L'hypertension artérielle est une manifestation fréquente au cours des maladies rénales à la fois chroniques et aiguës, notamment dans les affections glomérulaires ou vasculaires. Cependant l'incidence de l'hypertension et son mécanisme physiopathologique varient selon le type de l'atteinte rénale et sa durée.
Les patients avec une atteinte glomérulaire aiguë, comme une glomérulonéphrite aiguë post-streptococcique ou une glomérulonéphrite membrano-proliférative tendent à être en hypervolémie avec des oedèmes en raison de la rétention hydrosodée. L'élévation de la pression artérielle est essentiellement liée à la surcharge hydrosodée entraînant une suppression du système rénine-angiotensine et une stimulation du système peptide atrial natriurétique. Lhypoaldostéronisme hyporéninémique lié à lhypervolémie peut être responsable d'hyperkaliémie. Les modifications tensionnelles sont plus importantes chez des patients avec une maladie avancée mais l'incidence de l'hypertension est augmentée même chez les patients qui gardent une fonction rénale normale.
Des études expérimentales au cours du syndrome néphrotique ou des glomérulonéphrites suggèrent que la rétention sodée est essentiellement liée à une augmentation de la réabsorption du sodium dans le tube collecteur qui est également le site d'action du peptide atrial natriurétique et d'une hormone natriurétique structurellement proche, l'urodilatine. Les mécanismes présumés sont dune part une résistance relative à l'action du peptide atrial natriurétique en partie liée à une dégradation plus rapide de son second messager le cGMP par une phosphodiastérase, et dautre part une augmentation de l'activité de la NaK-ATPase dans le tube collecteur.
L'hypertension artérielle est très fréquente au cours des maladies rénales vasculaires aiguës comme les vascularites, la sclérodermie ou les embolies de cristaux de cholestérol. L'élévation de la pression artérielle résulte dans ces cas d'une ischémie corticale activant le système rénine angiotensine plutôt que de l'expansion volémique.
L'hypertension artérielle est présente chez environ 80 à 85 % des patients avec une insuffisance rénale chronique. La prévalence de l'hypertension augmente linéairement avec la diminution du débit de filtration glomérulaire. Dans l'étude MDRD par exemple, la prévalence de l'hypertension augmente progressivement de 65 à 95 % lorsque la filtration glomérulaire diminue de 85 à 15 ml/mn. Plusieurs facteurs contribuent à la génèse et au maintien de l'hypertension artérielle :
- Rétention hydrosodée au premier plan même si le degré d'expansion du volume extracellulaire peut être insuffisant pour induire des oedèmes perceptibles.
- Augmentation de l'activité du système rénine-angiotensine, probablement secondaire à une ischémie régionale qui est souvent en partie responsable de l'hypertension qui persiste après restauration de la normovolémie.
- Augmentation de l'activité du système sympathique nerveux chez les patients en insuffisance rénale terminale. Le signal afférent provient des reins malades et disparaît après néphrectomie bilatérale.
- Hyperparathyroïdie secondaire qui augmente la concentration intracellulaire de calcium favorisant la vasoconstriction et l'hypertension.
- L'hypertension peut être déclenchée ou exacerbée chez des patients avec une insuffisance rénale terminale, traités par érythropoïétine. Cet effet est en partie lié au degré d'augmentation de l'hématocrite et de la volémie.
Certaines caractéristiques sont plus volontiers rencontrées au cours de l'hypertension artérielle liée aux maladies rénales chroniques :
- Au stade d'insuffisance rénale terminale, l'hypertension artérielle prédomine sur la systolique avec une augmentation de la pression pulsée. Ces anomalies sont en rapport avec une augmentation de la rigidité aortique, elle-même secondaire à la rétention hydrosodée et surtout aux anomalies phosphocalciques (augmentation du contenu artériel en calcium).
- Les patients avec une insuffisance rénale chronique ont moins souvent une diminution physiologique de la pression artérielle au cours de la nuit, facteur qui favorise les complications liées à l'hypertension artérielle et le développement de l'hypertrophie ventriculaire gauche.
D'une façon générale, l'hypertension artérielle associée aux maladies rénales est volontiers plus sévère manométriquement, plus difficile à normaliser et s'accompagne d'une augmentation importante du risque vasculaire même à niveau tensionnel égal. Dans l'étude HDFP par exemple, le risque de mortalité cardiovasculaire augmente de façon proportionnelle au niveau de créatinine plasmatique avec un risque relatif de mortalité augmenté d'un facteur 8 lorsque la créatinine plasmatique dépasse 250 µmol/l par rapport aux sujets ayant une fonction rénale inférieure à 110 µmol/l.
L'élévation tensionnelle au cours des maladies rénales est observée très précocément même lorsque la fonction rénale reste normale. Par exemple chez les sujets ayant une polykystose rénale ou une néphropathie à IgA les niveaux tensionnels sont plus élevés que chez des sujets témoins appariés pour l'âge, même si les valeurs tensionnelles restent dans les limites de ce qui est considéré comme normal. Cette élévation tensionnelle est déjà associée à une augmentation relative de l'épaisseur ventriculaire gauche sur l'échocardiographie suggérant qu une augmentation de la pression artérielle même très modérée, est déjà suffisante pour induire une atteinte des organes cibles.
2. Traitement
Le traitement de l'hypertension artérielle varie en fonction du type de l'atteinte rénale présente :
Chez les patients dont la protéinurie dépasse 3 g/jour, la pression artérielle diastolique doit être abaissée en-dessous de 80 mmHg pour assurer la protection rénale optimale. Ce niveau de pression artérielle peut être assuré avec un traitement combinant un inhibiteur de l'enzyme de conversion et un diurétique. D'autres agents peuvent être rajoutés selon les besoins. Les doses de diurétiques doivent être augmentées jusqu'à ce que la pression artérielle soit normalisée ou que les patients aient atteint leur poids sec défini comme le poids en-dessous duquel la perfusion tissulaire diminue (augmentation disproportionnée de l'urée par rapport à la créatinine plasmatique). Lorsqu'un diurétique est nécessaire, il faut généralement préférer un diurétique de l'anse. Les diurétiques thiazidiques aux dosages habituels sont moins efficaces en monothérapie lorsque la filtration glomérulaire diminue en-dessous de 30 ml/mn.
D'une façon générale et à l'exception des diurétiques de l'anse dont la posologie doit généralement être augmentée de façon parallèle à l'augmentation de la créatinine plasmatique, il est nécessaire d'adapter la posologie des différents médicaments antihypertenseurs en fonction de leur mode d'élimination. Il peut par exemple être nécessaire de diminuer la posologie d'un inhibiteur de l'enzyme de conversion d'élimination rénale lorsque la fonction rénale est altérée. Dans ce cas, la durée d'action des médicaments est allongée, les doses efficaces nécessaires sont moindres et le coût du traitement fortement diminué.
Les IEC ont un effet additionnel chez les patients ayant une atteinte rénale car ils diminuent la vitesse de progression vers l'insuffisance rénale terminale. Le bénéfice est particulièrement net chez les patients diabétiques ou non diabétiques ayant une protéinurie supérieure à 3 g/24 h et reste significatif mais dans une moindre mesure, lorsque la protéinurie est inférieure à 3 g/jour.
Une complication potentiellement léthale des IEC est le développement d'une hyperkaliémie liée à la suppression de la libération d'aldostérone par l'angiotensine II. Les patients les plus susceptibles de développer une hyperkaliémie sont ceux dont la kaliémie est élevée ou dans la normale haute avant le début du traitement. Le risque dhyperkaliémie est aussi favorisé par lacidose métabolique, le diabète et la coprescription de certains médicaments interférant avec lélimination rénale du potassium (anti-aldostérone, amiloride, anti-inflammatoires non stéroïdiens, héparine standard ou de bas poids moléculaire, anticalcineurines). En cas dhyperkaliémie sous IEC, l'institution d'un régime réduit en potassium ou l'usage concomitant d'un diurétique de l'anse qui augmente la fuite urinaire de potassium, améliore souvent l'hyperkaliémie. Chez certains patients, il peut être nécessaire d'y associer de faibles doses de polystyrène sulfonate (Kayexalate® 5 g lors de chaque repas).
Une augmentation transitoire de la kaliémie peut également survenir avec les bétabloqueurs non sélectifs ß1-ß2 (mais pas avec les ß-bloqueurs sélectifs ß1) dans la mesure où le récepteur b2 contribue à l'entrée du potassium dans les cellules. Le risque est maximal en phase postprandiale lors de l'apport alimentaire de potassium.