En-dehors des effets sur le métabolisme minéral, les symptômes de l'hypophosphatémie sont liés aux conséquences de la déplétion intracellulaire en phosphate qui affectent virtuellement tous les organes :
Une hypophosphatémie prolongée produit un certain nombre d'effets à la fois sur le rein et sur l'os. La réabsorption tubulaire distale de calcium et de magnésium est inhibée et une hypercalciurie profonde en résulte. Cette réponse à la déplétion phosphatée est très importante mais son mécanisme est inconnu. Un certain nombre de patients avec une hypercalciurie idiopathique ont une hypophosphatémie modérée et il a été suggéré que dans certains cas une anomalie de la balance en phosphate pourrait induire secondairement une hypercalciurie. La réponse initiale de l'os à l'hypophosphatémie est une augmentation de la résorption, le relargage accru de calcium de l'os contribuant à l'hypercalciurie. Cet effet semble être médié en partie au moins par l'augmentation de la synthèse de calcitriol induite par la déplétion en phosphate. Une hypophosphatémie plus prolongée aboutit au rachitisme et à l'ostéomalacie en raison de la diminution de la minéralisation osseuse.
Une hypophosphatémie sévère peut entraîner une encéphalopathie métabolique qui est essentiellement liée à l'ischémie tissulaire. La présentation comporte typiquement une irritabilité et des paresthésies qui peuvent progresser vers la confusion, le délirium et le coma.
La contractilité myocardique peut être altérée par la déplétion en ATP et une insuffisance respiratoire peut survenir par la faiblesse des muscles diaphragmatiques. La réduction du débit cardiaque peut devenir cliniquement significative entraînant une insuffisance cardiaque congestive lorsque la concentration plasmatique en phosphate descend en-dessous de 0,32 mmol/l (10 mg/l).
Les manifestations musculaires de l'hypophosphatémie comportent une myopathie proximale affectant le muscle squelettique et une dysphagie et un iléus affectant les muscles lisses. De plus, une hypophosphatémie aiguë surajoutée au-dessus d'une déplétion en phosphate sévère peut entraîner une rhabdomyolyse. Bien que l'élévation des CPK soit relativement habituelle au cours de l'hypophosphatémie, une rhabdomyolyse cliniquement significative n'est observée pratiquement que chez les alcooliques et chez les patients recevant une alimentation parentérale sans supplémentation en phosphate. Le développement d'une rhabdomyolyse avec son relargage en phosphate à partir des muscles lésés a deux conséquences cliniques : la rhabdomyolyse peut masquer l'hypophosphatémie sous-jacente et peut également protéger vis-à-vis du développement d'autres symptômes de l'hypophosphatémie. La mise en évidence d'une concentration plasmatique en phosphate abaissée avant ou peu après la rhabdomyolyse peut être la seule preuve d'une déplétion en phosphate préalable .
L'hypophosphatémie peut être également responsable d'une prédisposition à l'hémolyse car la réduction en ATP intracellulaire augmente la rigidité érythrocytaire. Une hémolyse uniquement liée à l'hypophosphatémie est cependant rare et ne s'observe que pour des déplétions phosphatées extrêmes (phosphatémie inférieure à 0,16 mmol/l). La réduction de l'ATP intracellulaire dans les leucocytes diminue la phagocytose et la chémotaxie et dans les plaquettes pourrait affecter l'agrégabilité.
2. Causes d'hypophosphatémie :
(Tableau 1)
Tableau 1 : Principales causes d'hypophophatémie.
- Redistribution interne.
- Augmentation de la sécrétion d'insuline particulièrement pendant la renutrition.
- Alcalose respiratoire aiguë.
- Syndrome des os affamés.
- Diminution de l'absorption intestinale
- Apports inadéquats.
- Antacides à base d'aluminium ou de magnésium.
- Stéatorrhées et diarrhées chroniques.
- Déficit ou résistance à la vitamine D.
- Augmentation de l'excrétion urinaire
- Hyperparathyroïdie primaire et secondaire.
- Déficit ou résistance à la vitamine D.
- Rachitisme héréditaire hypophosphatémique.
- Ostéomalacie oncogénique.
- Syndrome de Fanconi.
- Divers (diurèse osmotique, acétazolamide, expansion volémique aiguë).
|
Environ 10 à 15 % des patients hospitalisés développent une hypophosphatémie de moins de 0,8 mmol/l (25 mg/l). Les 3 principaux mécanismes d'hypophosphatémie sont :
La stimulation de la glycolyse par l'insuline augmente la formation de dérivés glucidiques phosphorylés au niveau du foie et des muscles squelettiques. La source de ce phosphore est le phosphate inorganique du compartiment extracellulaire si bien que la concentration plasmatique de phosphate ainsi que l'excrétion urinaire de phosphate chutent rapidement. Ceci peut survenir dans différentes conditions :
Les sujets adultes normaux sont habituellement en balance phosphatée car les apports alimentaires excèdent largement les pertes gastro-intestinales.
Le rein exerce un rôle majeur sur la régulation de la balance phosphatée. L'adaptation rénale très rapide à une perte extrarénale de phosphate protège normalement contre des pertes supplémentaires de phosphate. La persistance d'une phosphaturie inappropriée élevée peut être due à 2 facteurs : hyperparathyroïdie ou défaut intrinsèque du transport de phosphate.
N'importe quelle cause d'hypersécrétion de la parathormone peut entraîner une hypophosphatémie. Ceci survient principalement au cours de l'hyperparathyroïdie primitive et au cours des hyperparathyroïdies secondaires à un déficit en vitamine D quelle qu'en soit la cause. L'hypophosphatémie est généralement plus sévère au cours des hyperparathyroïdies secondaires à des déficits en vitamine D car outre l'excrétion urinaire de phosphate augmentée, il y a également une diminution de l'absorption gastro-intestinale en phosphate. Au cours de l'insuffisance rénale chronique, l'hyperparathyroïdie est précoce et peut entraîner lorsque la fonction rénale n'est que modérément altérée une hypophosphatémie. Cependant au fur et à mesure que la fonction rénale se dégrade, les capacités rénales d'excrétion des phosphates diminuent si bien qu'il existe souvent à ce stade une hyperphosphatémie associée à l'hyperparathyroïdie secondaire.
Un déficit en vitamine D peut induire une hypophosphatémie à la fois en diminuant l'absorption intestinale de phosphate et en induisant une hypocalcémie et une hyperparathyroïdie secondaire augmentant l'excrétion urinaire de phosphate. Le déficit en vitamine D peut survenir comme conséquence d'une diminution de l'apport ou del'absorption, d'une diminution de l'exposition au soleil, de l'augmentation du catabolisme hépatique, d'une diminution de la synthèse endogène ou encore d'une résistance des organes-cibles.
Tableau 2 : Causes de déficit ou résistance à la vitamine D.
- Apports ou absorption déficiente.
- Alimentaires.
- Exposition inadéquate au soleil
- Malabsorption.
- Gastrectomie.
- Maladie intestinale.
- Insuffisance pancréatique.
- Défauts de l'hydroxylation hépatique en 25 OH
- Cirrhose biliaire.
- Cirrhose alcoolique.
- Anticonvulsivants.
- Pertes de la protéine porteuse en vitamine D
- Syndrome néphrotique.
- Défaut en hydroxylation 1 a rénal.
- Hypoparathyroïdisme.
- Insuffisance rénale.
- Rachitisme vitamine D dépendant de type 1.
- Défauts de réponse au calcitriol des organes-cibles
- Rachitisme vitamine D de type 2 (rachitisme héréditaire vitamine D résistant).
|
Il existe plusieurs syndromes rares caractérisés par une fuite urinaire de phosphate isolée aboutissant à une hypophosphatémie qui est responsable de rachitisme mais à la différence du déficit en vitamine D, l'hypocalcémie n'est pas présente.
- Rachitisme hypophosphatémique héréditaire
Dans le rachitisme hypophosphatémique lié à l'X qui a été également appelé rachitisme vitamine D-résistant, le défaut de la réabsorption proximale du phosphate est associé à la mutation du gène PHEX. Ce gène encode une endopeptidase dont la mutation semble aboutir à des anomalies de maturation ou de dégradation d'une hormone hypothétique appelée la phosphatonine qui inhiberait la réabsorption tubulaire rénale du phosphate.
Un syndrome d'expression clinique similaire mais acquis est appelé ostéomalacie oncogénique. Il s'agit de patients ayant des tumeurs d'origine mésenchymateuses souvent un hémangiome de type sclérosant présumé produire un facteur circulant phosphaturique. L'ablation de la tumeur corrige l'ensemble des anomalies.
- Syndrome de Fanconi :
Le syndrome de Fanconi est défini par une atteinte généralisée des fonctions tubulaires proximales aboutissant à la fuite urinaire de composés habituellement réabsorbés dans le tube proximal. Les conséquences en sont l'hypophosphatémie qui peut entraîner une ostéomalacie, une glycosurie rénale (orthoglycémique), une hypouricémie, une aminoacidurie et une acidose tubulaire rénale de type 2 liée à une fuite de bicarbonate dans l'urine. La concentration sérique de calcitriol est soit abaissée soit normale de façon inappropriée.
Le syndrome de Fanconi est rare chez l'adulte et le plus souvent est lié à un myélome multiple à chaînes légères ayant des caractéristiques physico-chimiques particulières. Chez l'enfant, la cystinose, la maladie de Wilson et l'intolérance héréditaire au fructose sont des causes fréquentes du syndrome de Fanconi. Celui-ci peut être également acquis en raison de la toxicité de l'ifosfamide.
Tableau 2 : Principales causes de syndrome de Fanconi
- Formes primitives
Familial, génétique
- Cystinose
- Tyrosinémie
- Intolérance au fructose
- Galactosémie
- Glycogénose (type 1)
- Maladie de Wilson
- Syndrome de Lowe
- Formes acquise
Myélome
Ifosfamide
Inhibiteurs de lanhydrase carbonique
Amylose
Métaux lourds (plomb, cadmium, mercure, cuivre)
Déficit en vitamine D
Transplantation rénale
Hémoglobinurie paroxystique nocturne
|
- Divers :
D'autres facteurs peuvent augmenter l'excrétion urinaire de phosphate comme la diurèse osmotique, le plus souvent suite à une glycosurie, des diurétiques d'action proximale, comme l'acétazolamide ou certains thiazides ayant une activité inhibitrice de l'anhydrase carbonique comme métolazone et l'expansion volémique aiguë qui diminue la réabsorption proximale de sodium.