Lhyperphosphatémie est définie par une augmentation de la concentration plasmatique de phosphate au dessus de 1,44 mmol/l (45 mg/l).
Le seul diagnostic différentiel est la pseudo-hyperphosphatémie : une élévation artéfactuelle de la phosphatémie peut être observée par interférence avec les méthodes analytiques chez des patients atteints d'hyperglobulinémie, d'hyperlipidémie, d'hémolyse et d'hyperbilirubinémie. La situation la plus fréquente est l'hyperglobulinémie du myélome ou d'une gammapathie monoclonale. La véritable phosphatémie est alors déterminée par redosage de l'échantillon après déprotéinisation par ultrafiltration.
1. Principales causes dhyperphosphatémie
A l'état normal, la concentration plasmatique de phosphate est essentiellement déterminée par la capacité du rein à excréter la charge alimentaire en phosphate. L'excrétion rénale est si efficace chez les sujets normaux que la balance phosphatée peut être maintenue quasiment sans modification de la concentration plasmatique de phosphate même si l'apport alimentaire en phosphate est augmenté de 2 à 3 fois jusqu'à 4000 mg/jour (130 mmol/jour). Cette réponse rénale est en partie liée à une diminution de la réabsorption tubulaire proximale de phosphate et également à une augmentation de la sécrétion d'hormone parathyroïdienne stimulée par la chute de la concentration plasmatique de calcium ionisé induite par la charge en phosphate. Cependant, une charge aiguë massive en phosphate sur quelques heures peut entraîner une hyperphosphatémie transitoire.
L'approche diagnostique de l'hyperphosphatémie est donc l'identification des mécanismes de l'entrée du phosphate dans le compartiment extracellulaire et pourquoi celle-ci excède le débit d'excrétion rénale de phosphate. Les trois principales causes d'hyperphosphatémie sont la charge aiguë massive en phosphate, l'insuffisance rénale chronique et une augmentation primitive de la réabsorption rénale proximale de phosphate.
Une charge en phosphate suffisante pour dépasser les capacités d'excrétion rénale peut être produite soit par des sources soit endogènes soit exogènes.
Le phosphate étant le principal anion intracellulaire toute cause de catabolisme tissulaire marqué peut entraîner un déplacement du phosphate intracellulaire vers le compartiment extracellulaire. L'hyperphosphatémie résultante peut induire une réduction symptomatique de la concentration plasmatique de calcium en raison de la précipitation de phosphate de calcium dans les tissus. Les principaux états hypercataboliques responsables d'hyperphosphatémie sont le syndrome de lyse tumorale, la nécrose musculaire (rhabdomyolyse) et moins fréquemment des hémolyses importantes après la transfusion de sang conservé.
L'hyperphosphatémie peut être induite par l'ingestion de quantités massives de laxatifs contenant du phosphate.
Certaines préparations de phospho-soda par exemple contiennent des quantités massives de phosphate inorganique et lorsque ingérées à fortes doses pendant des périodes de quelques heures peuvent provoquer une hyperphosphatémie et une hypocalcémie significatives. Une contraction volémique due à la diarrhée et une insuffisance rénale modérée fonctionnelle liée à l'hypoperfusion rénale contribuent presque toujours à l'augmentation de la phosphatémie.
Une hyperphosphatémie peut être induite par une intoxication à la vitamine D. La vitamine D augmente l'absorption à la fois du calcium et du phosphate et l'augmentation de la calcémie tend à diminuer l'excrétion urinaire de phosphate à la fois en supprimant la libération de PTH et en altérant la fonction rénale par une vasoconstriction directe.
Une tendance à la rétention phosphatée débute précocément au cours des maladies rénales en raison de la réduction de la charge filtrée de phosphate. Malgré cela, l'hyperphosphatémie est une manifestation relativement tardive de l'insuffisance rénale chronique car la rétention phosphatée induit précocément une hyperparathyroïdie secondaire. Cette hypersécrétion de parathormone est initialement appropriée dans la mesure où elle permet la normalisation de la balance phosphatée et calcique mais ceci se fait au prix des effets secondaires de l'hyperparathyroïdie : développement d'une ostéodystrophie rénale et peut être d'autres complications urémiques (anémie, insulinorésistance, hypertriglycéridémie, fibrose myocardique etc...).
Au stade précoce de l'insuffisance rénale, lélévation de la parathormone peut corriger à la fois l'hypocalcémie et l'hyperphosphatémie en augmentant le relargage de phosphate de calcium à partir de l'os et en augmentant l'excrétion urinaire de phosphate (en diminuant la réabsorption proximale). La fraction de phosphate filtré qui est réabsorbée diminue de 80 - 95 % à 15 % au cours de l'insuffisance rénale avancée.
Une concentration plasmatique normale en phosphate est généralement maintenue au prix de cette hyperparathyroïdie secondaire jusqu'à ce que la filtration glomérulaire chute en-dessous de 25 à 30 ml/mn. A ce stade avancé, la restriction alimentaire en phosphate peut encore réduire la concentration plasmatique de phosphate et de PTH sans toutefois les normaliser. Des chélateurs oraux du phosphate sont souvent nécessaires. L'hyperparathyroïdie secondaire à ce stade pourrait également contribuer à l'hyperphosphatémie en maintenant le relargage de phosphate de calcium à partir de l'os.
La combinaison d'une hyperphosphatémie marquée et d'une concentration plasmatique en calcium normale ou normale basse aboutit à l'élévation du produit phosphocalcique. Lorsque celui-ci dépasse 5 en mmol2, il existe une tendance à la précipitation du phosphate de calcium dans les tissus mous, artères, articulations, muscles et viscères. Ce processus est appelé "calcifications métastatiques" et lorsqu'il est très sévère et aboutit ou entraîne une ischémie tissulaire "calciphylaxie".
Si les chélateurs oraux du phosphate sont inefficaces dans cette situation, une parathyroïdectomie peut être nécessaire pour contrôler à la fois l'hyperparathyroïdie et la composante de l'hyperphosphatémie qui est liée au relargage osseux médié par la PTH. La parathyroïdectomie cependant ne doit être réalisée qu'après avoir éliminé une ostéomalacie induite par l'aluminium car dans ce cas la diminution de la sécrétion de parathormone peut diminuer ou empêcher la mobilisation des dépôts osseux d'aluminium.
L'élévation prolongée du phosphore chez les patients en insuffisance rénale terminale est associée à un taux de mortalité élevé. Chez les patients ayant une concentration plasmatique supérieure à 65 mg/l, le risque relatif de mortalité augmente de 27 %. Cette augmentation de risque est indépendante de l'élévation des concentrations de parathormone.
Outre la réduction de la filtration glomérulaire, l'excrétion rénale de phosphate peut être diminuée par une augmentation de la réabsorption proximale de phosphate. Ceci peut survenir chez des patients ayant par ailleurs une fonction rénale normale dans les situations suivantes :
- Hypoparathyroïdie : une sécrétion déficiente en PTH ou une résistance rénale à l'action de la PTH (pseudohypoparathyroïdie) augmentent la réabsorption de phosphate et élève la concentration plasmatique de phosphate. Ces patients sont également hypocalcémiques en raison de la réduction de la réabsorption osseuse. Un traitement à base de calcium et de calcitriol réduit la concentration plasmatique de phosphate sans parfois la normaliser complètement.
- Acromégalie : l'hyperphosphatémie survient chez approximativement 70 % des patients avec une acromégalie et est liée probablement à la stimulation directe des somatomédines notamment l'insulin growth factor 1 sur le transport du phosphate. La phosphatémie habituellement n'excède pas 1,8 mmol/l (55 mg/l) mais constitue un marqueur utile de l'activité de la maladie. L'augmentation de la concentration d'hormone de croissance est également responsable de l'hyperphosphatémie observée chez l'enfant et l'adolescent et ceci est considéré comme approprié en facilitant les dépôts de phosphate de calcium dans l'os néoformé.
- Thyréotoxicose : une hyperphosphatémie modérée peut être observée aucours des hyperthyroïdies.
- Biphosphonates : les didronates souvent utilisés pour traiter la maladie de Paget stimulent directement le transport du phosphate et produisent souvent une élévation de la concentration plasmatique de phosphate.
- Calcinose tumorale : la calcinose tumorale est une affection génétique rare caractérisée par une anomalie primitive de la réabsorption tubulaire proximale de phosphate souvent en association avec des concentrations élevées en calcitriol. La calcémie et la concentration plasmatique de parathormone sont typiquement normales quoique le phosphate tend à se complexer avec le calcium et à induire une hypocalcémie ; cet effet est contrebalancé par la production augmentée de calcitriol. La combinaison d'une hyperphosphatémie et d'une calcémie normale entraîne une augmentation du produit phosphocalcique et des dépôts massifs de phosphate de calcium dans les tissus mous. A l'occasion des mouvements et des frictions occasionnant des lésions et des saignements dans les articulations, des dépôts massifs de phosphate de calcium prennent place dans les tissus mous périarticulaires lors de la phase de réparation. Une déplétion en phosphate alimentaire et le recours aux antacides permet souvent une résolution de ces dépôts phosphocalciques.
2. Traitement de l'hyperphosphatémie :
L'approche thérapeutique est différente au cours des hyperphophatémies aiguës et chroniques.
L'hyperphosphatémie aiguë sévère avec une hypocalcémie symptomatique est une situation mettant en jeu le pronostic vital. L'hyperphosphatémie se résoud habituellement dans les 6 à 12 heures si la fonction rénale est intacte. L'excrétion rénale de phosphate peut être augmentée par des perfusions de solutés salés quoique ceux-ci puissent également aggraver le degré de l'hypocalcémie par dilution. Une autre méthode consiste à augmenter l'excrétion rénale de phosphate en administrant un inhibiteur de l'anhydrase carbonique (acétazolamide, Diamox®). L'hémodialyse est souvent nécessaire chez les patients avec une hypocalcémie symptomatique en particulier lorsque la fonction rénale est altérée.
L'hyperphosphatémie chronique nécessite un traitement dans le contexte d'une insuffisance rénale chronique ou d'une calcinose tumorale. Le traitement fait appel à la diminution de l'absorption intestinale de phosphate par un régime restreint en phosphate et des chélateurs du phosphate comme le carbonate de calcium. Chez le patient dialysé, la dialyse ne joue quun rôle réduit dans l'épuration du phosphate. Les membranes de dialyse sont relativement efficaces en terme de clairance mais les flux de phosphate mobilisés à partir du compartiment intracellulaire limitent la quantité nette de phosphate épuré au cours d'une séance de dialyse. L'allongement du temps de dialyse ou le recours à des dialyseurs de haute efficacité ou l'augmentation de la surface de la membrane n'a qu'une efficacité limitée. L'épuration dialytique de phosphate intervient surtout au cours de la première heure de dialyse si bien que la dialyse quotidienne courte pourrait s'avérer une technique de choix pour améliorer l'hyperphosphatémie.
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