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La glomérulonéphrite extramembraneuse est la cause la plus fréquente de syndrome néphrotique primitif de ladulte, représentant environ 20 % des cas. Cest une affection relativement rare chez lenfant.
1. Présentation clinique
La principale présentation clinique est le syndrome néphrotique, plus de 80 % des patients ayant une protéinurie massive lors de la présentation. L'hypertension est fréquente en cas d'insuffisance rénale mais également présente dans 30 % des cas initialement. L'hématurie microscopique est présente dans 50 % des cas, elle est par contre rarement macroscopique. Le complément sérique est typiquement normal et son abaissement doit faire suggérer la possibilité d'une maladie lupique ou plus rarement d'une infection par le VHB. Certains allèles HLA sont associés à la glomérulonéphrite extramembraneuse idiopathique mais avec une large variation interethnique.
Une aggravation brutale de la fonction rénale est parfois observée au cours de la GEM. La cause la plus fréquente est l'insuffisance rénale fonctionnelle conséquence d'un traitement diurétique trop agressif. Dans certains cas, une véritable nécrose tubulaire peut compliquer une hypovolémie marquée. Une néphropathie interstitielle aiguë peut également compliquer la GEM à l'occasion du traitement par certains diurétiques thiazidiques ou sulfamidés antibiotiques. De façon relativement peu fréquente, une glomérulonéphrite extracapillaire peut compliquer une GEM par des mécanismes mal connus. Enfin, l'aggravation de la fonction rénale doit faire éliminer une thrombose des veines rénales favorisée par l'hypercoagulabilité du syndrome néphrotique.
L'incidence de la thrombose des veines rénales varie de 5 à 50 % selon les études, dépendant essentiellement de l'acharnement avec laquelle on recherche cette complication. La thrombose de la veine rénale doit être évoquée en particulier devant l'existence d'une douleur lombaire, d'une hématurie macroscopique, d'une élévation des LDH (infarctus rénal) devant une aggravation aiguë de la fonction rénale ou une augmentation brutale de la protéinurie. Le dépistage peut être réalisé par l'échographie doppler des veines rénales ou la RMN mais le diagnostic définitif repose sur l'angiographie des veines rénales. Sur la biopsie rénale, un infiltrat glomérulaire avec des polynucléaires marginés et un oedème interstitiel peuvent suggérer la présence d'une thrombose de la veine rénale upsilatérale. Dans la plupart des cas cependant, la thrombose de la veine rénale est asymptomatique et peut se compliquer ou être révélée seulement par une thrombo-embolie pulmonaire.
2. Histologie
Le diagnostic de GEM repose sur l'examen histologique rénal après biopsie. La GEM est définie par la présence des dépôts d'immunoglobulines G, situés sur le versant externe de la membrane basale glomérulaire en position sous-épithéliale. La cellularité glomérulaire est par contre strictement normale.
La GEM est divisée artificiellement en 3 types :
- la GEM de type 1, caractérisée en micoscopie optique par un épaississement initialement à peine perceptible de la barrière capillaire glomérulaire. A ce stade, l'étude en immunofluorescence ou en microscopie électronique retrouve quelques dépôts granuleux d'IgG ou électrodenses le long du versant externe de la membrane basale glomérulaire.
- La GEM de stade 2 est caractérisée par des dépôts extramembraneux plus uniformes et nombreux et l'expansion de la membrane basale normale entre les dépôts revêtant un aspect dit de « spike ».
- Dans la GEM de type 3, les dépôts électrondenses deviennent plus clairs et la membrane basale peut s'épaissir avec un aspect de double contours. Les dépôts sont alors complètement incorporés et entourés par la membrane basale.
Dans les formes avancées ou très protéinuriques, une fibrose interstitielle ou une atrophie tubulaire peuvent être observées et ont une signification pronostique péjorative. Il n'y a pas de corrélation stricte entre les stades, les types histologiques et le degré de protéinurie. Un stade 3 est cependant souvent associé à une réduction de la filtration glomérulaire.
3. Etiologie et physiopathologie
L'étiologie et la physiopathologie de la GEM sont inconnues mais les études expérimentales suggèrent que les dépôts immuns sous épithéliaux sont liés à une interaction d'un auto-anticorps circulant sur un antigène présent à la surface des cellules épithéliales glomérulaires. Les complexes immuns sont formés in situ et grossissent pour former des dépôts électrondenses dans l'espace sous-épithélial. L'altération de la perméabilité glomérulaire semble secondaire à l'activation locale du complément, notamment les fractions terminales C5b-9 ou MAC (complexe d'attaque membranaire) et à la génération de radicaux oxygénés toxiques. L'augmentation de l'excrétion urinaire de C5b-9, de C3dg, un produit de dégradation du C3 et/ou les dépôts glomérulaires de C3 pourrait signifier la formation active de complexes immuns in situ.
La nature précise de l'antigène dans la maladie humaine n'est pas connue. Dans certains cas, les antigènes non rénaux plantés sont en cause, comme c'est le cas de l'antigène HBe dans le GEM secondaire à l'hépatite B, du DNA double brin dans la GEM lupique, de l'antigène carcino-embryonnaire (ACE) dans les GEM associées au cancer du colon, la thyroglobuline dans les GEM associées aux thyroïdites et l'insuline de porc dans les GEM associées au diabète.
La GEM est idiopathique dans la plupart des cas mais environ 25 % des adultes et 80 % des enfants ont une stimulation immunologique identifiable, situation appelée GEM secondaire. La GEM idiopathique prédomine chez l'homme adulte avec un pic dincidence entre 30 et 50 ans. La GEM est la principale cause de syndrome néphrotique après 50 ans.
Les causes de GEM sont variées (Tableau). Dans le monde globalement, le paludisme et la schistosomiase sont les causes les plus fréquentes. Dans les pays occidentaux, les causes les plus importantes sont le lupus érythémateux, les cancers, l'hépatite B et les médicaments.
Tableau : Principales causes de glomérulonéphrite extramembraneuse
- lupus érythémateux et moins fréquemment arthrite rhumatoïde ou connectivite mixte
- les médicaments (pénicillamines, sels dor, mercure, probénicide, triméthadione, captopril à fortes doses)
- les néoplasies (carcinome pulmonaire du colon, de lestomac, du sein, etc&
- les infections (syphilis, lèpre, hépatite chronique B, hépatite C, paludisme, schistozomiase, filariose.
- Divers (drépanocytose, thyroïdite autoimmune, rejet chronique dallogreffe, sarcoïdose, syndrome de Sjögren).
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Une néoplasie sous-jacente est responsable de 5 à 10 % des GEM de l'adulte, le risque étant le plus important chez les patients de plus de 60 ans. Il s'agit le plus souvent d'un cancer solide (adénocarcinome du colon ou du poumon). La GEM et la protéinurie s'amendent habituellement avec l'ablation de la tumeur.
Le cancer est habituellement déjà diagnostiqué ou cliniquement évident au moment où la protéinurie est notée. L'incidence de tumeur méconnue responsable de GEM est de l'ordre de 1 à 2 %. Il en résulte qu'une recherche extensive de tumeur nest pas très rentable et donc probablement peu utile en l'absence de signe suggestif d'une néoplasie comme une anémie inexpliquée, la présence de sang dans les selles ou un amaigrissement récent. L'exhaustivité des examens à réaliser reste débattue : une radiographie thoracique et une échographie rénale sont généralement réalisées au moment de la biopsie rénale. Une mammographie, la recherche de sang dans les selles et une sigmoïdoscopie flexible sont souvent recommandées comme examens de dépistage chez des adultes de plus de 50 ans.
Environ 10 à 20 % des cas néphropathies lupiques se présentent histologiquement par une GEM. Chez certains des patients l'atteinte rénale est au premier plan et il ny a pas initialement de symptôme ou d'anomalie sérologique évocatrice de lupus. Dans cette situation, certains éléments histologiques orientent vers l'origine lupique sous-jacente, en particulier sur l'immunofluorescence, la présence de dépôts abondants d'IgG mais aussi d'IgA et de C1q, une prolifération mésangiale modérée associée, éventuellement à des dépôts mésangiaux d'immunoglobulines et en microscopie électronique, la présence à la fois de dépôts immuns sous-endothéliaux et extramembraneux ainsi que la présence de structures tubulo-réticulées dans les cellules endothéliales glomérulaires (structures induites par l'interféron alpha).
Chez des patients ayant une arthrite rhumatoïde, l'incidence de la GEM est de 5 à 7 % chez les patients traités par pénicillamine et 1 à 3 % chez ceux traités par des sels d'or parentéraux. La protéinurie se manifeste habituellement dans les 6 à 12 mois suivant le début du traitement mais elle est parfois plus retardée. L'arrêt des médicaments entraîne la disparition de la protéinurie dans pratiquement tous les cas mais la résolution est lente avec une moyenne de 9 à 12 mois après l'arrêt. D'autres médicaments peuvent induire des GEM, comme la thiopronine et le captopril à fortes doses ; ces deux médicaments ayant comme la pénicillamine, un groupe sulfhydrile. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont également responsables en particulier le diclofénac (Voltarene®).
La GEM liée à l'hépatite B survient le plus souvent chez des enfants dans des zones endémiques, la plupart du temps porteurs asymptomatiques sans histoire d'hépatite aiguë ou active. Les transaminases sont souvent normales ou légèrement augmentées et la sérologie est positive pour les antigènes de surface, les anticorps anti-HBc et habituellement l'antigène HBe. L'antigène e et l'anticorps cationique anti-HBe semblent être les principaux responsables des dépôts immuns glomérulaires. Les GEM liées à l'hépatite B peuvent être associées à une hypocomplémentémie. La résolution spontanée de la protéinurie est habituelle chez les enfants mais pas chez les adultes dont la plupart ont une maladie progressive. Le traitement par glucocorticoïde est contre-indiqué car ces agents peuvent augmenter la réplication virale et favoriser l'hépatite chronique active. Inversement, le traitement antiviral pourrait être bénéfique sur l'atteinte rénale.
Plusieurs autres causes de GEM sont représentées par la syphilis congénitale et secondaire, le rejet chronique d'allogreffe, l'infection par le virus de l'hépatite C, la sarcoïdose, le syndrome de Sjogren, l'exposition chronique au formaldéhyde, le paludisme et la schistozomiase hépatosplénique dans les régions d'endémie.
4. Evolution et pronostic
L'évolution naturelle de la GEM est importante à considérer compte tenu du risque potentiel de toxicité des médicaments utilisés dans son traitement.
Globalement, les éléments suivants peuvent être considérés :
- Une rémission spontanée de la protéinurie survient chez 5 à 20 % des patients.
- Une rémission partielle définie par une protéinurie inférieure à 2 g/jour survient chez 25 à 40 % des patients.
- L'incidence de l'insuffisance rénale terminale est d'environ 15 % à 5 ans, 35 % à 10 ans et 40 % à 15 ans.
Ces chiffres doivent être modulés par la connaissance d'un certain nombre de facteurs de risque permettant d'affiner l'évaluation du risque d'insuffisance rénale.
- Les hommes au-dessus de 50 ans avec un syndrome néphrotique intense (protéinurie dépasse 10 g par jour) et prolongé, les patients avec une créatinine plasmatique élevée lors de la présentation sont à haut risque de progression vers l'IRT. Histologiquement, le risque de progression est également augmenté chez les patients ayant des lésions de glomérulosclérose et surtout une fibrose interstitielle importante.
- Inversement les femmes, les enfants, les adultes jeunes, les patients avec une protiénurie non néphrotique et ceux dont la fonction rénale reste normale à 3 ans tendent à avoir une évolution relativement bénigne. Les formes induites par les médicaments ont également un bon pronostic puisque la cessation du traitement aboutit à la résolution spontanée de la protéinurie chez pratiquement tous les patients atteints.
5. Traitement
5.1. Types de traitement :
Les glucocorticoïdes seuls n'exercent aucun bénéfice sur la rémission du syndrome néphrotique ou la prévention de l'insuffisance rénale progressive et ne doivent donc pas être utilisés. Il n'y a de même pas de place pour le traitement par azathioprine dans le traitement de la GEM.
Inversement le bénéfice d'un traitement cytotoxique alkylant (cyclophosphamide ou chlorambucil) semble relativement bien établi du moins sur la rémission du syndrome néphrotique . Dans la mesure où la plupart des essais contrôlés ont utilisé une association d'agent alkylant et de glucocorticoïde, il est recommandé que ces deux agents soient associés bien qu'il n'y ait pas de preuve formelle concernant le rôle complémentaire des glucocorticoïdes associés. Globalement le risque relatif d'obtenir une rémission complète chez les patients traités par alkylant est de 3,4 à 4,8. Dans ces analyses, le bénéfice en terme de survie rénale est moins évident, bien que la rémission soit un facteur important déterminant de non progression vers l'insuffisance rénale terminale.
Une méta-analyse des essais contrôlés randomisés ne donne pas de préférence pour le chlorambucil ou le cyclophosphamide. Ces traitements doivent être considérés comme équivalent en terme d'efficacité. Ces deux formes d'agents cytotoxiques sont associés à une toxicité significative à court et long terme. Le risque de survenue de cancers vésicaux de nombreuses années après l'initiation d'un traitement par cyclophosphamide suggère que le chlorambucil pourrait être une alternative moins toxique. Le cyclosphophamide intraveineux est moins efficace que le chlorambucil pour le cyclophosphamide oral et ne doit donc pas être essayé dans le but de diminuer la toxicité.
Le traitement par cyclosporine semble relativement efficace sur la protéinurie chez les patients ayant une GEM et à haut risque de progression. La cyclosporine 4 à 5 mg/kg/jour en deux prises pendant 12 mois est le protocole thérapeutique préféré. L'efficacité est globalement moins solidement établie que celle des agents alkylants.
5.2. Indications
Il n'y a plus de justification scientifique pour l'utilisation des glucocorticoïdes seuls ou en association avec l'azathioprine chez les patients avec une GEM et un syndrome néphrotique et a fortiori en l'absence de protéinurie néphrotique.
L'évolution spontanément favorable chez de nombreux patients avec une GEM idiopathique ne justifie pas l'institution systématique d'un traitement cytotoxique chez tous les patients même ayant un syndrome néphrotique. Inversement, il n'est pas souhaitable d'attendre l'installation d'une insuffisance rénale pour démarrer le traitement cytotoxique en raison d'une part d'une efficacité diminuée et d'autre part d'un risque de toxicité majoré dans ce cas.
Il est donc recommandé de stratifier le risque individuel de progression vers l'IRT et de proposer le traitement cytotoxique à tous les patients présentant un haut risque de progression évalué sur des facteurs cliniques tel que l'âge, le sexe masculin, la fonction rénale, la pression artérielle, la sévérité et la persistance du syndrome néphrotique ou la présence histologique de fibrose interstitielle sévère.
Le traitement individualisé peut être proposé selon le schéma suivant :
- les patients asymptomatiques avec une protéinurie non néphrotique ne doivent pas être traités par cytotoxiques dans la mesure où ils ont un relativement bon pronostic à long terme. Ils doivent bénéficier de traitements antiprotéinuriques symptomatiques (IEC) et des hypolipémiants si nécessaire. La surveillance rénale attentive doit vérifier l'absence de progression de la maladie.
- Les patients avec une protéinurie néphrotique mais peu ou pas symptomatique doivent bénéficier d'un traitement symptomatique mais pas d'un traitement cytotoxique avant une période prolongée d'observation puisque jusqu'à 2/3 d'entre eux peuvent développer une rémission complète ou partielle après un délai de 3 ans. Cette attitude est particulièrement recommandée chez ceux qui ont un pronostic à long terme a priori favorable comme les femmes et les enfants, les jeunes adultes avec une fonction rénale normale et l'absence de signe de gravité à l'histologie rénale.
- Un traitement cytotoxique est indiqué (soit demblée, soit après une période dobservation de 6 à 12 mois) chez les patients à haut risque de progression vers l'IRT : ceux avec une élévation initiale de la créatinine plasmatique, des lésions interstitielles ou glomérulaires sévères sur la biopsie rénale, des signes de progression de la maladie au cours du temps, un syndrome néphrotique sévère et symptomatique (oedèmes, hyperlipidémie), une protéinurie supérieure à 10 g/jour et persistante en particulier chez des hommes de plus de 50 ans.
- Un traitement cytotoxique est également indiqué demblée chez les patients ayant développé des complications thromboemboliques car seule la diminution de la protéinurie permet de réverser le syndrome d'hypercoagulabilité et de prévenir la récidive d'évènements thromboemboliques.
La cyclosporine doit être réservée aux formes de GEM avec syndrome néphrotique persistant après échec du ou des traitements alkylants (indication essentiellement anti-protéinurique). Le risque de néphrotoxicité aiguë et chronique ne devrait pas inciter à utiliser ce produit en cas dinsuffisance rénale progressive et/ou de fibrose interstitielle connue.
Chez les patients avec une insuffisance rénale avancée (créatinine plasmatique supérieure à 300 µmol/l) le bénéfice du traitement immunosuppresseur nest pas scientifiquement démontré alors que le risque de toxicité majorée est clairement établi. Le rapport bénéfice/risques du traitement immunosuppresseur chez ces patients doit être soigneuseusement pesé et n'est habituellement pas très favorable.
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