées pour diagnostiquer la déplétion volémique.
Au cours des états hypovolémiques, l'urine est relativement concentrée et la l'osmolalité urinaire dépasse souvent 450 mosmol/kg d'eau. Cette réponse peut être absente cependant si les mécanismes de concentration sont altérés par une maladie rénale, une diurèse osmotique, l'administration de diurétiques ou un diabète insipide central ou néphrogénique. De plus à la fois, la déplétion volémique sévère qui altère l'accumulation d'urée dans la médullaire rénale et d'autre part l'hypokaliémie qui induit une résistance à l'effet antidiurétique de l'ADH peuvent limiter l'augmentation de l'osmolalité urinaire chez certains patients. Ainsi une osmolalité urinaire élevée est évocatrice d'hypokaliémie mais une urine relativement isoosmotique ne permet pas d'exclure ce diagnostic.
Dans la plupart des circonstances, la concentration plasmatique d'urée et de créatinine varie inversement avec la filtration glomérulaire augmentant lorsque celle-ci diminue. Cependant l'élévation de l'urée plasmatique peut être également induite par une augmentation de la production d'urée ou une réabsorption tubulaire augmentée. La créatinine plasmatique constitue donc un estimateur plus fiable du débit de filtration glomérulaire dans la mesure où il est produit à débit relativement constant par le muscule squelettique et n'est pas réabsorbé par le tube rénal. Chez les sujets normaux et ceux avec une maladie rénale non compliquée, le rapport urée/créatinine plasmatique est approximativement de 50.
Cette valeur peut s'élever substantiellement dans les états hypovolémiques en raison de l'augmentation de la réabsorption d'urée. En général, 40 à 50 % de l'urée filtrée est réabsorbée, la plupart de ce processus survenant dans le tube proximal où l'urée est réabsorbée massivement en parallèle avec la réabsorption de sodium et d'eau. Ainsi l'augmentation de la réabsorption proximale de sodium au cours de la déplétion volémique produit une augmentation parallèle de la réabsorption d'urée. La chute de l'excrétion urinaire d'urée et l'élévation de l'urée sanguine augmente fréquemment le rapport urée/créatinine plasmatique à des valeurs supérieures à 100. Cette élévation sélective de l'urée par rapport à la créatinine plasmatique est appelée insuffisance rénale pré-rénale, ce qui est synonyme d'insuffisance rénale fonctionnelle. La créatinine plasmatique naugmente dans cette situation que si le degré de l'hypovolémie est suffisamment sévère pour diminuer la filtration glomérulaire.
Quoique le rapport urée/créatinine plasmatique soit très utile pour l'évaluation des patients hypovolémiques, ce rapport peut être source de malinterprétation dans la mesure où il est affecté également par la production d'urée. Un rapport élevé peut être simplement lié à l'augmentation de production d'urée par exemple au cours d'un saignement gastro-intestinal ou à l'occasion d'un traitement glucocorticoïde. Un rapport normal peut être observé chez des patients avec une hypovolémie marquée si la production d'urée est diminuée comme cela est le cas au cours de la plupart des maladies chroniques avec dénutrition et de la cirrhose hépatique.
L'examen de l'urine est une étape diagnostique importante chez les patients avec une élévation de la créatinine et de l'urée sanguine. Le sédiment urinaire est habituellement normal au cours des états d'hypovolémie dans la mesure où le rein n'est pas en lui-même atteint. La présence d'une protéinurie ou de cellules anormales doit orienter vers l'existence d'une maladie rénale sous-jacente.
La concentration plasmatique de sodium peut être affectée de façon variable au cours des états hypovolémiques. Une perte d'eau pure, par exemple perte insensible ou diabète insipide, aboutit à une hypernatrémie. Inversement une perte d'eau et de sel avec hypovolémie peut être associée à une hyponatrémie. La déplétion volémique stimule la libération d'hormone antidiurétique qui tend à favoriser la rétention de l'eau ingérée.
L'hypokaliémie ou l'hyperkaliémie peuvent être observées chez des patients hypovolémiques. L'hypokaliémie est beaucoup plus fréquente en raison des pertes de potassium à partir du tractus gastro-intestinal ou dans l'urine. Cependant une hyperkaliémie peut être observée en cas d'impossibilité à excréter la charge potassique alimentaire dans l'urine en raison d'une insuffisance rénale, d'un hypoaldostéronisme ou de la déplétion volémique elle-même (la diminution de l'apport distal d'eau et de sodium au niveau des sites sécrétoires du potassium dans le tube collecteur cortical est diminué).
L'effet de la déplétion volémique sur la balance acide-base est également variable. Chez les patients avec des vomissements ou une aspiration gastrique ou encore recevant des diurétiques, il existe une tendance à l'alcalose métabolique en raison de la perte d'ions hydrogènes et de la contraction volémique. D'un autre côté une perte en bicarbonate liée à une diarrhée ou des fistules intestinales peut entraîner une acidose métabolique. De plus, une acidose lactique peut survenir au cours du choc et une acidocétose au cours du diabète décompensé.
Dans la mesure où les érythrocytes et l'albumine sont essentiellement contenus dans l'espace vasculaire, une réduction du volume plasmatique liée à une hypovolémie tend à augmenter à la fois l'hématocrite et la concentration plasmatique d'albumine. Cependant ces modifications sont volontiers absentes en raison d'une anémie sous-jacente et/ou d'une hypoalbuminémie en cas par exemple de saignements.
4. Complication de l'hypovolémie = Choc
Lorsque le degré d'hypovolémie devient plus sévère, par exemple pour une perte de 30 % du volume sanguin à partir d'une rupture d'anévrysme aortique, il y a une réduction marquée de la perfusion tissulaire aboutissant à la constitution d'un syndrome clinique appelé choc hypovolémique. Ce syndrome est associé à une augmentation marquée de l'activité sympathique et il est caractérisé par une tachycardie, des extrémités froides et marbrées, une cyanose, un bas débit urinaire habituellement inférieur à 15 ml/h, une agitation et une confusion liées à la diminution du débit sanguin cérébral. Quoique l'hypotension soit généralement présente au cours du choc, cet élément n'est pas nécessaire pour le diagnostic car chez certains patients la vasoconstriction est suffisante pour maintenir une pression artérielle relativement normale.
5. Diagnostic
Une évaluation anamnestique et l'examen clinique permettent généralement de déterminer à la fois la présence et l'étiologie d'une déplétion volémique. Les données biologiques peuvent être également de grande valeur diagnostique. En particulier, une concentration urinaire basse de sodium est virtuellement pathognomonique d'une diminution de la perfusion tissulaire en l'absence de perte rénale de sel (néphropathie sous-jacente ou traitement diurétique) ou en l'absence d'ischémie rénale (sténose artérielle rénale bilatérale).
Cependant, l'existence d'une concentration urinaire basse en sodium ne signifie pas nécessairement que le patient a une véritable déplétion volémique car les syndromes oedémateux comme l'insuffisance cardiaque, la cirrhose hépatique avec ascite et le syndrome néphrotique sont des situations caractérisées par une réabsorption avide de sodium. Ces désordres sont tous caractérisés par une hypovolémie efficace. Il est souvent difficile de détecter une hypovolémie relative chez les patients avec un syndrome oedémateux ou une insuffisance rénale. Bien que certaines anomalies cliniques ou biologiques puissent suggérer une déplétion volémique dans ces circonstances, il est parfois nécessaire de recourir à un remplissage vasculaire empirique ou un monitorage intravasculaire pour corriger les conséquence de l'hypovolémie.
La différenciation entre une insuffisance cardiaque congestive et une hypovolémie vraie peut être habituellement faite à partir de l'examen clinique. Cependant chez certains patients avec une insuffisance cardiaque et qui sont traités agressivement par diurétiques, il peut y avoir une chute du débit cardiaque liée à une déplétion volémique relative. Dans ce contexte, une diminution significative de la perfusion tissulaire est détectée par une augmentation autrement inexpliquée du rapport urée/créatinine plasmatique. Ces patients nécessitent habituellement la mise en place d'un cathéter artériel pulmonaire pour optimiser le remplissage vasculaire.
L'examen clinique permet généralement de différencier la déplétion volémique vraie de la cirrhose ascitique. La vasodilatation splanchnique progressive au cours de la cirrhose est responsable d'une diminution de la résistance vasculaire périphérique totale et d'une hypotension artérielle. L'activation des systèmes vasoconstricteurs endogènes et l'hypoperfusion rénale entraînent une rétention hydrosodée et une vasoconstriction rénale pouvant aboutir au syndrome hépato-rénal.
Le syndrome hépato-rénal est une maladie prérénale car les reins sont quasi-normaux histologiquement et peuvent être transplantés avec succès. Cependant une diminution de la perfusion rénale peut dans ce contexte être également liée à une véritable déplétion volémique induite par des pertes gastro-intestinales, un saignement ou un traitement diurétique aggressif. Il en résulte que le diagnostic de syndrome hépato-rénal nécessite pour être retenu l'absence d'amélioration de la fonction rénale après arrêt de néphrotoxines potentielles et un essai de réplétion volémique.
Le diagnostic biologique d'hypovolémie peut être difficile à établir chez des patients avec une maladie rénale sous-jacente. Dans ce contexte, la concentration urinaire de sodium peut dépasser 25 mmol/l et l'osmolalité peut être inférieure à 350 mosm/kg dans la mesure où l'insuffisance rénale altère la capacité à conserver le sodium et à concentrer l'urine. Cependant, la détection d'une déplétion volémique surajoutée est importante pour différencier une aggravation fonctionnelle de la progression de la maladie rénale sous-jacente. L'histoire et l'examen clinique peuvent être utiles chez certains patients mais dans certains cas un essai de réplétion volémique prudente peut être nécessaire chez les patients dont la fonction rénale s'est détériorée sans cause évidente.
Le diagnostic de déplétion volémique intravasculaire est particulièrement difficile chez le patient avec syndrome néphrotique. L'état volémique est diversement apprécié chez ces patients même en l'absence de tout facteur surajouté. Les patients néphrotiques avec une réduction de la filtration glomérulaire ont plutôt tendance à être hypervolémiques alors que ceux sévèrement hypoalbuminémiques, notamment au cours des lésions glomérulaires minimes ont plutôt tendance à être hypovolémiques. Quoique délicate la distinction entre ces deux situations est importante cliniquement car le traitement diurétique peut être utile chez ceux dont les pressions intravasculaires sont augmentées mais délétère chez les patients en hypovolémie.
A la différence des sujets plus jeunes, la déplétion volémique chez les individus âgés est souvent peu spécifique. Le signe probablement le plus spécifique est une perte de poids rapide quoique la notion de poids précise puisse être difficile à obtenir chez ces sujets âgés. La perte de poids est particulièrement importante à idéntifier chez les sujets âgés qui ont une plus grande proportion de graisse par rapport à la masse musculaire maigre. Pour une perte liquidienne donnée, les sujets âgés ont une plus grande réduction du volume extracellulaire.
De nombreux autres signes cliniques sont soit inconstants, soit peu fiables chez le sujet âgé. L'hypotension orthostatique par exemple peut survenir en l'absence de toute hypovolémie. La sécheresse de la bouche, de la langue, la confusion, les difficultés d'élocution peuvent être associées à la déplétion volémique chez le sujet âgé, mais celles-ci ne sont pas spécifiques : la sécheresse de bouche peut être induite par la respiration buccale ou des médicaments anticholinergiques, une faiblesse musculaire peut être liée à l'atrophie et la convulsion peut résulter d'un grand nombre d'autres causes. Selon le type de perte de fluide et le contexte clinique, la natrémie est variable. Les sujets âgés sont cependant particulièrement susceptibles à l'hypernatrémie en raison de l'altération des mécanismes de la soif et de l'incapacité à augmenter les apports d'eau en raison d'une mobilité réduite et/ou des difficultés à avaler.
6. Traitement de l'hypovolémie sévère et du choc hypovolémique
Une réplétion volémique rapide est indiquée chez les patients avec une déplétion volémique sévère ou un choc hypovolémique. Un traitement retardé peut entraîner des lésions ischémiques et possiblement un choc irréversible.
Trois points doivent être considérés pour le traitement de la déplétion volémique sévère :
- La vitesse du remplacement liquidien,
- La nature des fluides perfusés
- Le rôle d'un traitement alcalin, notamment chez les patients avec une acidose lactique.
Les vasopresseurs tels que la noradrénaline et la dopamine ne sont habituellement pas administrés dans la mesure où ils ne corrigent pas le problème primitif et tendent à aggraver la perfusion tissulaire.
Il n'est pas possible de prédire de façon précise le déficit total en liquide chez un patient donné en choc hypovolémique, notamment si la perte continue est liée à saignement ou à la séquestration dans un 3ème secteur. En général, 1 à 2 litres de fluide sont administrés pendant la première heure pour essayer de restaurer rapidement la perfusion tissulaire. D'autres quantités de fluide peuvent être administrés avec l'aide d'un monitorage de la pression veineuse centrale ou de la pression capillaire pulmonaire. La réplétion volémique doit être continuée à la vitesse initiale aussi longtemps que les pressions de remplissage cardiaque et la pression artérielle systémique restent basses.
Le choix du liquide de substitution dépend en partie du type de pertes liquidiennes. Par exemple, une transfusion érythrocytaire est indiquée chez des patients qui ont saigné. En général, l'hématocrite ne doit pas être augmentée au-dessus de 35 % : une augmentation supplémentaire n'est pas nécessaire pour faciliter le transport de l'oxygène et pourrait augmenter la viscosité sanguine, ce qui potentiellement aggrave la stase dans une circulation capillaire déjà compromise.
Le déficit en fluide extracellulaire peut être corrigé soit par des solutés salés isotoniques, appelés improprement « sérum physiologique » (ce terme ne devrait pas être utilisé car il ne s'agit pas d'un produit dérivé du sang), soit solution colloïde. L'administration de solution à base de colloïdes, comme l'albumine ou l'HEA a été préconisée en raison de 2 avantages théoriques potentiels par rapport aux solutés salés :
- une expansion volémique plus rapide, dans la mesure où la solution colloïde reste dans l'espace vasculaire par opposition aux solutés salés dont les 2/3 environ rentrent dans l'interstitium et
- un risque moindre d'oedème pulmonaire en raison de labsence d'hypoalbuminémie dilutionnelle.
Cependant un grand nombre d'essais contrôlés ont montré l'absence de différence en mortalité entre l'administration de solutés cristalloïdes ou colloïdes. Les solutions à base de colloïdes ne sont en particulier pas plus efficaces pour préserver la fonction pulmonaire. Cette absence de protection est liée en partie à la perméabilité relativement élevée du capillaire alvéolaire à l'albumine entraînant une équilibration rapide de la pression oncotique interstitielle, celle-ci étant plus élevée que dans les tissus sous-cutanés. En cas d'hypoalbuminémie, il y a une réduction parallèle de la concentration en protéines de l'interstitium alvéolaire si bien qu'il n'y a pas ou peu de modification du gradient de pression oncotique transcapillaire et donc peu de tendance au développement de l'oedème pulmonaire. Par contre, les solutés salés peuvent induire une hypoalbuminémie aiguë favorisant la constitution d'oedèmes périphériques, ce qui constitue un inconvénient cosmétique mais sans risque vital.
Les solutés salés sont aussi efficaces pour expandre le volume plasmatique mais une quantité 2,5 à 3 fois supérieure de solutés salés doit être administrée en raison de la distribution extravasculaire. Ceci n'est cependant ni gênant, ni délétère dans la mesure où toute perte liquidienne comporte également un déficit en fluide interstitiel qui est donc réparé par l'administration de soluté salé.
En conclusion, les solutés salés isotoniques sont généralement préférés chez les patients ayant une déplétion volémique sévère sauf peut-être dans le cas de déplétion liée à une hémorragie aiguë. Les solutés salés sont à la fois aussi sûrs et efficaces que les solutions à base de colloïdes et beaucoup moins chers.
Certains des patients avec une hypoperfusion marquée peuvent développer une acidose lactique aboutissant à une réduction du pH extracellulaire en-dessous de 7,10. Du bicarbonate de sodium peut être ajouté au liquide de substitution dans ce contexte pour essayer de corriger à la fois l'acidémie et le déficit volémique. Cependant l'efficacité du traitement alcalin au cours de l'acidose lactique reste controversé. De plus dans ce cas le monitorage précis de l'équilibre acide-base nécessite la détermination des gaz du sang à la fois veineux et artériel.
Une correction rapide du déficit volémique est essentielle au cours du choc hypovolémique pour prévenir la diminution de la perfusion tissulaire et empêcher son irréversibilité. Expérimentalement, le choc hémorragique peut être réversé lorsque le sang qui a été enlevé est réinfusé dans les deux heures. Par contre, il n'y a qu'une augmentation modérée de la pression artérielle si le sang prélevé n'est réadministré qu'après 4 heures ou plus.
Un phénomène analogue semble survenir chez l'homme quoique des délais nettement supérieurs à 4 heures semblent être tolérés avant que la réplétion volémique ne soit inefficace.
Le choc irréversible est associé à la séquestration de sang dans les capillaires et tissus et entraîne une aggravation supplémentaire de la perfusion tissulaire. Les mécanismes de cet effet sont complexes et probablement multiples. Globalement tout fluide réadministré est séquestré dans la circulation capillaire élevant la pression hydraulique capillaire, ce qui favorise le passage de fluide depuis le compartiment vasculaire vers l'interstitium. L'augmentation de perméabilité capillaire pourrait également contribuer à ce processus dans la mesure où des produits toxiques relargués des tissus endommagés ou de l'accumulation locale de neutrophiles peuvent endomager la paroi capillaire.